photo titre service siteLe nouveau Gouvernement wallon souhaite étendre le mécanisme des titres-services à l’accueil et au transport des enfants de 3 à 11 ans. Cette proposition est perçue comme un détricotage des évolutions qui ont permis au secteur de l’accueil, et spécifiquement à celui de l’extrascolaire visé par la mesure, de se renforcer et de se professionnaliser ces dernières années. Mais en quoi le dispositif n’est-il pas adapté pour accueillir de telles activités ? Éclairage.

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Le système des titres-services a été instauré en 2001 avec le triple objectif de sortir des travailleur·euse·s du travail au noir, d’augmenter le taux d’emploi, principalement des personnes peu formées, et d’améliorer la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Par le biais d’une intervention publique dans le coût salarial et d’une déduction fiscale, qui s’ajoutent à la possibilité pour les employeurs concernés de recourir aux aides à l’emploi habituelles, il représente un canal de subvention d’activités qui relèvent essentiellement du créneau du travail domestique, auxquelles il faut ajouter le transport de personnes handicapées.
Le secteur s’est imposé au fil du temps dans le paysage économique belge. Ce sont 140.171 travailleur·euse·s (en fait très majoritairement – 98 % – des travailleuses) soit 79.002 équivalents à temps plein (donc en grande partie des travailleuses employées à temps partiel). Ce secteur représente aujourd’hui 3,1 % de la population active.
Le système répond manifestement à une demande, du côté des utilisateur·rice·s comme du côté des travailleur·euse·s ; demande qui augmente d’année en année : en 2016, un peu plus d’un ménage belge sur cinq recourait aux titres-services 1. Cela veut dire aussi que près de quatre ménages sur cinq n’y recourent pas alors que, le cas échéant, ils souhaiteraient pouvoir le faire. Est donc posée d’emblée la question du bien-fondé de l’affectation de moyens publics considérables 2 dans ce secteur.
Créé initialement au niveau fédéral, le système a été transféré aux Régions en 2014, dans le cadre de la 6e réforme de l’État. Les Régions ont donc désormais la pleine compétence pour fixer le cadre réglementaire et les paramètres du système, seule la relation de travail entre l’employeur·euse, le travailleur·euse et l’utilisateur·rice (« contrat de travail titres-services ») restant gouvernée par le droit du travail, de compétence fédérale.
Dans sa récente Déclaration de politique régionale pour la Wallonie 2019-2024 3, le Gouvernement wallon a annoncé vouloir étendre le système actuel des titres-services à l’accueil et au transport d’enfants de 3 à 11 ans. « Ce mécanisme permettra, dit-il, de proposer une alternative de qualité aux parents qui ont des horaires tardifs tout en créant de l’emploi stable et de qualité dans ce secteur. Le Gouvernement veillera au renforcement des qualifications et à une formation adéquate des encadrants. » Cette annonce a suscité les mêmes réactions négatives, de la part du secteur de l’accueil comme des organisations syndicales 4, que l’idée semblable formulée en 2009 et rapidement abandonnée par Joëlle Milquet, à l’époque ministre fédérale de l’Emploi.
Quelles sont les raisons de cette opposition ? Cette opposition ne concerne pas, faut-il le dire, l’idée qu’il faut développer le secteur de l’accueil de l’enfance, tout comme d’ailleurs d’autres activités d’aide aux personnes. Au contraire, les opposants n’ont de cesse de réclamer de nouveaux moyens pour financer ces secteurs afin de développer une offre de services qui réponde aux attentes et besoins des familles dans une perspective d’équité d’accès et de qualité des emplois et des services.
Ce sont précisément ces critères d’équité et de qualité qui sont questionnés par la critique du système des titres-services. Car celui-ci ne permettra pas un accès démocratique aux services en raison de son prix trop élevé pour certaines familles. Et il n’assurera pas un accueil par des professionnel·le·s qualifié·e·s garantissant notamment la continuité de l’accueil prônée par le code qualité de l’ONE.

Un mode de subvention rudimentaire

L’argument essentiel pour ne pas « étendre le système des titres-services » au secteur de l’accueil de l’enfance est que ce mode de subvention est bien trop rudimentaire. Or, s’il est déjà rudimentaire pour les activités actuellement reconnues, il ne peut l’être que davantage pour des activités liées au soin telles que l’accueil de l’enfance nettement plus exigeantes que celles de l’aide à domicile.

Le système des titres-services ne permettra pas un accès démocratique aux services en raison de son prix trop élevé.

Le caractère rudimentaire du système des titres-services avait déjà été démontré dans un article précédent au sujet des activités actuelles (aide-ménagère, repassage ou transport de personnes handicapées) 5. Il est directement lié au mécanisme lui-même, qui veut que l’utilisateur·rice achète des « chèques » qui à la fois lui servent à payer sa part contributive et servent à l’entreprise pour obtenir l’intervention publique. Pour que ce système fonctionne, il ne peut qu’être simple au niveau de l’utilisateur·rice et de l’employeur, et donc simpliste du point de vue de la subvention publique.
Ainsi, le dispositif des titres-services ne permet pas de différencier les utilisateur·rice·s. Qu’il s’agisse d’un ménage riche qui paie par le biais des titres-services une partie de sa domesticité ou d’une personne dépendante de revenus modestes, le montant à payer reste le même. Et demain, qu’il s’agisse d’un ménage dont les deux partenaires travaillent qui recourt aux titres-services pour pallier les difficultés de conciliation de la vie professionnelle et familiale ou d’une femme seule qui élève ses enfants et en a besoin pour préserver son emploi, la part payée sera identique. Comment le justifier ?
Le dispositif ne distingue pas non plus le type d’activités prestées. Une heure de travail prestée au domicile de l’utilisateur·rice qui fournit les outils, le matériel et l’environnement de travail est tarifée au même prix qu’une heure de repassage dans l’atelier de l’entreprise qui paie le matériel, le chauffage, l’éclairage, etc. Et demain, il en sera de même, quelle que soit l’activité organisée (transport, activité ludique et éducative, simple présence), l’environnement dans lequel elle aura lieu (au domicile du prestataire, de l’enfant, ou à l’extérieur), le type de matériel utilisé, etc. Est-ce justifié ?
Enfin, est-ce justifié que pour prendre en compte les différences entre les travailleur·euse·s, il faille opérer une combinaison peu transparente entre l’intervention dans les titres-services, elle-même uniforme, et des aides ciblées à l’emploi ? Et demain, comment différenciera-t-on un·e prestataire formé·e adéquatement à l’accueil de l’enfant d’un·e prestataire peu ou pas qualifié·e ?

S’inspirer du système de l’assurance maladie ?

En raison de ce caractère rudimentaire, le système des titres-services est donc incapable de moduler ses interventions en fonction des trois variables précitées : type d’utilisateur·rice, d’activité et de travailleur·euse. Mais, il présente, dit-on, l’avantage d’offrir à l’utilisateur·rice le choix entre plusieurs opérateurs. Ces deux caractéristiques sont-elles compatibles au sein d’un même système ? Il existe d’autres systèmes de subventions publiques qui combinent interventions calibrées et choix de l’utilisateur·rice dont le plus connu est tout simplement l’assurance maladie, qui rembourse des actes de soin selon les paramètres pertinents.

Il n’y a aucune raison de considérer que la rémunération du prestataire doit toujours se limiter au salaire minimum.

Le premier de ces paramètres est la rémunération du prestataire. Légitimement, celle-ci peut être différente selon la qualification du prestataire et la nature de la prestation. Il n’y a aucune raison de considérer qu’elle doit toujours se limiter au salaire minimum. Dans le secteur actuel des titres-services, se fait déjà jour la revendication d’une progression de carrière. De telles revendications seraient tout autant légitimes dans des secteurs comme l’accueil de l’enfance ou l’aide aux personnes.
Le second paramètre concerne les conditions d’agrément dans le chef du prestataire. On peut admettre que ces conditions sont rudimentaires s’il s’agit de travail ménager. C’est déjà moins le cas s’il s’agit de transport de personnes. Que penser alors des conditions d’accueil de l’enfance qui sont soumises à des règles strictes de qualité du service, de l’environnement et des normes d’encadrement, incluant bien entendu la qualification du personnel qui y est affecté.
Et enfin, en matière d’accueil de l’enfance, il est indispensable de tenir compte, comme dans l’assurance maladie, des capacités contributives des bénéficiaires et de leurs besoins. Comme le rappelle l’ONE « Pour l’ensemble du secteur de l’enfance, un accueil de qualité doit répondre avant tout, et le plus adéquatement possible, aux besoins des enfants : besoin de sécurité tant physique qu’affective, besoin de bien-être au sens large, besoin d’apprendre. Tout cela suppose d’un vrai projet pédagogique et éducatif visant le développement global de l’enfant, le respect de son rythme de vie en tenant compte de son âge et de son développement » 6.
Financer des dispositifs d’aide aux personnes par un cadre aussi rudimentaire que les titres-services va à l’encontre des efforts déployés pour professionnaliser le secteur de l’accueil, le renforcer et lui assurer une accessibilité d’accès et une qualité de service.

Marchandisation des services

Bien que le secteur des titres-services soit largement subsidié par les pouvoirs publics, la majorité des entreprises qui y sont actives, 84 % à Bruxelles par exemple, sont des entreprises commerciales.
« Avec la mesure de titre-service, un nouveau type de régulation « quasi-marchande » est introduit dans le champ de l’aide à domicile dans laquelle des prestataires de nature différente – publics, privés lucratifs, et d’économie sociale, du secteur marchand et du secteur non-marchand – sont mis en concurrence dans un champ jusqu’alors réservé aux organisations non-marchandes » 7.
On dira que tel est le cas aussi dans des secteurs comme les maisons de repos, voire dans le domaine hospitalier. Quels que soient le statut et le but social de l’opérateur, il importe néanmoins d’assurer des normes précises de qualité des services. Une étude menée par l’UCLouvain 8 sur la qualité d’emploi dans le secteur des titres-services, a montré que l’envie d’avoir un impact social (motivation pro-sociale) en venant en aide aux usagers figure parmi les motivations des nouveaux engagés, ce qui a une influence positive sur leur estime de soi, leur performance et leur satisfaction au travail. Mais qu’en l’absence de normes attestant de la fiabilité des prestataires, « dans les entreprises à but lucratif, cette motivation pro-sociale a tendance à disparaitre après quelques mois d’activité sous la pression exercée par la recherche de rentabilité et de minimisation des coûts ».
Pour éviter de telles dérives liées à la concurrence entre services, la prise en charge du soin aux personnes en général et l’accueil de l’enfance en particulier, doit donc rester une prérogative du secteur non-marchand pour en garantir le triangle vertueux qui combine la qualité du service au bénéfice des enfants, l’équité d’accès pour les parents et des conditions de travail dignes pour les travailleur·euse·s. #

1. Source: IDEA consult, « Une vision à 360 ° sur les titres-services », juillet 2018.
2. L’ensemble des interventions publiques représentent près des trois quarts du coût salarial. C’est le taux d’intervention moyen de l’assurance-maladie dans le coût des soins de santé.
3. https://www.wallonie.be/sites/default/files/2019-09/declaration_politique_regionale_2019-2024.pdf, p. 23-24.
4. Communiqués de presse de la CNE « Titres-services pour l’accueil de l’enfance : une mauvaise idée », et de la CSC «Des Titres -services pour l’accueil de l’enfance : une fausse solution à un vrai problème », octobre 2019.
5. P. Palsterman, « Titres-services (I) : subventions « exubérantes » pour quelle efficacité ? », Démocratie, 2011.
6. ONE, avis relativement à la proposition de loi visant à favoriser le développement des services et d’emplois de proximité, 2008.
7. https://www.regards-economiques.be/index.php?option=com_reco&view=article&cid=27
8. https://cdn.uclouvain.be/public/Exports%20reddot/ac-arec/documents/12-04-2016_Titres-services_etude_UCL_sur_la_qualite_emploi_des_aides

Paul Palsterman, Secrétaire régional bruxellois de la CSC et Stéphanie Baudot 

© Olivia Chow