PhotointerviewLes élections européennes ne focalisent généralement pas l’attention du grand public, surtout lorsqu’elles se jouent dans le même timing que les élections fédérales et régionales. Et pourtant, malgré le désintérêt pour ce niveau de pouvoir, les enjeux européens sont bien présents, notamment face à la montée des partis populistes et eurosceptiques qui mettent les autres groupes politiques sous pression et risquent bien de modifier la future composition du Parlement européen. Explications.

 

 

Quels sont les grands enjeux des élections européennes de mai 2019 ?

Il y a, selon moi, trois grands enjeux. Premièrement, le rapport de force politique au sein du Parlement européen (PE), à savoir quels groupes pourront former une coalition plus ou moins stable. Bien entendu, au PE, les coalitions sont mouvantes en fonction des politiques publiques mais jusqu’à présent, il y a eu un grand bloc reprenant le PPE 1, le S&D 2 et parfois, les libéraux ALDE 3. Avec la montée des partis populistes et eurosceptiques, ainsi que les bons résultats pronostiqués pour les libéraux, les deux grands groupes (PPE et S&D) risquent pour la première fois depuis l’élection directe 4 du Parlement européen de ne pas avoir la moitié des sièges ce qui pourrait changer la donne dans l’élaboration des politiques publiques et forcer les grands groupes à devoir être soudés et cohésifs.

Deuxièmement, le défi posé par les partis eurosceptiques reste saillant. Il s’agira de voir d’une part, dans quelle mesure ils parviennent à confirmer les sondages qui prédisent une augmentation du nombre de sièges, à droite de l’hémicycle en particulier. Et d’autre part, de voir s’ils parviennent à s’organiser, car c’est là toute la faiblesse jusqu’à présent des populistes de droite. Ils sont parvenus à engranger de nombreux sièges lors des dernières élections européennes mais pas à former de coalition ou de groupes politiques stables et se retrouvent éclatés en trois groupes actuellement 5. On voit une tendance à l’organisation de ces partis et à une coopération transnationale croissante mais il leur restera des obstacles à franchir : les égos des leaders nationaux peuvent rentrer en conflit, leurs désaccords sur de nombreuses politiques sont visibles (que ce soit en matière économique, de rapport avec la Russie ou encore sur les questions éthiques) et le nationalisme de façon générale s’accorde mal avec une coopération transnationale stable (on voit par exemple le RN 6 promouvoir un protectionnisme national et contester les politiques européennes sous prétexte qu’elles favorisent les délocalisations des entreprises dans les pays de l’Est, mais en même temps une volonté de coopérer avec des partis polonais au PE).

Enfin, un enjeu institutionnel sera de voir dans quelle mesure le PE parvient à mobiliser les citoyen·ne·s et à s’imposer dans le jeu interinstitutionnel des nominations (Président de la Commission européenne et répartition des portfolios au sein de la Commission) mais aussi de son influence sur le programme de travail de la future Commission.

Quel serait le pouvoir de nuisance des partis eurosceptiques s’ils devaient quand même arriver à s’imposer comme force politique au Parlement européen?

Ils constitueraient plutôt une force de blocage qu’une force d’impulsion. Même s’ils arrivent institutionnellement à s’organiser, leur charge politique resterait assez réduite en termes de poids, hormis celui de faire prédominer les États membres sur l’UE, ce sur quoi ils s’accordent tous. Mais le véritable danger c’est qu’ils pourraient constituer – s’ils arrivent à se souder et former un tiers des voix – une force de blocage sur tous les grands enjeux pour lesquels 2/3 des voix sont requis. Notamment dans les nominations des commissaires en octobre-novembre (une fois que le Parlement sera installé) mais aussi sur d’autres grands textes, comme les réformes des traités, les débats sur l’avenir de l’UE... Je ne pense pas qu’ils pourraient être une force d’impulsion car ils ne sont pas assez nombreux et que les autres groupes n’accepteraient pas de collaborer avec eux, même sur des questions techniques. Et puis, s’il devait y avoir une prochaine crise qui demande une mobilisation du Parlement européen, cela mettrait la pression sur les principaux groupes pour qu’ils restent soudés. Car le Parlement européen ne parvient à peser que s’il est uni derrière une position. Sans cette union, il risque donc d’être relégué à un rôle de second plan, d’être inaudible dans les discussions institutionnelles et du coup de permettre au Conseil de prendre l’ascendant.

Quels impacts pourraient avoir les changements de rapports de force au sein du PE ?

Les deux principaux groupes continuent à être les socialistes (S&D) et les démocrates-chrétiens (PPE), qui tendent à cogérer l’assemblée. Un différend assez médiatisé autour de la présidence du PE (qu’ils se partagent généralement mais pour laquelle ils avaient un accord informel selon lequel les socialistes exerceraient la présidence pendant 5 ans au lieu de 2.5 ans en échange du soutien du groupe envers la Commission Juncker) a officiellement mis fin à la grande coalition à mi-mandat mais dans les faits, les deux groupes continuent de voter ensemble dans la grande majorité des cas, avec le groupe libéral ALDE jouant le rôle de pivot.

Mais vu la situation de la social-démocratie qui peine à trouver un message mobilisant les électeurs depuis la crise économique et vu le succès probable des libéraux dans certains États, le groupe ALDE va probablement voir son rôle pivot renforcé lors de la prochaine législature. Cela pourrait lui permettre non seulement de faire pencher la balance (à droite en cas d’alliance avec le PPE sur les matières économiques par exemple et à gauche sur les questions de justice, d’affaire intérieure, de liberté civile) mais aussi de jouer un rôle d’agenda setter en mettant ses propres priorités sur la table. Les libéraux vont donc pouvoir avoir une position de faiseur de rois sur certaines thématiques.

Quel bilan tirez-vous de cette législature ?

La législature 2014-2019 a été marquée, au niveau institutionnel, par une tentative de régime parlementaire avec la mise en place de la procédure des Spitzenkandidaten et une relation plus rapprochée entre la Commission et le PE. On a par ailleurs vu une légère affirmation du PE à travers la stratégie « mieux légiférer » ce qui permet au PE d’être sur un réel pied d’égalité avec le Conseil (accès aux documents, consultation en amont du programme législatif de la Commission, etc.).
Au niveau politique, le Parlement reste dépendant des initiatives de la Commission et s’est donc essentiellement penché sur les textes qu’elle a soumis. Sous la législature 2014-2019, de nombreux débats et votes ont porté sur des thématiques liées à la protection des consommateur·rice·s, à la convergence sociale dans le marché unique, à l’environnement, à la politique commerciale ainsi qu’aux frontières de l’Union et aux migrations.

En quoi consiste la procédure du Spitzenkandidaten et quel enjeu y a-t-il derrière cette procédure ?

La procédure du Spitzenkandidaten propose que chaque parti politique européen nomme un·e candidat·e pour la présidence de la Commission européenne. Donc un vote au niveau national pour un parti national faisant partie du groupe européen serait un vote pour le.la candidat·e désigné·e par ce groupe. Par exemple, si vous votez socialiste, vous votez pour que Franz Timmermans soit président de la Commission européenne, si vous votez PPE, vous votez pour Manfred Weber. En 2014, la mise en place de cette procédure a constitué une grande bataille du PE, notamment vis-à-vis du Conseil. Actuellement, en 2019, les deux principaux groupes continuent à soutenir cette formule du Spitzenkandidaten même si on décèle quand même des fragmentations : les libéraux n’ont pas vraiment nommé une seule personne, les verts maintiennent un duo de candidats avec Ska Keller et Bas Eikhout. Parmi les eurosceptiques, l’ACRE 7 a enfin nommé un candidat, les autres ne préfèrent pas. Mais surtout l’enjeu derrière cette procédure est de savoir si le Parlement aura ou non un impact sur le choix du prochain président de la Commission européenne. Et donc est-ce que l’UE se dirige vers un régime parlementaire tel qu’on le connait dans de nombreux États membres avec un Parlement contenant une coalition plus ou moins stable qui soutient une sorte d’embryon de gouvernement que serait la Commission européenne.

Quelles sont les tendances prévues pour le futur ? 

Il est très difficile de faire des pronostics en politique. Toutefois, sous la pression des partis eurosceptiques, il est probable que les partis pro-européens cherchent à préserver leur influence en consolidant la coalition « PPE-S&D-ALDE ». Ce sera en particulier le cas sur les grands enjeux politiques ainsi que sur les enjeux institutionnels où il faut 2/3 des voix. Sur les questions moins sensibles, le PE aura recours à des coalitions flottantes en fonction des enjeux, comme c’est le cas aujourd’hui.

Est-ce que les nombreux pays européens qui ont un gouvernement minoritaire ne risquent pas d’accentuer leur minorité et donc leur fragilité, rendant les décisions européennes encore plus difficiles ?

Tout dépend de la situation nationale. En cas de gouvernement minoritaire avec un parti eurosceptique soit en soutien extérieur soit fort mais dans l’opposition, le gouvernement risque en effet d’être sous pression notamment sur les questions européennes et de ne pas oser prendre de décisions ambitieuses ou polarisantes.

Quelles pourraient être les conséquences de la (non)-participation des Britanniques aux élections européennes ?

Si les Britanniques participent aux élections, il est probable qu’ils viennent consolider les rangs des eurosceptiques et en particulier, du groupe potentiel de Salvini, Le Pen, etc. En effet, le parti Brexit de Nigel Farage est donné vainqueur par les sondages en ce moment au Royaume-Uni et Marine Le Pen a fait savoir qu’elle serait ravie de l’accueillir. Même si ce n’est que temporaire, cela pourrait avoir des conséquences sur la procédure de nomination de la Commission puisque par exemple 1/3 des membres peuvent bloquer la désignation d’un·e candidat·e commissaire.

Mais il est clair que dans l’ensemble, le Brexit a jusqu’ à présent servi de repoussoir. L’Union est parvenue à gérer ce dossier en restant unie autour du négociateur Michel Barnier (même si des divergences vont probablement apparaitre une fois qu’il faudra négocier les relations futures entre UE-UK). Le Royaume-Uni était mal préparé, ce qui donne une situation chaotique. Et alors même que le Brexit pourrait être vu comme une victoire de taille des eurosceptiques, on voit bien que la plupart des partis eurosceptiques en Europe continentale ont modéré leur position en vue des élections sous l’effet de cette situation chaotique du Brexit. Ils sont très peu à prôner aujourd’hui une sortie de l’UE et parlent davantage de réformer l’UE de l’intérieur.

Par contre, un des défis de l’UE reste clairement la gestion de la défiance citoyenne envers ses politiques et ses institutions d’une part et la banalisation de l’euroscepticisme au sein des partis d’autre part. Il sera aussi intéressant de voir quel·le·s candidat·e·s les gouvernements italiens, hongrois, polonais et autrichiens vont proposer comme commissaires.

En Belgique, vers quels résultats s’oriente‑t‑on pour ces élections européennes ?

Les élections européennes en Belgique, ce n’est pas vraiment celles sur lesquelles se concentre le plus l’attention, vu qu’elles se déroulent en même temps que les élections régionales et fédérales et que s’engagent d’ores et déjà de nouvelles batailles de type communautaire. Mais on peut tout de même relever que les Verts ont vraiment le vent en poupe, en particulier du côté francophone. Nous pouvons donc nous attendre à ce qu’ils gagnent un siège supplémentaire au Parlement européen, du moins si la réalité confirme les sondages. Dans plusieurs pays européens, les Verts sont en position de force en ce moment parce que les questions climatiques sont saillantes dans l’opinion publique. Sinon, pour le reste, la grande question sera avec qui la N-VA va chercher à s’allier au niveau européen. Ils peuvent s’attendre à des critiques s’ils s’allient de nouveau avec des partis considérés comme extrémistes. Il faudra également voir le score du Vlaams Belang. Aux dernières élections, ils n’avaient pas fait de bons résultats. Mais aujourd’hui, les sondages annoncent un retour de cette force politique. Ils pourraient récupérer leurs deux sièges... #


                                                                                                                                       Propos recueillis par Stéphanie BAUDOT


1. Parti populaire européen.
2. Socialistes et Démocrates.
3. Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe.
4. Les premières élections européennes au suffrage universel direct pour le Parlement européen datent de 1979.
5. Les partis CRE (Conservateurs et réformistes européens), EFDD (Europe de la Liberté et de la Démocratie directe) et ENL (Europe des Nations et des Libertés).
6. Rassemblement national de Marine Lepen, membre de l’ENL aux côtés entre autres de la Ligue du Nord de Matteo Salvini.

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