accompagnement domicileLa pandémie a rendu visibles certains métiers traditionnellement dévalorisés tels que l’accompagnement à domicile : aides-familiales, aides-ménagères, aides-soignantes, gardes à domicile 2. Mais elle a aussi aggravé leur situation. Elle a porté au-devant de la scène nombres de leurs enjeux, liés notamment à la faible reconnaissance des métiers féminisés ainsi qu’à la position d’infériorité de certain∙es intervenant∙es du secteur socio-sanitaire dans la gestion de la crise. Des pistes pour permettre de « travailler avec le virus » doivent être discutées et mises en place pour que ces métiers essentiels continuent de fonctionner et de rester attractifs.

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Dans la hiérarchie des métiers, ceux qui sont le plus féminisés sont généralement moins bien rémunérés que ceux occupés par une majorité d’hommes. Cette inégalité s’observe aussi dans les métiers à plus grande mixité. Dans les métiers fortement féminisés et dits essentiels comme ceux du secteur socio-sanitaire, la forte concentration de femmes (environ 90 % pour l’aide à domicile) et le fait qu’elles sont souvent issues de catégories marginalisées de la population (personnes peu qualifiées, racisées et/ou peu visibles dans les luttes sur le terrain et peu défendues) sont des éléments souvent avancés pour expliquer leur faible valorisation. Leur quasi-absence des niveaux décisionnels et des instances de négociation ou des organes de représentation renforce cet état de fait.

Au sein du secteur socio-sanitaire, une distinction supplémentaire s’opère en outre entre le care (relation étroite à l’Autre, attachement émotionnel aux usager·ères et implication morale) et le cure (soin médical associé aux savoirs de haute technicité, universalisme et neutralité affective). Ces deux dimensions, pourtant imbriquées dans la pratique, ne bénéficient pas de la même considération, le care étant vu comme secondaire par rapport au cure : plus on s’éloigne de l’hôpital et/ou du médical (cure), moins la fonction est valorisée (financièrement et symboliquement). La difficulté (technicité, responsabilités, charge physique et nerveuse) et l’exposition aux risques (de stress, d’infections) des fonctions de care, telles que nettoyer, prendre soin des autres ou aider, sont en outre rendues invisibles par un discours vocationnel genré, exaltant l’engagement personnel et moral traditionnellement associé aux femmes.
La réponse essentiellement sanitaire à la crise provoquée par le Covid-19 a renforcé cette hiérarchie en excluant, par exemple, les métiers du domicile (care) de la communication politique. Cela s’est traduit, dans le contexte de grave pénurie du début de la crise, par un accès moindre au matériel de protection et à l’absence d’instructions claires adaptées aux métiers du domicile. Dans ces conditions, des services ont dû cesser leurs activités (notamment l’aide-ménagère) ou les diminuer, afin de préserver la santé des travailleur·ses et celle de leurs bénéficiaires.
L’aggravation des conditions dans lesquelles les travailleuses articulent travail et famille fait également partie de l’impact économique du Covid-19 sur le secteur. En plus d’appartenir à la catégorie de sexe la plus exposée au risque d’infection 3, les travailleuses de première ligne ont fait face, chez elles, à des tâches supplémentaires liées au confinement de leurs propres familles. Cette situation inédite exacerbe leur charge mentale et augmente les risques post-traumatiques. Au moment où l’épidémie a surgi, les fédérations wallonnes du domicile négociaient plusieurs mesures en vue d’améliorer leur situation et de mieux répondre aux besoins de la population : augmentation du contingent d’heures, normes d’encadrement, passage du statut d’ouvrier·ère à employé·e. Certaines restent acquises, mais il y a incertitude sur les autres.

Vivre et travailler avec le virus

Alors qu’un reconfinement, au moins partiel et/ou local, n’est pas exclu en raison d’une accélération de la propagation du virus, ces travailleur·ses restent exposé·es. Il faut veiller à les rassurer sur la présence d’un matériel correct et en quantité suffisante sur le moyen et long terme. Cela devra prioritairement être fait en leur donnant la possibilité d’être entendues sur leurs nouvelles conditions de travail nécessitant de penser leur propre protection, ainsi que celle des bénéficiaires. En effet, un des points critiques dans cette situation d’urgence et de ressources rares a été l’absence de critères pour intervenir dans les situations où il y a (soupçon) d’infection sur base d’une épidémie massive. Le domicile, et plus généralement le secteur du care, a besoin de principes d’actions, d’instructions (et de protocoles), négociés avec les travailleur·ses pour lui permettre de travailler en toute sécurité.
Certain·es travailleur·ses ont dû faire face aux conséquences financières du chômage économique imposé par la période de confinement car, contrairement à d’autres métiers de l’ambulatoire, aucun télétravail n’a pu être envisagé pour eux·elles. D’autres, qui ont été particulièrement sollicité·es pendant le confinement, ont dû continuer à travailler sans avoir eu de répit. De leur côté, les bénéficiaires et leurs familles recommencent, une fois le pic de la crise passée, à externaliser une partie de la charge du care et du travail domestique pour « souffler ». Pour répondre à ce triple enjeu, il est important de permettre un système d’organisation du travail qui veille à la santé et au bien-être des travailleuses (par exemple par la rotation sans perte de salaire), un système de subventionnement adapté à la crise, ainsi que la possibilité de réaffecter certains budgets pour maintenir les emplois.
À un niveau plus global, cette situation de pandémie a révélé le besoin d’une cellule de crise collégiale au niveau fédéral, rassemblant toutes les instances sanitaires et sociales, y compris le domicile (cabinets, institutions, fédérations) et prête à fonctionner en situation de retour majeur du risque.
Le secteur du domicile travaille avec des publics vulnérables et à risque de complications en cas de Covid-19. Il doit être associé à la prévention (par exemple concernant le respect des gestes barrières chez les bénéficiaires, du nettoyage et de la désinfection du domicile). L’intégration effective d’une représentation du secteur du domicile dans les différents plans de relance économique, à côté de l’hôpital et du secteur médical, sera également source d’efficacité en ce début de seconde vague 4.
Face au manque de reconnaissance du secteur, il serait pertinent de mettre en place un cadastre des métiers du domicile, associant les nouvelles initiatives d’accompagnement des personnes (soutien psychologique, répit, etc.) permettant de rendre visibles et reconnaître les compétences au sein du secteur. Il permettra de mieux évaluer l’importance fondamentale du care pour le cure dans un plan global en cas de (future) crise sanitaire et sociale.

La crise a révélé le risque et la pénibilité des métiers du care. Il est important de prendre appui sur cette reconnaissance pour soutenir les demandes de développement du secteur (assurance autonomie, augmentation des contingents d’heures, amélioration des normes d’encadrement et des conditions de travail, opportunités d’évolution dans la carrière au sein et en dehors du secteur, etc.). Plus généralement, il est impératif d’accompagner un changement de discours et de regard sur les métiers du care pour les « dénaturaliser » et les « dégenrer ». Y attirer davantage les hommes est une piste envisageable. Le renforcement des politiques de congés parentaux et une réduction généralisée du temps de travail pourraient également faciliter l’implication durable des hommes dans le care en général.
Une procédure pour systématiser le travail en réseau et la communication entre l’hôpital et le domicile doit être établie pour faire face, en tout temps, à des sorties d’hôpitaux de patient·es qui sont renvoyé·es chez eux·elles pour libérer des lits.
Le secteur du domicile n’a pas bénéficié d’investissements au niveau des équipements technologiques. Or en situation de crise, les dispositifs de santé à distance 5 permettent la transmission d’informations entre professionnel·les et le maintien du contact avec les bénéficiaires (particulièrement problématique en situation de confinement). Il faut donc réfléchir de manière collégiale, structurée et réfléchie à l’introduction des nouvelles technologies, en veillant à ne pas en faire ni des instruments de contrôle et de surveillance des travailleuses, ni des outils dont la charge mentale (de récolte et de gestion des données) reviendrait, à nouveau, à ces mêmes travailleur·ses.
À cette occasion, une réflexion éthique doit être menée afin de prendre en compte les conditions morales de l’exercice des métiers du care. Si le souci de l’Autre s’y impose comme un quasi-impératif catégorique, il importe dès lors d’en discuter le périmètre, les conséquences et contradictions à l’œuvre dans les organisations, souvent en tension entre enjeux des bénéficiaires et des travailleur·ses. Un comité expert en éthiques du care et paritaire devrait être mis sur pied et consulté.
Le personnel issu de l’immigration dont la situation au regard des papiers n’est pas stabilisée n’a souvent pas accès aux mécanismes qui permettent de soutenir leur propre charge de care familial. Il est primordial de procéder à la régularisation des travailleur·eus·es informel·les dans l’aide et les soins à domicile des personnes âgées ou dépendantes. Cette régularisation est l’une des mesures essentielles pour enrayer la dévalorisation socio-économique et symbolique du secteur et de ses travailleur·ses. 

 1. Cet article constitue une synthèse actualisée de la publication suivante : Rachida Bensliman, Annalisa Casini, Florence Degavre,
Ela Callorda Fossati, Nathalie Grandjean, Céline Mahieu, Laura Merla, « Les métiers de l’accompagnement à domicile dans la stratégie de déconfinement », 10 mai 2020, Carta Academica, Le Soir, https://www.cartaacademica.org/post/les-m%C3%A9tiers-de-l-accompagnement-%C3%A0-domicile-dans-la-strat%C3%A9gie-de-d%C3%A9confinement.
2. Le périmètre empirique de la note a volontairement été limité à l’aide à domicile. Certains éléments de cette note sont cependant valables pour d’autres métiers à forte dimension de care.
3. Pour les catégories de personnes en âge de travailler, les données du bulletin épidémiologique belge (Sciensano, 27 septembre 2020) montrent clairement que les femmes sont plus nombreuses à avoir contracté le virus que les hommes depuis le début de l’épidémie. La Belgique constitue à cet égard une exception.
4. C’est ce que prévoit, entre autres, l’avis du CESE Wallonie dans son point 8 : https://www.cesewallonie.be/sites/default/files/uploads/avis/1443_Get%20up%20Wallonia.pdf
5. e-Health et mHealth

Annalisa CASINI, CIRTES/IPSY, UCLouvain et Florence DEGAVRE CIRTES/IACCHOS, UCLouvain

© Matthias Zomer / Pexels

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