Le nombre de personnes en incapacité de travail est en hausse depuis des années, tout comme les dépenses liées aux indemnités versées. Derrière cette croissance se cachent des changements structurels, démographiques et sociaux mais aussi des décisions politiques. En réponse à cette augmentation, le retour au travail des malades de longue durée a été la voie de plus en plus privilégiée par les politiques de ces dernières années. Mais comment cette situation est-elle vécue par les personnes confrontées à cette réalité ? Enquête 1.
Dans les débats actuels portant sur l’incapacité de travail, nous ne devons pas perdre de vue les personnes en incapacité de travail elles-mêmes et leurs besoins. Si nous voulons relever l’énorme défi auquel nous sommes confrontés, il est important de mieux comprendre ce qui se passe avant, pendant et après l’incapacité de travail. La méthode la plus appropriée consiste alors à donner la parole à celles et ceux qui connaissent ou ont connu une période d’incapacité. C’est pourquoi la Mutualité chrétienne a organisé une enquête en ligne anonyme. Celle-ci a été remplie par 4.350 répondant·es en octobre et novembre 2019.
La situation au moment de l’enquête
Au moment de l’enquête, la moitié des répondant·es (51 %) qui travaillaient avant leur incapacité avaient repris le travail (voir la figure 1). Une majorité a repris le travail chez le même employeur (42 %), tandis qu’une minorité a changé d’employeur au retour de l’incapacité (9 %). Dans les deux cas, la majorité a opté pour une reprise du travail à temps plein, tandis que les autres ont repris le travail à temps partiel.
Au total, trois répondant·es sur dix (30 %) étaient encore en incapacité de travail au moment de l’enquête. Pour la majorité d’entre eux (25 %), cette incapacité n’a pas été interrompue, tandis que 4% ont brièvement repris le travail mais sont retombés en incapacité de travail. Enfin, 2 % des répondant·es ont repris le travail pendant un certain temps avant d’être licencié·es.
Figure 1 : Situation au moment de l’enquête
Avant l’incapacité de travail
Identifier ce qui a pu déclencher l’incapacité peut permettre de réfléchir à la façon d’éviter ou de limiter ces facteurs déclencheurs. Il s’agit du niveau de la prévention primaire.
Les maladies à l’origine de l’incapacité
Un quart (24 %) des répondant·es ont déclaré que l’affection à l’origine de leur incapacité de travail était une affection psychique (dépression, troubles anxieux, etc.). Si on tient compte du burn-out (22 %), un peu plus d’un·e répondant·e sur trois (37 %) a déclaré que la cause de son incapacité de travail était le burn-out et/ou une affection psychique.
Près de 32 % des répondant·es ont déclaré souffrir de maladies du système ostéoarticulaire et des tissus conjonctifs (douleurs dorsales et cervicales, rhumatismes, arthrose, etc.). Si l’on y ajoute les entorses, fractures et blessures (18 %), près de la moitié des répondant·es (47 %) ont déclaré souffrir d’une maladie et/ou de blessures du système ostéoarticulaire et des tissus conjonctifs.
Les autres affections qui touchent le plus fréquemment les répondant·es sont le cancer (8 %), les maladies cardiovasculaires (5 %) et les maladies du système nerveux et sensoriel (5 %).
Quel rôle joue le travail lui-même ?
Une majorité (56 %) des répondant·es (travaillant avant l’incapacité de travail) estime que leur situation professionnelle est (en partie) responsable de leur incapacité de travail. Les raisons les plus souvent invoquées sont une charge de travail trop élevée (50 %), un travail physiquement exigeant (40 %) et une mauvaise relation avec le supérieur hiérarchique (25 %).
Le fait que la situation professionnelle est considérée comme responsable de l’incapacité et les raisons liées à cette situation dépendent du type de maladie 2, du type de travail (tâches principalement manuelles ou intellectuelles), du régime de travail (temps plein ou partiel), du degré d’autonomie au travail, de la relation avec les collègues et le supérieur hiérarchique, et du fait que la personne exerce ou non une fonction dirigeante. Plus le niveau d’autonomie au travail est faible, plus les répondant·es tiennent leur situation professionnelle pour responsable de leur incapacité. Et plus la relation avec les collègues ou le supérieur hiérarchique est bonne, moins la situation professionnelle est considérée comme responsable de l’incapacité de travail.
Durant l’incapacité de travail
Répondre mieux aux besoins des personnes en incapacité de travail permet d’éviter que la situation ne s’aggrave et facilite la transition vers l’étape suivante, le retour au travail. On est, ici, au niveau de la prévention secondaire.
Les personnes interrogées considèrent qu’il est crucial de prendre et de pouvoir prendre suffisamment de temps pour se rétablir complètement. Pendant le processus de rétablissement, le soutien de personnes qui écoutent vraiment, qui font preuve de compréhension et qui apportent leur aide est également important. Les répondant·es recommandent également de trouver une activité pendant cette période : quelque chose que l’on aime faire, qui permet de se distraire et de structurer sa journée.
Une personne qui tombe en incapacité de travail a droit à une indemnité. Pour en faire la demande, il faut suivre un certain nombre de procédures administratives. Les répondant·es demandent des informations proactives sur ce qu’il faut faire, quand et comment le faire, afin d’être en règle sur le plan administratif. Outre l’information, les répondant·es ont également exprimé un besoin d’aide pour faire aboutir toutes ces démarches administratives. En effet, au début de l’incapacité de travail, de nombreuses formalités administratives doivent être accomplies afin de pouvoir bénéficier de l’indemnité. Or, c’est le moment où beaucoup de personnes se sentent physiquement et/ou mentalement incapables de le faire. Ils suggèrent également d’optimiser encore les procédures administratives en réduisant les démarches, de mieux communiquer avec les personnes en incapacité de travail (langage simple), mais aussi de digitaliser l’échange d’informations pour permettre une communication plus directe entre les différentes parties (mutuelle, employeur et médecin).
Un autre élément important pendant la période d’incapacité de travail est le contact avec le médecin-conseil. Les personnes en incapacité de travail ont besoin d’un médecin-conseil qui les écoute, les comprenne, fasse preuve d’empathie et les rassure. Elles ont besoin d’une personne qui les accompagne sur le chemin de la guérison et de la reprise du travail. Les personnes interrogées demandent que le médecin-conseil dispose de suffisamment de temps pour cela, afin qu’il puisse prendre une décision en fonction de l’histoire de la personne et de tous les éléments du dossier. Elles demandent également que la discussion et le rôle du médecin-conseil soient bien définis au préalable afin que les gens sachent ce qu’ils peuvent attendre de cette discussion. Cela permettrait de réduire le stress et l’anxiété pendant l’entretien.
L’aspect financier joue également un rôle pendant la période d’incapacité de travail. Une diminution des revenus et une augmentation des dépenses liées aux coûts des soins rendent cette période difficile pour un nombre considérable de personnes. Des indemnités suffisamment élevées favoriseraient le rétablissement, car la personne pourrait se concentrer sur sa guérison et non sur sa survie. Cela permettrait de prendre le temps de se rétablir correctement et de ne pas être obligé de reprendre le travail en raison de difficultés financières.
De nombreuses personnes en incapacité de travail ont bénéficié d’une aide psychologique sur leur chemin vers la guérison. Par ailleurs, elles font part d’un problème d’accessibilité financière à ce type d’aide. En effet, en raison de l’absence ou de l’insuffisance des remboursements, les coûts sont (beaucoup) trop élevés. Par conséquent, l’aide psychologique n’est pas accessible à tous. C’est pourquoi elles demandent un éventail plus large d’aides psychologiques abordables.
Après l’incapacité de travail
En connaissant mieux les facteurs qui favorisent le retour au travail, nous augmentons les chances d’un retour réussi au travail, ce qui constitue une prévention de la rechute dans l’incapacité de travailler. Il s’agit de la prévention tertiaire.
Le fait d’être suffisamment rétabli est le facteur qui est le plus souvent cité comme ayant permis le retour au travail, mais le soutien des proches, des collègues, du médecin traitant (ou d’un autre prestataire de soins de santé) et du supérieur hiérarchique est également considéré comme important. Les facteurs qui entravent le plus souvent la reprise du travail sont une récupération insuffisante ou une reprise du travail trop précoce, ainsi qu’un soutien insuffisant du supérieur hiérarchique. Les adaptations du travail sont également importantes. Le fait de travailler moins d’heures qu’avant l’incapacité de travail ou l’adaptation du contenu du travail (moins stressant, moins exigeant physiquement) favorise la reprise du travail. Le fait de ne pas trouver le contenu du travail adapté et de devoir travailler plus d’heures qu’on ne peut en assumer complètent le top quatre des facteurs qui constituent des freins à une reprise réussie du travail.
La moitié des répondant·es (50 %) ont déclaré avoir eu besoin d’aménagements 3 au moment de leur retour au travail. 40 % d’entre eux n’ont bénéficié d’aucun aménagement du travail, bien qu’il·elles en auraient eu besoin. La figure 2 (ci-contre) montre la différence entre les aménagements souhaités (barres vertes) et obtenus (barres bleues). La réduction du nombre d’heures de travail est l’aménagement le plus facile à obtenir (obtenu par 64 % des personnes qui souhaitaient cette adaptation), alors qu’un meilleur accompagnement et suivi de la part du supérieur hiérarchique est l’aménagement le plus difficile à obtenir (obtenu par seulement 30 %). Parmi les raisons pour lesquelles les répondants n’ont pas reçu les aménagements souhaités, on retrouve le fait que c’est difficile pour l’organisation du travail (37 %), que les aménagements ne sont pas compatibles avec le travail effectué (32 %), ou le manque de compréhension et de volonté de changement ou la rigidité de la part de l’employeur (12 %). Dans 29 % des cas, les répondant·es n’ont pas reçu d’explications sur la raison pour laquelle l’aménagement n’a pas été implémenté.
Conclusion
Vivre en incapacité de travail ne va pas de soi. Bien au contraire. C’est devoir vivre avec des moyens restreints tout en faisant face à la maladie et à ses conséquences. Les répondant·es à notre enquête ne demandent pas qu’on s’apitoie sur leur sort. Ce qui leur manque, ce n’est pas la motivation à travailler, mais bien la capacité à effectuer leurs tâches professionnelles. Nombreux·ses sont ceux·celles, quand il·elles le peuvent, qui prennent d’ailleurs des initiatives en ce sens, cherchent des informations, souhaitent des aménagements de leur travail, etc. Mais il·elles nous disent aussi qu’il faut faire cela au bon moment, quand on a récupéré. Cela peut paraitre évident, mais se soigner, guérir, se reconstruire demande du temps. La patience doit être de mise et cette recommandation vaut pour la société entière : prendre le temps de surmonter une incapacité de travail, qui parfois se prolonge, ce n’est pas faire preuve de fainéantise, c’est un processus qui peut être compliqué (avec des allers et retours), qui prend du temps et qui ne se fait pas sous pression.
Les résultats complets de cette enquête, ainsi que les recommandations sont disponibles sur : https://www.mc.be/media/Incapacite%20de%20travail_CM-info%20284-FR_aangepast_tcm100-70546.pdf
2. Par exemple, la situation professionnelle est considérée comme étant à l’origine de l’incapacité par 90 % des répondant·es souffrant de burn-out et par 69 % de celles et ceux souffrant d’une affection psychique, alors que cette proportion n’est que de 14 % pour les répondant·es atteint·es de cancer.