APERe Ventdu SudLes temps de crise profonde peuvent apparaitre comme des révélateurs des outils et modes d’organisation les plus robustes et utiles à notre société. Face à la flambée mondiale des prix de l’énergie de ces derniers mois, le modèle de circuit court de l’électricité proposé par les coopératives citoyennes d’énergie REScoop montre toute son efficacité pour amortir le choc en tirant les prix vers le bas.

 

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D’octobre 2021 à mai 2022, la facture moyenne d’électricité d’un ménage belge a augmenté de plus de 40 %. Les producteurs réalisent de plantureux bénéfices et les débats politiques peinent à déboucher sur des mesures structurelles à la hauteur de l’enjeu.


Si l’on considère que l’objectif de la libéralisation du marché de l’énergie était de faire baisser la facture des ménages et d’améliorer le service, on doit bien constater que cela ne marche malheureusement pas très bien.


Dès lors, les différents gouvernements cherchent des solutions et demandent de la créativité. Si bien qu’on en vient à parler du retour de l’État dans le marché de l’énergie au sein de cercles où de tels propos auraient été considérés comme hérétiques il y a à peine trois mois.


Et au milieu de tout cela, une petite voix se fait difficilement entendre, alors qu’elle propose depuis des années une solution qui fonctionne. Elle enjoint les citoyen·nes et les pouvoirs publics à se rassembler pour s’approprier les outils de production et de fourniture d’énergie et tenter d’offrir à tou·tes l’accès à une énergie durable en quantité suffisante et à un prix juste. C’est la voix de la démocratie énergétique 1 dont on se souvient notamment avoir entendu parler par une représentante du Transnational Institute, Satoko KISHIMOTO, lors d’un séminaire du CIEP en mars 2018 2.

Démocratie énergétique et coopératives REScoop

En Europe, les principes de la démocratie énergétique sont très concrètement mis en application par les coopératives citoyennes rassemblées sous la bannière REScoop.eu (Renewable Energy Sources Cooperatives).REScoop Wallonie, par exemple, fédère 22 coopératives qui produisent de l’électricité principalement d’origine éolienne, mais aussi photovoltaïque, hydro-électrique, issue de la biométhanisation (électricité + chaleur), ainsi que de la chaleur à partir de biomasse, soit au total 70 MW installés ou en construction.


Ces coopératives sont agréées par le Conseil national de la Coopération (CNC) et respectent les principes de l’ACI (Alliance Cooperative Internationale), également décrits dans la Charte REScoop. On y retrouve les principes d’adhésion ouverte à tou·tes, de pouvoir démocratique exercé par les membres (1 personne = 1 voix), de priorité à la plus-value sociétale plutôt qu’au profit, d’indépendance et d’engagement envers la communauté.


Fin 2021, les coopératives membres de REScoop Wallonie réunissaient 15.000 coopérateur·rices qui ont investi 23,5 millions d’euros de capital.

Le circuit court de l’énergie, ça marche !

Pour boucler le circuit court de l’énergie, il est nécessaire que les coopératives offrent un service de fourniture à leurs coopérateur·rices. C’est le cas avec Ecopower 3 en Flandre, COCITER 4 en Wallonie et bientôt Brupower 5 en Région Bruxelles-Capitale.
Prenons l’exemple de la Wallonie. En 2012, les coopératives de REScoop Wallonie se sont associées pour créer COCITER, le Comptoir Citoyen des Énergies dont la mission est d’assurer la fourniture d’électricité en Wallonie pour les membres des coopératives de façon éthique, durable et sans but lucratif. COCITER est en tête du classement Greenpeace des fournisseurs d’électricité pour la 6e année consécutive et a récemment gagné le prix de l’économie sociale.
Concrètement, les coopératives partenaires revendent à COCITER l’énergie qu’elles produisent et COCITER fournit cette énergie aux coopérateurs à un tarif avantageux.
Face à la complexité de ce marché et aux engagements financiers nécessaires pour s’y positionner, la coopérative de fourniture ne cesse de batailler pour se faire une place de petit poucet dans un monde dominé par les multinationales.
Quand, en février 2022, le marché de l’énergie s’emballe, COCITER est mis en difficulté, car il est engagé avec ses client·es sur des contrats fixes à bas prix. Les coopératives de production gardent quant à elle des couts de production stables puisque indépendants des énergies fossiles. Elles pourraient donc réaliser de gros bénéfices. Mais elles décident plutôt de baisser volontairement leur prix de vente à COCITER, qui peut alors, in fine, vendre moins cher l’électricité à ses coopérateurs-clients.
Depuis mars 2022, COCITER applique son plan et propose pour les renouvellements et les nouveaux contrats des prix variables plus modérés que ceux du marché. Il suffit de comparer les prix sur le site de la CWaPE pour s’en rendre compte : COCITER est maintenant le moins cher et tire donc les prix du marché vers le bas. Et plus encore, tous les clients coopérateurs qui disposaient d’un mauvais tarif depuis octobre 2021 ont été contactés pour leur proposer d’appliquer rétroactivement le tarif circuit court plus avantageux de 9 à 12  %.
Les coopératives de production conservent des marges confortables qui leur permettent principalement d’investir dans de nouveaux projets et de s’engager sur les territoires sur lesquels elles sont implantées à travers des actions d’information et de sensibilisation des citoyen·nes, des services de conseils aux communes, et le développement de partenariats avec des entreprises locales.
Preuve est ainsi faite que le modèle coopératif citoyen est un outil essentiel pour lutter contre la précarisation énergétique et œuvrer pour une transition écologique juste et solidaire.

Une volonté politique nécessaire

Mais pour que cet impact devienne réellement significatif, il faut que les coopératives productrices développent massivement leur capacité de production permettant à COCITER d’offrir ses tarifs avantageux à plus de ménages. Malheureusement, dans un monde des énergies renouvelables caractérisé par une extrême concurrence entre les développeurs et par leur lobby intensif, elles peinent à mener leurs propres projets ou à obtenir des participations significatives dans les projets en développement.


Pourtant, dès 2013 et la publication d’un cadre de référence pour le développement de l’éolien en Wallonie 6, le gouvernement wallon avançait sur la bonne voie en recommandant l’ouverture des projets à la participation des citoyen·nes et des communes à hauteur minimum de 25 % chacun, permettant d’atteindre une détention de 50 % des parcs éoliens par des partenariats public-citoyens. Mais force est de constater que les développeurs n’ont pas suivi ces recommandations puisque, malgré la multiplication des coopératives et de leurs initiatives, seuls 4 % du parc actuel est détenu par des coopératives citoyennes ou des sociétés d’exploitation regroupant coopératives et communes.


Alors, quand un pouvoir public cherche des solutions structurelles pour amortir pour ses administré·es l’augmentation inéluctable des prix de l’énergie tout en favorisant le développement des énergies renouvelables, pourquoi ne pas miser sur les solidarités entre citoyen·nes et sur leur capacité d’auto-organisation pour y participer ?


Ainsi, le gouvernement wallon négocie par exemple actuellement la « Pax Eolienica » pour un développement plus rapide et plus harmonieux de l’éolien. Il pourrait décider de bétonner l’accès citoyen à cette ressource stratégique commune par des mesures contraignantes.


De son côté, le gouvernement fédéral prépare l’extension du parc éolien offshore en mer du Nord. Fin 2020, le dernier parc éolien de la zone orientale a été achevé. Fin 2021, le Conseil des ministres a validé l’objectif d’une production de 3,15 GW au minimum et 3,5 GW au maximum dans la zone Princesse Elisabeth. Le gouvernement fédéral organisera un appel d’offres en vue d’attribuer les concessions domaniales pour la construction et l’exploitation des éoliennes dans cette zone. Il devrait dès lors inclure dans cet appel d’offres des clauses contraignantes sur la participation financière et démocratique citoyenne à ce développement. D’ailleurs, c’est dans l’optique de répondre à cet appel que les coopératives REScoop flamandes et wallonnes se sont associées pour créer la coopérative à finalité sociale SeaCoop.


Enfin, les communes ont de multiples opportunités de s’investir dans le développement des énergies renouvelables sur leurs territoires en partenariat avec les coopératives citoyennes. Celles qui disposent de terrains communaux susceptibles d’accueillir des éoliennes peuvent, comme l’ont fait Amblève et Bullange 6, émettre un appel d’offres spécifique pour octroyer un droit d’emphytéose pour l’installation d’un parc en posant notamment des conditions de participation citoyenne démocratique et financière. D’autres peuvent participer à la constitution avec une ou plusieurs coopératives citoyennes d’une société visant le développement et l’exploitation d’un parc éolien. D’autres encore peuvent avoir recours à des systèmes de tiers investissement participatif pour l’installation de panneaux solaires photovoltaïques sur les toitures de bâtiments. Quel que soit le procédé choisi, l’objectif est toujours de permettre aux habitant·es de s’approprier démocratiquement les outils de production d’énergie, de favoriser leur implication dans la transition écologique juste et solidaire, et ainsi de bénéficier des services qu’ils peuvent offrir à la commune dans le cadre de leur engagement pour la collectivité.

Conclusion

Depuis des années, les scientifiques nous alertent sur les risques générés par la croissance des activités humaines dans un modèle capitaliste extractiviste. Durant les années 1970, une équipe de scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT) estimait déjà que cette croissance nous amènerait à un point de rupture, entre 2020 et 2025, au-delà duquel l’instabilité et les chocs environnementaux, économiques et sociaux deviendraient la norme et nous entraineraient dans un effondrement écologique et social.


Face à la persistance des gouvernements successifs dans la plupart des pays occidentaux à s’engluer dans un modèle néolibéral devenu hors de contrôle, des citoyen·nes ont développé des alternatives à leur échelle. Que ce soit en termes d’alimentation, d’énergie, de logement, d’accès à la nature, etc, ces initiatives de l’économie sociale et solidaire étaient souvent vues par leurs initiateur·rices comme des ilots de liberté et d’action collective, des germes qui pourraient se déployer en cas de faillite du système dominant.


Nous sommes en 2022, au milieu de catastrophes qui ne peuvent que s’amplifier et que les pouvoirs publics ne pourront pas gérer seuls. Il est plus que jamais temps pour eux de mettre en place les conditions qui permettront à ces germes de se déployer et de participer à la restructuration d’un écosystème permettant de couvrir nos besoins essentiels de manière juste et solidaire. Les coopératives REScoop sont prêtes à prendre leur place dans cet écosystème. #

1. Voir : https://energy-democracy.net/
2. Agis t’es du local, Bruxelles, Ed. CIEP, 2 mars 2018, collection Cahiers du CIEP, n° 24.

3. https://www.ecopower.be/
4. https://www.cociter.be/
5. https://www.brupower.be/
6. https://energie.wallonie.be/fr/cadre-de-reference-pour-l-implantation-d-eoliennes-en-region-wallonne.html?IDD=11176&IDC=6170

(*) Énergie Commune asbl


 

Principes de la démocratie énergétique

Porté par plusieurs organisations activistes et syndicales à travers le monde, l’appel à la démocratie énergétique fait référence à une volonté de contrôle collectif sur le secteur de l’énergie, opposé à la culture néolibérale dominante de marchandisation, d’individualisation et de contrôle des entreprises. La démocratie énergétique concerne le transfert du pouvoir sur tous les aspects du secteur – de la production à la distribution et à l’approvisionnement, de la finance à la technologie et à la connaissance – aux utilisateur·rices d’énergie et aux travailleur·ses. Elle est basée sur cinq principes clés: 
• Accès universel et justice sociale
• Énergie renouvelable, durable et locale
• Outils de production détenus par les pouvoirs publics et les citoyen·nes
• Contrôle démocratique et participation active des citoyen·nes.


Énergie Commune asbl, Qui sommes-nous ?

Depuis 1991, Énergie Commune asbl (ex-APERe asbl) accompagne les citoyen·nes et les collectivités dans leur appropriation de l’énergie vers un système 100 % renouvelable, juste et solidaire, en suivant les principes de la Démocratie énergétique.
Reconnue en tant qu’organisme d’éducation permanente, Énergie Commune mène une action d’éducation et de conseil sur base de projets et d’activités de terrain autour de quatre axes : Citoyen, Communauté, Territoire et École.

 

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