pexels william fortunato 6392985Une nouvelle étude commanditée par la FEC 1 à l’Observatoire social européen fait le point sur les principales mesures de protection sociale adoptées en réponse à la pandémie dans les 27 pays de l’Union européenne (UE). La recherche porte sur les dispositifs de maintien dans l’emploi, les allocations de chômage, les indemnités et prestations de maladie ainsi que sur les congés parentaux corona. Elle s’intéresse particulièrement aux travailleurs et travailleuses atypiques et aux indépendants et indépendantes. Ont-ils et elles bénéficié d’une couverture sociale suffisante pour faire face aux bouleversements induits par la pandémie de Covid-19 ? Pour paraphraser George Orwell, on pourrait dire que « tous les travailleurs sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres ».

Télécharger l'article complet en PDF

La crise engendrée par la pandémie de Covid-19 et les diverses mesures de confinement ont fortement affecté les marchés du travail dans le monde. La chute de l’emploi total a été la « plus forte baisse jamais observée sur deux trimestres successifs depuis 1995 » 2. Par ailleurs, cette crise intervient dans un contexte où, depuis des décennies et surtout depuis la crise économique de 2008, on assiste à un détricotage progressif du droit du travail au nom de la flexibilité. En effet, la restructuration de l’économie et des marchés du travail, en particuler pendant la crise économique de 2008, et le  développement de l’économie de plateforme 3 ont entrainé une augmentation des nouvelles formes de travail atypique telles que les contrats sur appel, les contrats zéro heure, le travail indépendant individuel ou le cumul de mini-jobs. Les effets économiques de la pandémie ont notamment gravement affecté les travailleurs et travailleuses atypiques et les indépendants et indépendantes.

Toutefois, le chômage n’a augmenté que modérément en 2020, à des degrés divers dans les États membres et à des rythmes différents durant les phases de confinement 4. Le fait que le chômage n’ait pas explosé malgré une baisse du taux d’emploi est principalement dû aux régimes de protection sociale mis en place dans l’urgence. Zoom sur ces mesures spécifiques au sein des 27 États membres de l’UE et de leurs implications en faveur des travailleur·ses atypiques et indépendant·es.

L’accès aux dispositifs de maintien de l’emploi : une nécessité

Les dispositifs de maintien de l’emploi, sous forme de subventions salariales ou de chômage partiel, ont soutenu plus de 42 millions d’emplois dans l’UE en 2020 5, soit un quart de la main-d’œuvre totale européenne, c’est-à-dire environ dix fois plus que pendant la crise financière de 2008-2009. Ces dispositifs ont permis d’une part aux travailleur·ses de conserver leur emploi et leur revenu (total ou partiel) et, d’autre part, aux employeurs de conserver le personnel nécessaire au fonctionnement et à la stabilité de l’entreprise.

La plupart des États membres disposaient déjà de tels dispositifs avant la pandémie, mais de nombreuses améliorations ont été apportées pour en faciliter l’accès. Si l’accès des travailleur·ses atypiques à ces dispositifs avait déjà été amélioré durant la crise financière de 2008, certaines catégories telles que les intérimaires ou les étudiant·es peuvent toujours en être exclues. De même, les travailleur·ses atypiques ne répondant pas aux critères d’éligibilité (nombre d’heures prestées, périodes de référence) peuvent également se voir refuser l’accès à ces dispositifs.

Il s’agit pourtant d’un aspect particulièrement préoccupant dans le contexte de la crise du Covid-19, car les secteurs les plus touchés sont de gros pourvoyeurs de travail atypique 6. À cet égard, des changements importants sont intervenus au cours de la pandémie. L’Allemagne a ainsi permis aux travailleur·ses intérimaires d’accéder au dispositif de chômage partiel alors qu’en Belgique, les travailleur·ses intérimaires, qui poursuivent leur travail auprès du même employeur ont pu exceptionnellement prétendre au chômage temporaire pendant un arrêt de travail lié au Covid-19. La France a inclus dans ses dispositifs de chômage partiel les salarié·es dont les heures de travail ne peuvent être fixées à l’avance, les commerciaux·ales, les travailleur·ses domestiques payé·es à la tâche, les travailleur·ses intermittent·es du spectacle, les mannequins et les étudiant·es. L’Espagne a supprimé les conditions d’éligibilité au régime de chômage temporaire, etc.

En ce qui concerne les régimes ordinaires de prestations de chômage, une grande majorité d’États membres a mis en œuvre des mesures relatives aux conditions d’éligibilité ou de perception des indemnités, mesures réduisant les périodes d’attente et bénéficiant de la sorte aux travailleur·ses temporaires et à temps partiel, qui ont généralement des difficultés à remplir les conditions d’éligibilité. Pour les indépendant·es (quand il·elles sont inclus·es), les périodes d’attente et autres conditions spécifiques liées à leur statut ont été modifiées dans certains pays où il·elles avaient déjà accès au chômage partiel.

Toutefois, même dans ce contexte de pandémie, les régimes de chômage restent les plus inaccessibles pour certaines catégories de travailleur·ses atypiques et d’indépendant·es, et les règles régissant l’accès formel de ces groupes n’ont pas été modifiées durant la première vague, à quelques exceptions près. En d’autres termes, celles et ceux qui n’avaient pas, préalablement, d’accès formel aux allocations de chômage en sont resté·es exclu·es durant la pandémie.

Pour pallier la perte de revenus de ces travailleur·ses, des dispositifs ad hoc sous forme d’aides forfaitaires, sous conditions de ressource et temporaires, ont été adoptés dans la plupart des pays. Ces mesures temporaires de soutien au revenu étaient principalement destinées aux indépendant·es, parfois à une certaine catégorie d’indépendant·es seulement (comme les artistes), et à d’autres travailleur·ses atypiques tels que les travailleur·ses saisonnier·ères, les étudiant·es, les employé·es de maison et même les travailleur·ses informel·les. Dans la quasi-totalité des cas, ces prestations ont été prises en charge par le budget général de l’État.

Indemnités et prestations de maladie 

La grande majorité des pays de l’UE ont adopté des mesures visant à adapter les indemnités de maladie aux nouvelles circonstances de la pandémie. Parmi les mesures les plus répandues, notons, premièrement, l’élargissement des circonstances couvertes par les indemnités ou les prestations de maladie en dehors des cas de maladie réelle. À cet égard, pas moins de 25 États membres ont adopté des mesures accordant des indemnités de maladie aux travailleur·ses soumis·es à une quarantaine obligatoire pour des raisons liées au Covid-19 (par exemple, parce qu’il·elles ont eu des contacts avec une personne infectée ou parce qu’il·elles reviennent de voyage dans des zones à risque) ou aux travailleur·ses (principalement des employé·es et pas les indépendant·es) appartenant à des groupes particulièrement exposés au risque de développer des formes graves de maladie s’il·elles sont infecté·es par le Covid-19.

Deuxièmement, certains pays ont réduit ou supprimé les périodes d’attente, c’est-à-dire le nombre de jours pendant lesquels le·la travailleur·se n’a accès à aucune indemnisation en cas de maladie. Si, dans la plupart de ces pays, les délais d’attente n’ont été supprimés que pour des circonstances liées au Covid-19 (par exemple, une infection ou une quarantaine obligatoire), dans quelques pays, cela s’applique également aux délais d’attente pour percevoir les indemnités maladie de manière générale. Troisièmement, dans pas moins de dix États membres, le niveau des indemnités de maladie pour des circonstances liées au Covid-19 est plus élevé que le niveau des indemnités ou des prestations de maladie ordinaires. Seules la Belgique et la Suède ont fixé des indemnités de maladie plus élevées que dans la période prépandémique y compris lorsque le congé maladie n’est pas lié au Covid-19. Quatrièmement, dans plus de la moitié des pays de l’UE, les gouvernements nationaux et les institutions de sécurité sociale sont intervenus pour réduire les charges des employeurs dans le paiement des indemnités maladie liées au Covid-19.
Enfin, dans douze États membres, les infections au Covid-19 contractées sur le lieu de travail ou pendant l’exercice d’activités liées au travail ont été reconnues comme – ou assimilées à – une maladie professionnelle ou un accident du travail. Cette reconnaissance a des implications importantes sur le niveau des prestations accordées aux travailleur·ses (généralement plus élevées que les indemnités de maladie ordinaires) et sur la possibilité d’avoir un accès immédiat à un soutien financier, sans aucune période d’attente. Cela dit, dans certains de ces pays, seul·es les travailleur·ses de certains secteurs spécifiques peuvent prétendre à ces prestations.

Dans la plupart des pays de l’UE, les mesures adoptées pendant la pandémie ont renforcé la protection offerte aux travailleur·ses en cas de maladie. Cependant, l’impact de ces changements sur l’adéquation et l’inclusivité des systèmes nationaux d’indemnités de maladie ne doit pas être surestimé. En effet, toutes les mesures identifiées sont temporaires : elles ne sont censées rester en vigueur que pendant la durée de l’état d’urgence dû à la pandémie. La plupart de ces mesures ne concernent que les circonstances liées au Covid-19 : seuls quelques changements ont concerné les indemnités et les prestations de maladie versées pour des raisons autres que le Covid-19. De plus, ces mesures comblent rarement les lacunes existantes en termes de protection de catégories spécifiques de travailleur·ses  – par exemple les salarié·es atypiques et certaines catégories de travailleur·ses indépendant·es – qui peuvent être exclu·es d’une couverture effective parce qu’il·elles ne remplissent pas les critères d’éligibilité tels que des périodes d’emploi minimales ou des cotisations minimales versées. Ces critères ont été assouplis pendant la pandémie dans cinq pays 7 au maximum et uniquement pour les prestations concernant le Covid-19. Pour le reste, aucune mesure spécifique visant à assurer une meilleure protection de ces catégories de travailleur·ses n’a été mise en œuvre jusqu’à présent.

Le rôle central du genre dans les régimes de congés parentaux

Dans le cadre des mesures de confinement, la plupart des gouvernements ont opté pour une fermeture totale des crèches et des écoles, une mesure ayant affecté non seulement des millions d’enfants à travers l’Europe, mais également leurs parents actifs contraints de concilier leurs obligations professionnelles et familiales pendant cette période.
Pour faire face à cette situation, tous les États membres, exception faite de la Croatie, de l’Estonie, de l’Irlande, de la Hongrie et des Pays-Bas, ont introduit des dispositifs particuliers de congés parentaux souvent qualifiés de « congés corona ». Leur durée correspondait généralement à la période de confinement, mais dans certains cas, les mesures ont été prolongées jusqu’à la fin de 2020 voire au-delà. Initialement adoptées en réponse à la fermeture d’écoles et de garderies, certaines de ces mesures ont été étendues en cas de mise en quarantaine d’un enfant, indépendamment de la fermeture des écoles.

Les indépendant·es étaient généralement couvert·es par ces dispositifs. Lorsqu’il·elles y ont accès, il·elles ont généralement droit au même taux de compensation que les salarié·es à l’exception de quelques États tels que la Belgique, la Tchéquie ou le Portugal où le montant est inférieur. Certain·es travailleur·ses atypiques tel·les que les intérimaires en Belgique, les mini-jobbers en Allemagne ou les travailleur·ses domestiques au Portugal ont été inclus·es dans ces dispositifs particuliers de congés parentaux. Onze États membres rémunèrent ces congés spécifiques au même niveau ou à un niveau plus élevé que le chômage partiel ou le chômage temporaire. Cela pourrait indiquer que le gouvernement n’accorde pas seulement une valeur comparable au travail découlant des responsabilités familiales, mais reconnaît également l’importance des revenus des deux parents pour le ménage et le droit des femmes et des hommes à un revenu indépendant (Rubery et Tavora 2021). Lorsque le congé n’est pas rémunéré (comme en Espagne) ou qu’il est soumis à des conditions de ressources et est très faiblement rémunéré (comme en Bulgarie), les personnes qui s’occupent des enfants, généralement des femmes, deviennent économiquement dépendantes des autres membres de la famille. Ces problèmes sont exacerbés pour les parents isolés, là aussi principalement des femmes. Certains États tels que la Belgique, l’Allemagne et la Tchéquie ont cependant reconnu cette plus grande vulnérabilité et ont prévu des règles spécifiques pour les parents isolés en termes de prestations ou de durée du congé.

Des recherches préliminaires ont montré que les femmes ont été parmi les grandes perdantes de la pandémie, car elles ont continué à assumer la plupart des responsabilités familiales pendant cette période. Il est dès lors crucial, lors de la conception et de la mise en œuvre d’un régime de congé spécifique, de tenir compte de l’impact genré : un régime peut aboutir à une plus grande équité si certaines incitations à un partage des responsabilités sont accordées ou, à l’inverse, à une répartition inégale des charges familiales. La situation varie considérablement d’un État membre à l’autre. En Bulgarie, les employeurs sont uniquement tenus d’accorder un congé parental aux mères et aux pères célibataires, ce qui renforce le rôle des femmes en tant que principales responsables des soins. En revanche, les régimes de congé parental en Belgique (où chaque parent n’a droit qu’à une réduction du temps de travail de 50 %) et en Italie (prônant l’alternance entre les deux parents) ont été conçus pour encourager les parents à partager les responsabilités 8.

Conclusions

Les mesures prises dans le domaine de la protection sociale en réponse à la pandémie de Covid-19 ont principalement bénéficié aux travailleur·ses qui avaient déjà un accès formel à la protection sociale et qui ont bénéficié d’un meilleur accès effectif. Nous n’avons pas observé de mesures qui ont vocation à devenir permanentes. Quant à l’inclusion de certaines catégories spécifiques de travailleur·ses atypiques, il reste à voir si celle-ci sera maintenue après la pandémie. Aussi impressionnantes que soient les mesures prises d’un point de vue comparatif (par exemple vis-à-vis des États-Unis), l’impact de la crise du Covid-19 sur la protection sociale des travailleur·ses n’ayant pas accès à la protection sociale a été principalement traité par des mesures ad hoc, d’urgence, généralement à charge du budget de l’État.

Cette crise sanitaire soudaine a mis en évidence les graves lacunes des systèmes de protection sociale. Le fait que les États membres aient dû s’attaquer d’urgence aux conditions d’éligibilité et créer de nouveaux régimes de protection sociale montre que des milliers de personnes n’auraient pas eu de remplacement de revenus. La crise a clairement rendu visibles et renforcé les inégalités d’accès à la protection sociale sur les marchés du travail. La pandémie a mis un coup de projecteur sur le rôle central de la protection sociale, rappelant aux décideur·ses politiques et aux citoyen·nes le rôle essentiel d’une protection sociale forte pour amortir les conséquences potentiellement désastreuses des crises socioéconomiques sur l’emploi. 

Slavina SPASOVA, Sebastiano SABATO, Dalila GHAILANI, chercheur·ses seniors et Boris FRONTEDDU, chercheur à l’Observatoire social européen

Crédit photo : Pexels