pexels max vakhtbovych 6180740Dans toutes sortes de secteurs d’activités, la pandémie a imposé un arrêt brutal des activités ou a imposé des adaptations majeures de celles-ci. C’est le cas des activités d’éducation permanente dans leur dimension de rencontre, d’animation, de formation ou de mobilisation collective qui ont été tout simplement frappées d’interdiction. Les associations ont tant bien que mal cherché à inventer des voies alternatives de traverse : formations en distanciel, visio, plateformes de partage ont plus ou moins peuplé le quotidien d’un télétravail décrété obligatoire. Beaucoup de secteurs ont connu une situation similaire et il s’est trouvé des chantres de la « modernisation » pour qualifier ces situations de basculement dans un progrès. Maintenant que la pandémie semble reculer, une controverse se dessine, comme pour le télétravail : ne faut-il pas tirer enseignement des expériences qui se sont passées et transformer les pratiques pour « accueillir » la nouveauté ?

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Les politiques devraient donc d’abord être des politiques culturelles, non pas au sens où un ministère de la culture sert ou dessert les clientèles diverses et variées des métiers de la culture, mais bien comme critique des limites d’un capitalisme hyperindustriel devenu destructeur des organisations sociales en quoi consistent les processus d’individuation psychique et collective. Bernard Stiegler

À notre estime, la première exigence en la matière consiste à questionner la question. C’est à cette exigence première que nous voudrions consacrer cette analyse, étant pleinement conscient qu’il ne s’agit là que d’un préalable qui n’est pas suffisant, mais est par contre nécessaire. Questionner la question, c’est, pour nous, poser au moins trois gestes réflexifs indissociables :

  • se demander quel « format » ou quel « modèle » va préluder au questionnement ;
  • relier la question aux enjeux globaux dans lesquels la réponse que l’on apportera au questionnement va produire des effets ;
  • identifier ce que peut nous faire perdre la manière dont on va prendre en charge le questionnement. 
  • Avant de se demander s’il est légitime de mettre en œuvre des pratiques d’éducation permanente « en distanciel », il est utile, nous semble-t-il, d’interroger le type de raisonnement qui va être mobilisé pour traiter la question.
    Dans les modèles d’analyse dominants comme le modèle « SWOT », prétendument stratégique, largement promu y compris dans le secteur public (où il est devenu les fourches caudines du fonctionnaire), on a pris l’habitude de faire la balance entre les forces et les faiblesses, les menaces et les opportunités, voire, dans certains cas, de traduire ces dangers dans le registre des chances.

Il s’agit d’un modèle instrumental, puisqu’il fait faire l’économie de la question du sens : menaces et opportunités, en effet, ne sont pas d’office de même nature et la balance des deux opère souvent un choix de valeurs qui ne dit pas son nom. Il faut alors se demander et demander dans quel registre de valeurs le « distanciel » peut apparaître comme une opportunité.
L’importance accordée à la question des opportunités produit par ailleurs un alignement de la pratique sur la logique concurrentielle et son intégration à celle-ci. Les « opportunités », c’est en effet le véhicule de la logique de marchés. « Saisir les opportunités », « Développer ses opportunités », appartient à un monde situé :
« La chance ne tombe malheureusement pas du ciel et tout entrepreneur vous dira qu’il est passé par l’action, et cela bien évidemment dans le cadre de sa démarche commerciale pour trouver des clients. Il s’agit de l’opportunité directe, qu’il convient d’aller chercher.

Mais au préalable d’aller trouver les occasions, il est nécessaire d’en connaître les codes, qui s’attachent notamment aux cibles et aux territoires, et pour lesquels le discours ou l’argumentaire est bien spécifique. Outre des capacités personnelles plus ou moins innées selon les individus, cela passe par l’apprentissage, par la voie de la formation initiale (formation commerciale…) ou de la formation continue (module « développer sa clientèle »…), ou encore d’un coaching personnel » 1.
On voit bien se profiler le raisonnement imposé par ce « format » : « certes, pratiquer l’éducation permanente en distanciel (via des “rencontres-écrans”) peut présenter une menace (on perd une partie de la rencontre, une partie du public…), mais peut-être cette transformation renferme-t-elle des “opportunités” : un discours de “modernisation” devrait pouvoir nous convaincre que ne pas vouloir embrasser ces pratiques émergentes, c’est faire preuve de passéisme coupable.
Identifier le format du questionnement nous paraît ainsi un préalable nécessaire. Dans notre exemple, le format " SWOT " contient déjà la réponse, inoculée dans un double mouvement : on fait l’impasse sur la question du sens et des valeurs (les quatre pôles sont réputés de même nature et comparables, ce qui est rarement le cas) pour privilégier d’office la recherche des opportunités (qui est un choix de valeur qui ne dit pas son nom).

Relier la question aux enjeux globaux

Une deuxième manière, nécessaire selon nous, de questionner la question «Une éducation permanente à distance ?» consiste à relier cette question avec les enjeux globaux dans lesquels elle est inscrite et dans lesquels la réponse donnée va agir.
Nous avons toutes et tous vu que la crise sanitaire que nous traversons est caractérisée par une forte restriction de notre liberté de circulation et une forte limitation de nos contacts sociaux. Mais ce n’est pas tout : elle peut produire une restriction du sens et une limitation de notre capacité de résistance au modèle dominant. La restriction du sens s’entend dans deux sens : en matière de direction (il faut avancer, sans qu’on perçoive d’office vers quel but) ; en matière de signification (un débat sur les enjeux est évacué).

Il faut avancer !

L’exercice du pouvoir, que Luc Boltanski appelle la domination complexe, recourt systématiquement au thème de la modernisation ou de la réforme, surtout lorsqu’il s’agit d’obtenir une régression. Le changement “proposé” est à chaque fois présenté comme inéluctable, la seule attitude “responsable” étant de… l’anticiper 2.
Cette citation déjà ancienne est emblématique : « c’est vrai, nous abandonnerons une partie de la population à son sort en entrant dans le Cyber, mais la techno est notre destin, la liberté que les appareils à haute technologie nous donnent, c’est de pouvoir dire OUI à leur potentiel. » 3
Une simple question technique
Les « modernisateurs » peuvent avancer complémentairement que les changements qu’ils requièrent sont seulement techniques, qu’ils sont neutres, en faisant l’économie des relations que leur introduction va modifier. Les sociologues de l’innovation opposent à cette neutralisation le fait que les inventions de laboratoires (ici les technologies liées au distanciel) sont des « acteurs non humains », influant à part entière sur les relations des acteurs humains. Réduire ou restreindre le périmètre du problème à sa dimension technique, c’est faire l’économie du débat sur les enjeux.

La montée aux extrêmes en matière d’individualisation

En matière de sens, le distanciel aggrave l’attaque systématique dont font l’objet tous les collectifs et en premier lieu les collectifs de travail. Comme le remarque Danièle Linhart, « gérer et mettre au travail des individus assignés à leur unicité, à leur histoire personnelle, c’est plus rassurant pour des managers que de gérer des collectifs de professionnels défendant des valeurs et des intérêts communs, partageant une même expérience de travail. C’est une voie plus aisée et plus directe pour asseoir l’emprise et désamorcer tout conflit potentiellement menaçant »4.
Il est facile de voir que le travail à distance fait un pas de plus dans cette direction inaugurée depuis quelques décennies.
Il est plus difficile de comprendre que c’est le groupe et les échanges qui le constituent qui permettent à chacun et chacune de se singulariser effectivement, de construire son identité de manière créative ; à l’individualisation manipulée, il faut opposer la créativité permise par le collectif, soit l’individuation ou la subjectivation, selon le terme que l’on veut employer.
Après avoir vécu en matière de solidarité la disqualification 5 du proche au profit du lointain, avec la montée en puissance d’une approche humanitaire et caritative (les campagnes orchestrées de dons illustrant cette tendance), allons-nous assister avec le développement du distanciel à la transformation de ce qui reste de proche en lointain, ce développement dématérialisant la relation, l’immunisant, mais surtout permettant de s’en faire quitte à bon compte (dans une logique on/off) ?

Dégager le terrain

Les trois éléments précédents peuvent cumuler leurs effets ; si on a souvent insisté sur le fait que le « progrès » du distanciel pouvait laisser bien des individus et des groupes au bord du chemin (ils ne peuvent pas faire « on »), on a peut-être moins souligné qu’en matière de solidarité, ce même progrès permettait aux mieux munis de faire plus facilement « off » ou en tout cas de le faire ad libitum. Le terrain est ainsi dégagé pour que la course aux opportunités puisse être définie comme le modèle social « ouvert à tous », en faisant oublier que cette course est fictive, puisque son résultat est pré-déterminé par la possession de rentes diverses.
Que fait perdre l’adoption
de la logique dominante ?
Si nous nous concentrons plus spécifiquement sur la relation collective propre aux actions d’éducation permanente et au combat pour les droits qui la caractérise, nous ne pouvons que noter que ce combat pour les droits requiert un énorme travail sur soi. Se battre pour les droits culturels, c’est se battre pour une société où tous ont des chances effectives de se vivre comme créateurs de leur existence (et pas seulement soi ou certains). Se battre pour les droits sociaux, c’est se battre pour une société de régulation, de redistribution des richesses et de contribution collective à la solidarité. Pas de droits politiques non plus sans partage du pouvoir. Les droits, en effet, ne peuvent être qu’universels.
Mais cette universalité n’est pas abstraite, elle est concrète, elle est difficile. Si nous voulons un monde où tous peuvent vivre « égaux et différents », selon cette expression d’Alain Touraine, il faut pouvoir nous confronter concrètement à la mise en cause de tous les privilèges (donc aussi des nôtres) et de nos capacités limitées d’acceptation de la différence.
C’est dans le rapport aux corps, dans le vécu des territoires spatio-temporels, que se révèlent les limitations de notre capacité à accepter l’autre ; c’est dans ce concret-là que nos limites peuvent être mises au travail, en donnant chair au dialogue égalitaire qui fonde la démocratie culturelle et incarne le caractère universel des droits. C’est ce concret-là que nous risquons de perdre, et cette perte ne peut que renforcer la domination, qui s’accommode au mieux de la raréfaction du travail sur soi et de l’affaiblissement des collectifs.

Conclusion

Nous avons estimé que nous n’avions pas à répondre à la question de l’éducation permanente à distance sans d’abord contribuer à questionner cette question.Pour cela, nous avons proposé trois démarches, qui constituent chacune une voie réflexive pour ne pas se laisser enfermer dans une alternative (« en faire ou pas ») qui masque la restriction du sens et l’affaiblissement de la résistance au modèle dominant qu’elle sert.
Ainsi, la controverse de départ « ne faut-il pas tirer enseignement des expériences qui se sont passées et transformer les pratiques pour “accueillir” la nouveauté ? » trouve-t-elle son cadre dans la dimension sociétale qui lui donne sens et orientation :
« Une chose est l’automatisation, la robotisation, l’intelligence artificielle, autre chose la communication d’acteur à acteur où les locuteurs, les acteurs sont engagés par la totalité de leur personnalité » ; cette « communication » est la condition pour pouvoir s’opposer au pouvoir total de ceux qui peuvent combiner une action dans les champs économique, politique et médiatique 6. Où trouver en effet la force de s’opposer à un pouvoir total quand on est dépossédé, si ce n’est dans la rencontre où on peut engager la totalité de sa personnalité dans une passion joyeuse 7 qui dote de capacité créatrice collective ? N’en donnons qu’un exemple emblématique.
Fernand Deligny qui a fini sa vie en s’investissant totalement dans une tentative collective construite autour d’enfants mutiques, tentative où ne serait pas écrasée leur singularité, mais où celle-ci permettrait aux adultes vivant avec eux de percevoir des dimensions inconnues d’eux la décrivait comme suit :
« Il s’agit d’une " œuvre " dont le projet peut se dire : – " quel dommage que les gens ne perçoivent pas ce qu’un autiste perçoit ".
" Eux " qui y sont, là, autistes, " nous " perçoivent, bien sûr, mais ce " nous-là ", c’est quoi ? Et tu peux me croire si je te dis qu’entre ce " nous-là " tel qu’il nous préoccupe et le " Nous " perçu par quelque enfant autiste, il y a un " décalement " (...) qui fait " l’art de la chose ", et qui situe ce qu’il peut en être d’une tentative, art populaire » 8.
Et c’est bien cette rencontre totale d’où naît la possibilité d’une œuvre populaire qui nous paraît constituer l’enjeu politique et culturel de la question d’une éducation permanente (mise) à distance – soit l’enjeu de la possibilité effective d’une démocratie culturelle et d’une participation de toutes et tous à la production de la société où chacun et chacune apprend, du fait de vivre « égaux·ales et différent·es ». « (...) le rapport de soi à soi, la conscience de soi comme créateur de soi-même ne s’élabore et ne devient capable d’action qu’à travers la découverte de l’expérience pratique issue de la lutte contre toutes les dominations » 9. 

1. https://www.dynamique-mag.com/article/provoquer-opportunites.4830
2. L. Boltanski, Rendre la réalité inacceptable, Paris, Démipolis, 2008.
3. M. Heim, cité par P. Virilio dans La bombe informatique, Paris, Galilée, 1998, p. 35.
4. D. Linhart, L’insoutenable subordination des salariés, Toulouse, Erès, 2021, p. 71.
5. Nous ne désignons pas d’office ici l’étranger géographique, mais bien toute personne avec qui nous n’avons pas une proximité sociale et spatiale (par exemple une catégorie de personnes abordée comme telle.
6. A. Touraine, La société de communication et ses acteurs, Paris, Seuil, 2021, p. 15.
7. Cfr J. Blairon, S. Koguré et O. Bernaz, « Actions d’éducation permanente et vie associative : quelles relations ? », https://www.intermag.be/images/stories/pdf/rta2020m12n1.pdf, pp. 24 et sq.
8. F. Deligny, Correspondance des Cévennes, 1986-1996, Paris, L’arachnéen, 2018, pp. 718-719.
9. A. Touraine, La société de communication et ses acteurs, op.cit., p. 44.

Jean Blairon, Asbl RTA

Les associations en éducation permanente et/ou en insertion socioprofessionnelle ont connu une transformation radicale de leurs activités depuis le déclenchement de la pandémie. Pour garder le lien avec leurs publics souvent frappés durement par la crise, ces secteurs ont fait preuve d’une grande inventivité et d’un engagement considérable de la part des professionnel·les comme en témoignent les expériences relatées dans ces pages. Ces récits montrent aussi combien la situation a été difficile pour les militant·es, stagiaires, étudiant·es qui ont été catapulté·es dans un monde qui leur était pour la plupart étranger et dans lequel de nouveaux repères ont dû être trouvés pour maintenir leur engagement formatif et/ou militant.

L’accompagnement en AID pendant la crise

Depuis le début de la crise sanitaire, adaptation et flexibilité ont été les maîtres mots pour les membres du réseau AID. Non sans peine et sans effort, les centres ont pu traverser la crise grâce à un engagement fort des équipes. En assurant la continuité de l’accompagnement des stagiaires et de la formation, elles ont pu garder un lien constant avec les publics, au gré des confinements et des mesures qui s’appliquaient au secteur.

Il y a eu le 1er confinement, où il n’y avait aucune possibilité de se voir. Ce fut sans doute la période la plus compliquée pour les centres qui ont dû tout repenser, de l’apprentissage à distance – avec toutes les difficultés techniques que cela impliquait pour les équipes et les stagiaires – à la réorganisation des locaux et des groupes pour la reprise en présentiel, dans un contexte général particulièrement insécurisant et inconfortable. Lors du 2e confinement, rien n’a été facile non plus, tant le moral en avait pris un coup. Mais les nouvelles pratiques étaient ancrées, les mécanismes bien huilés, et la formation a pu suivre son cours grâce à la motivation des troupes.

En mobilisant leur réseau local ou personnel et grâce aux aides de la région, les centres ont pu équiper les stagiaires qui ne disposaient pas du matériel informatique adéquat pour qu’il·elles puissent suivre la formation à distance. De nombreux défis restaient néanmoins à relever pour accrocher les stagiaires au dispositif de formation malgré les freins auxquels il·elles étaient confronté·es : manque de compétences numériques, situations familiales compliquées et violences conjugales, logements trop petits pour la famille, scolarité des enfants à assurer, grande isolation sociale, précarité renforcée par le confinement. Mails et réseaux sociaux, téléphone et courrier postal, et même porte-à-porte au domicile, tous les canaux de communication ont été mobilisés pour maintenir le lien, entretenir la relation de confiance et de soutien avec les stagiaires, et assurer la cohésion des groupes, malgré la distance. Une véritable stratégie, portée collectivement, afin de ne pas laisser tomber les stagiaires les plus vulnérables a ainsi été mise en oeuvre.

Pour celles et ceux qui souffraient de l’isolement et des incertitudes, la continuité de la formation a véritablement constitué un cadre bénéfique pour continuer à aller de l’avant. Pour celles et ceux qui doutaient ou pensaient ne pas pouvoir tenir jusqu’au bout, les formateur·rices et agent·es de guidance ont redoublé d’efforts pour prendre des nouvelles, organiser des entretiens individuels, soutenir des démarches administratives rendues compliquées par la fermeture des services publics... Et force est de constater que les résultats sont au rendez-vous : il y a eu peu d’abandons et même de nombreuses sorties positives .

Grâce à la mobilisation, la force d’innovation et la créativité des équipes, la crise et ses obstacles ont été surmontés tant bien que mal. Si la rentrée de septembre reste encore incertaine, et qu’une certaine fatigue se fait sentir, il n’est pas à douter que les équipes tiendront le cap pour les stagiaires. Mais tout le monde espère se retrouver en personne pour raviver l’informel et l’humain qui animent nos actions. 

Séverine ANDRÉ, Chargée de projets, AID

Des marches féministes

Pendant la crise, et en fonction des critères qui encadraient le nombre de personnes autorisées à se rassembler (à deux, à quatre ou à dix), nous avons maintenu ce lien social, indispensable en organisant des marches. Nous avons ainsi donné à l’action de marcher de multiples finalités : briser l’isolement, orienter et informer les femmes sur leurs droits, capter leurs réalités de vie et les faire remonter pour agir au niveau politique et public. Les marches nous ont permis de nourrir les échanges, de réaliser un travail de décodage et à chacune d'elles d’exprimer ses idées et son vécu.
À Vie Féminine Namur, nous n’avons jamais cessé d’être en mouvement. Avant la crise sanitaire, les marches étaient un moyen d'action avec les femmes : reprendre en douceur une activité physique, se renforcer entre femmes et rester en lien. Marcher entre femmes, c’est aussi une autre façon d’apprivoiser l’espace public, de se le réapproprier. Avec un public de femmes d’origine étrangère, qui ne maîtrisent pas bien le français, les marches permettent de gagner en autonomie  : apprendre à se repérer dans la ville, prendre les transports en commun, se rendre là où elles ne sont jamais allées, etc.

Nous avons aussi organisé un parcours « street art » pour découvrir les fresques peintes sur les murs de la ville de Namur et les femmes artistes. À l’occasion des journées du « Matrimoine », nous avons programmé un circuit qui mettait en lumière les femmes qui ont marqué l’histoire de la ville. Nous avons sillonné les rues pour interroger la place des femmes dans l’espace public. Enfin, dans le cadre des 100 ans de Vie Féminine, nous avons organisé des marches revendicatives et joyeuses pour engranger les kilomètres : aller jusqu’à 100 et bien au-delà... toujours (les) droit(s) devant ! Autant de réalités et de vies de femmes qui s’articulent les unes aux autres, en marchant, pour penser demain sans laisser personne sur le bord de la route. 

Manon VOYEUX, Responsable adjointe Vie Féminine Namur

L’ISCO à l’épreuve de la pandémie

La pandémie de covid-19 a représenté un coup dur pour l’ensemble des étudiant·es de l’ISCO mais de façon variable selon leur situation professionnelle et familiale. La plupart des étudiant·es de l’ISCO sont engagés dans des métiers considérés comme « essentiels » : ouvriers et ouvrières de grandes surfaces ou d’entreprise de logistique alimentaire ; aides-soignant·es et infirmier·ères en hôpital, maison de repos ou soins à domicile ; agent·e de police , éducateurs et éducatrrices sur le terrain en prévention ou encore dans des institutions d’accueil de personnes. Pour eux·elles, le stress s’est emparé brutalement de leur vie : peur de contaminer leur famille dans un contexte de propagation rapide du virus et où les conditions de protections n’étaient pas réunies, mise à l’écart par l’entourage, confrontation régulière à la mort.

Par ailleurs, la surcharge de travail, les réorganisations horaires constantes, l’organisation de la prise en charge des enfants, la vie séparés les uns des autres au sein du foyer ont également entrainé une difficulté accrue de la conciliation vie familiale et professionnelle. Les quelques étudiant·es des groupes qui n’ont pas été amené·es à travailler en première ligne ont été impactés par le chômage technique et l’isolement. La perte partielle ou totale de revenu a aussi occasionné un stress important. Les personnes sans emploi ont été quant à elles confrontées à l’isolement.
Enfin, en plus d’être travailleur·ses, les étudiant·es ISCO sont délégué·es syndicaux·ales pour la plupart. En plus des contraintes liées à leur environnement professionnel, tous et toutes ont vu une augmentation de leurs missions syndicales. Il·elles ont été confronté·es au raz de marée des travailleur·ses syndiqué·es et non syndiqué·es subissant le chômage temporaire. Après leur journée de travail, il s’agissait de gérer les dossiers, répondre aux inquiétudes, interpeller des directions malveillantes, etc.

 Adaptation du cadre formatif

Malgré le report des cours dans la première phase du confinement, des activités à distance ont été programmées pour maintenir le contact avec les étudiant·es et créer des opportunités pour qu’il·elles restent en contact. Que ce soit par téléphone ou vidéoconférence, les ressentis et les vécus de chaque personne ont été recueillis à un moment où les personnes étaient dans la découverte de la pandémie, dans l’isolement, mais aussi dans la peur du virus. Un travail de soutien, d’écoute et de partage au sein des groupes a été mené par les coordinatrices et coordinateurs de l’ISCO. Ils ont redoublé d’efforts pour assurer le suivi de leur groupe sans avoir toutefois la possibilité de les rencontrer.
La reprise des cours en septembre a nécessité un travail de conviction pour limiter le nombre d’abandons. Et malgré les pertes ainsi contenues, les groupes ont redémarré affaiblis. L’infrastructure nécessaire à la tenue des cours à distance a été mise en place. Les formatrices et les formateurs ont accompagné les étudiant·es dans leur adaptation à la formation à distance. La formation ISCO est une formation d’éducation permanente, qui se base fortement sur le vécu, l’expérience et les savoirs des étudiant·es, et qui, dans sa conception et son fonctionnement, donne une place importante à la coconstruction des cours et à la collaboration entre étudiant·es et formateur·rices. Cette dimension d’éducation permanente a eu le plus de mal à être transposée dans des modalités d’enseignement à distance.

Implication dans la formation

Dans ce contexte où s’entremêlent les difficultés professionnelles, familiales et syndicales, les répercussions sur les conditions de vie et le moral des étudiant·es ont été importantes et dans certains cas ont mis à mal leur participation dans la formation. La situation très laborieuse tant physiquement que psychologiquement mais aussi la mise à distance des cours et son lot de complications ont affecté la motivation des étudiant·es.

  • « La maison, c’est le bureau et la formation et vice versa. En étant tout le temps connectée, je reçois des mails, des infos etc. et je n’arrive plus à cibler mes priorités et à m’y tenir. J’ai par moment l’envie de tout lâcher. » (étudiante) 
  • « Je vis très mal cette formation virtuelle. La présence des autres me motive et me sublime. Je suis beaucoup plus créatif en présentiel. Un manque de dynamisme s’est installé et souvent l’ennui se fait ressentir. » (étudiant)
  • « Notre équipe fonctionnait bien et était bien rodée. Je ne retrouve plus cette manière de fonctionner car les groupes se font et se défont selon les cours. Pour bien fonctionner j’ai besoin d’avoir une équipe stable. » (étudiant)

Pour les plus « fracturé·es » du numérique, la plongée dans l’univers des cours à distance a comporté d’autres obstacles : manque d’équipement, de concentration, d’interactivité, de familiarité avec les plateformes, difficultés à poser des questions, incompréhension, connexion internet parfois difficile... Ainsi, de nombreux défis ont dû être surmontés pour rester accroché au dispositif. Ce fut donc un apprentissage au jour le jour pour se connecter, discuter, interagir, etc. Mais le défi fut relevé grâce au mérite, à la force et le courage des étudiant·es qui ont dû et doivent porter ces multiples casquettes et au soutien des équipes pédagogiques qui ont aussi pu s’adapter à la nouveauté et la complexité de la situation. 

Anne-France MORDANT, Permanente au CIEP

Crédit photo : Max Vakhtbovych

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