Dossier ouvertureAlors que les multinationales Google et Facebook s'engagent toujours plus dans la voie de la domination numérique, le débat politique sur la limitation de leur pouvoir s'amplifie. Trois journalistes allemands ont recueilli des idées importantes sur la réglementation des monopoles des plateformes 1. Que ce soit par le biais du renforcement de la protection des données ou du démantèlement, une autre approche est possible face à ce capitalisme des données.

Google est synonyme de « moteur de recherche ». Cette société domine le marché mondial des navigateurs, de la vidéo en ligne (Youtube) et des systèmes d'exploitation pour smartphones (Android). Avec ses deux milliards d'utilisateur.rice.s, Facebook exploite le plus vaste réseau social au monde et constitue, avec Instagram, le deuxième réseau social en importance. Facebook contrôle également les deux applications de chat les plus utilisées (WhatsApp et Messenger). Impossible d'échapper à Google et Facebook.
Les multinationales des données possèdent les infrastructures centralisées de notre monde numérique en réseau. Grâce à leur accès unique à des milliards de personnes, elles dominent le marché mondial de la publicité en ligne. Selon une estimation réalisée l'an dernier, Facebook et Google se partagent 85 % des dépenses publicitaires mondiales, en dehors de la Chine. Ces multinationales des données sont incontournables, pour les utilisateur.rice.s mais aussi pour de nombreuses entreprises : Google, Amazon et Microsoft, trois des quatre plus grandes entreprises au monde, proposent des services en cloud computing 2 et contrôlent d'autres infrastructures réseaux importantes. Ces sociétés installent même leurs propres câbles de données en haute mer.
Ces entreprises numériques aspirent à dominer. « La concurrence, c'est pour les perdants », écrivait, il y a quelques années, le fondateur de Paypal 3 et Palantir 4, Peter Thiel. Ceux.celles qui ambitionnent de créer une valeur durable doivent aspirer au monopole.
Il est difficile de rivaliser avec les gros collecteurs de données. Facebook et Google utilisent sans vergogne leur puissance commerciale pour fixer les prix et les conditions. Ces entreprises s'appuient sur deux principes de base de l'économie numérique : d'une part, l'effet de réseau (plus les gens utilisent un service comme Facebook, plus il est profitable à tous et plus l'attractivité des grands fournisseurs se renforce), d'autre part, l'effet de « verrouillage » (plus vous laissez ces services s'immiscer dans votre vie, plus vous en devenez dépendant). Lorsque la vie quotidienne et l'identité s'inscrivent dans l'écosystème de ces sociétés numériques, changer d'option devient un obstacle de plus en plus insurmontable.
Le scandale des données de Cambridge Analytica 5 illustre la dimension politique des monopoles des sociétés numériques. Les plateformes permettent de nouvelles formes de manipulation électorale grâce à une publicité ciblée qui leur fait, en outre, gagner de l'argent. Leur pouvoir financier est considérable et leur pouvoir politique difficile à contrôler : ce sont les maux fondamentaux du capitalisme des plateformes avec lesquels nous devons vivre aujourd'hui.
Depuis quelque temps, nous recueillons des idées sur la réglementation relative aux plateformes qui méritent ici d'être abordées au regard du pouvoir de ces entreprises.

Prendre la protectiondes données au sérieux

Contexte

Le règlement général sur la protection des données (RGPD) est en vigueur depuis quelques mois. De nombreuses entreprises technologiques ont prétendu se conformer aux lois européennes sur la protection des données. Mais l'approche très générale du RGPD suscite la controverse quant à l'interprétation et à l'application de divers concepts et règles. Les grandes plateformes, en particulier, espèrent pouvoir poursuivre comme avant. Facebook a même profité de l'instauration du RGPD pour lancer, en Europe, sa fonction controversée de reconnaissance faciale. À moyen terme, on peut aussi craindre que ces sociétés monopolistiques utilisent leur pouvoir d'information, non seulement pour la personnalisation de nos écosystèmes de communication, mais aussi pour le scoring 6 dans le secteur du crédit ou de l'assurance.

Pourquoi est-ce un problème ?
Il faudra des années pour que les tribunaux précisent les pratiques couvertes par le RGPD en tant « qu'intérêts légitimes » et comment mettre en œuvre le respect de la vie privée et interdire le couplage des données dans la pratique. Jusqu'à présent, les utilisateur.rice.s ont eu peu d'occasions de comprendre qui stocke quelle donnée à leur sujet et dans quel but. Ils.elles n'ont pas vraiment le choix.

 La protection des données est une condition fondamentale dans la lutte contre la puissance des plateformes. 

Cette perte de contrôle de l'information est préjudiciable pour la démocratie. Avec les données collectées en permanence, Facebook et Google alimentent leurs systèmes d'analyse et d'évaluation des individus, développent leurs algorithmes et utilisent ces asymétries informatiques pour manipuler les utilisateur.rice.s. La protection effective des données est donc une condition préalable fondamentale dans la lutte contre la puissance des plateformes.

Que faire ?
Une manière de traiter le dossier des données numériques avec la fermeté nécessaire, serait d'exiger de la part des autorités compétentes en matière d'interprétation et de protection des données, d'augmenter massivement les effectifs actuellement trop faibles. Cette initiative aurait un coût mais elle profiterait à l'intérêt général. Il est très important que le RGPD permette aux parties concernées et aux ONG d'engager plus facilement leurs actions en justice contre les violations de la protection des données. La normalisation, la certification et les progrès technologiques devraient également faciliter la résolution des litiges.

Boîte noire

Contexte
Même si Google et Facebook augmentent la liberté de leurs utilisateur.rice.s grâce à de nouvelles possibilités de communication, ils sont extrêmement paternalistes dans d'autres domaines. Les utilisateur.rice.s ont peu d'impact sur les modalités de sélection de l'information et de la communication. Ils.elles comprennent difficilement pourquoi le fil d'actualité de Facebook, le résultat de recherche de Google ou l'algorithme de recommandations de Youtube leur montrent certaines informations et pas d'autres.
Bien qu'elles aient un impact considérable sur notre vision du monde, nous avons peu d'informations sur le fonctionnement de ces « boîtes noires » algorithmiques. Ce constat s'applique aussi bien aux individus qu'à la société dans son ensemble : le monde scientifique et les autorités publiques n'opèrent pratiquement jamais le moindre contrôle indépendant. Nous dépendons plutôt de la bonne volonté des entreprises.

Pourquoi faut-il réagir ?
Facebook et Google constituent et structurent une grande partie de la sphère publique numérique. Les citoyen.ne.s responsables doivent toutefois être en mesure de comprendre le fonctionnement de l'écosystème de l'information dans lequel ils.elles opèrent. Sachant que Facebook et Youtube définissent la pertinence par le nombre de réactions déclenchées par une contribution, on comprend aisément que les contributions « pertinentes » ne sont pas nécessairement de grande qualité. Les utilisateur.rice.s ne peuvent opter pour des alternatives que s'ils.elles comprennent le fonctionnement réel d'une plateforme. Les autorités scientifiques et les instances de régulation ne sont toutefois en mesure d'effectuer des évaluations indépendantes que si elles y ont accès.

Que faire ?
Peu de gens s'attendent à ce que Facebook et Google divulguent leurs algorithmes. Ces entreprises devraient cependant assurer un minimum de traçabilité. À cette fin, elles devraient mieux informer les utilisateur.rice.s non seulement sur le processus de collecte de données mais aussi sur le fonctionnement de leurs mécanismes de structuration. Autre étape importante vers la traçabilité et le contrôle public : autoriser une recherche indépendante. Pour éviter un désastre tel que celui de Cambridge Analytica, il convient de veiller d'emblée à protéger soigneusement les données. On évoque également la possibilité pour un gouvernement ou un organisme public d'examiner les systèmes algorithmiques fondés sur des données pour en déterminer les effets et l'équité. 

Réglementer la propagande politique

Contexte
Les réseaux sociaux du monde entier changent progressivement la façon dont une élection se gagne. Il n'a jamais été aussi facile de cibler des groupes spécifiques d'électeurs au moyen du « micro-ciblage ». Les réseaux sociaux ont aidé Barack Obama à remporter la victoire en 2008 et, pour la première fois, ils ont mis en évidence l'extraordinaire influence politique de Facebook. Depuis, les montants consacrés aux programmes électoraux en période de scrutin ont atteint des sommets vertigineux : lors de la campagne électorale américaine de 2016, Hillary Clinton et Donald Trump ont versé 81 millions de dollars US à Facebook rien qu'en publicités. En outre, de nombreuses dépenses, qui ne subissent aucun contrôle transparent, ont été engagées pour les publicités de supporters en dehors des campagnes officielles.

En quoi est-ce problématique ?
La propagande politique sur les plateformes est un défi pour la démocratie : des flux d'argent opaques permettent à des acteurs malveillants, tels que des États étrangers qui interfèrent dans les élections, d'exercer une influence. Même les partis politiques et les candidats ordinaires peuvent utiliser les réseaux sociaux pour diffuser des messages secrets que seuls les destinataires peuvent lire. Il est donc de plus en plus difficile de savoir qui fait de la publicité pour qui, quand et avec quoi.
Jusqu'à présent, les plateformes ont beaucoup bénéficié de la propagande politique. Elles sont donc devenues complices de manipulations dans notre système politique. Même lorsqu'il n'y a pas manipulation, les responsables politiques et les médias d'information ne sont que de simples clients de Google et Facebook. Ce principe confère aux entreprises une influence qui dépasse l'impact économique. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Président Obama s'est révélé être le meilleur ami de la Silicon Valley. L'audition de Mark Zuckerberg au Congrès américain a également mis ce principe en évidence ; des députés lui ont demandé, le plus sérieusement du monde, comment accroître leur audience sur Facebook. Sans parler de l'immense impact qu'un simple petit changement d'algorithme dans Facebook ou Google News peut causer sur les flux d'informations. C'est ce qui ressort clairement des récents accès de colère de Donald Trump contre Google. L'influence politique des plateformes est indissociable de leur puissance commerciale.

Que faire ?
Il faut limiter la propagande politique sur les plateformes et la placer sous contrôle social. Une première étape importante consiste à veiller à la transparence totale de la propagande politique, au-delà des timides mesures annoncées jusqu'ici par Facebook et Twitter. Pour l'ONG américaine Team Upturn, les plateformes devraient préciser qui paie pour quelle publicité et à quel groupe cible elles s'adressent. En outre, chaque annonce devrait être visible et consultable dans un registre central afin de pouvoir suivre totalement l'intégralité des dépenses des campagnes. Si le modèle d'entreprise consistant à influencer les élections ne peut être restreint de cette manière, il faudra envisager d'interdire la propagande politique sur les plateformes.
Tôt ou tard les pays européens devront également fixer des règles claires pour limiter les dépenses électorales des partis et des candidats dans leur campagne sur les réseaux sociaux.

Renforcer l'interopérabilité

Contexte
Une partie essentielle du pouvoir de Facebook sur le marché provient du fait que l'entreprise lie intelligemment les utilisateur.rice.s à son propre écosystème. Si vous utilisez Threema, Signal ou Wire, vous ne pouvez pas atteindre les personnes qui utilisent WhatsApp. Pourquoi ? L'idée de normes ouvertes pour la communication entre différentes plateformes est simple en soi. Les réseaux sociaux et leurs services de messagerie devraient permettre, comme pour le courrier électronique et le téléphone, de contacter d'autres personnes indépendamment du fournisseur. Cette solution impliquerait l'instauration de normes contraignantes, en particulier pour les plateformes et les services dominants.

Pourquoi et comment faut-il agir ?
Les normes obligatoires en matière de communication entre plateformes constituent un moyen important de limiter le pouvoir de ces entreprises. Elles permettraient de réduire les effets de réseau et de verrouillage des monopoles et d'offrir aux utilisateur.rice.s une plus grande liberté de choix.
Elles donneraient également plus de chances aux petits concurrents.
L'interopérabilité suscite toutefois la controverse entre experts : Moxie Marlinspike, le co-développeur du système de messagerie Signal, critique, par exemple, le fait que la nécessité de conclure un accord sur des normes communes complique la mise en œuvre, par les fournisseurs individuels, de leurs propres innovations et la fixation d'un niveau de sécurité supérieur. En fait, le défi majeur consiste à définir un service de base sur lequel les différents opérateurs peuvent greffer leurs propres idées.
Les défenseurs de la protection des données craignent dès lors que les gouvernements n'imposent un affaiblissement du chiffrement 7– actuellement la norme pour la plupart des services de messagerie – en fixant des normes définies au niveau central. Ces objections ne s'opposent pas fondamentalement aux normes ouvertes, mais elles montrent que le diable réside dans les détails de leur mise en œuvre.
Si les États membres de l'UE décident de réglementer cette question, ils pourraient fixer une norme mondiale, à l'instar du règlement de base sur la protection des données.

Taxer équitablement

Contexte
Les gouvernements européens éprouvent des difficultés à taxer les entreprises numériques car elles ne commercialisent pas des biens physiques et n'emploient pratiquement pas de personnel. Selon les informations de la Commission européenne, les entreprises numériques ne sont soumises qu'à un taux d'imposition effectif de 9,5 %, contre environ 23 % pour les entreprises traditionnelles.
Les responsables politiques réclament depuis longtemps une taxe pour les sociétés numériques. Le modèle économique d'entreprises comme Google, Amazon et Airbnb leur permet d'échapper à une taxation appropriée dans la plupart des pays où elles exercent des activités. Les entreprises numériques s'appuient sur les méthodes éprouvées des grandes entreprises : l'évasion fiscale dans les zones extraterritoriales. La société mère de Google, Alphabet, pour la seule année 2016, a ainsi placé environ 19,2 milliards de dollars aux îles Bermudes...

Pourquoi et comment faut-il agir ?
Les sociétés numériques provoquent une « disruption » au sein de nombreux secteurs industriels. Ce principe vaut non seulement pour Google et Facebook, mais aussi pour les intermédiaires comme Uber. Les coûts de ces bouleversements sont généralement supportés par la collectivité ; leur structure et leur modèle de commerce transnational permettent aux nouveaux groupes d'éluder leurs obligations fiscales. On pourrait envisager une formule spéciale comme une taxe explicite sur le traitement des données à caractère personnel : la collecte et le traitement de ces données ont bouleversé l'équilibre des pouvoirs entre les entreprises et les consommateur.rices. Il n'est pas encore possible d'évaluer leurs coûts sociaux. Il est clair, cependant, que le capitalisme des données profite de manière disproportionnée aux entreprises. L'instauration d'une taxe explicite sur les données et de nouvelles formes d'imposition pour les modèles commerciaux numériques obligerait les entreprises à payer pour la création et l'exploitation de ces asymétries informatiques.
La Commission européenne a récemment présenté un modèle de taxe numérique applicable aux entreprises disposant de données sur les utilisateur.rice.s. Les entreprises ne devraient plus pouvoir choisir de verser cette taxe dans le pays de l'UE où les taux d'imposition sont les plus bas et les réglementations les plus laxistes. Au contraire, les versements devraient être effectués auprès des autorités fiscales chaque fois que les données de l'utilisateur.trice leur font gagner de l'argent. À plus long terme, le concept d'établissement stable virtuel vise à rendre les frontières fiscales nationales moins perméables pour les entreprises. L'Allemagne et la France ont fait pression pour que cette taxe soit instaurée rapidement. Mais récemment, le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, aux côtés des pays nordiques et à faible fiscalité, comme le Luxembourg et l'Irlande, a donné un coup de frein à cette tendance au sein de l'Eurogroupe. Une introduction rapide de la taxe reste dès lors encore incertaine à ce stade, mais la pression politique et citoyenne sur le ministre des Finances allemand monte de partout.
Les plans fiscaux de la Commission européenne ne sont qu'un moyen parmi d'autres de cibler le secteur des données numériques. À plus long terme, les États membres de l'UE souhaitent une solution internationale dans le cadre de l'OCDE ou de l'OMC afin de combler les écarts fiscaux concernant les entreprises numériques. Les initiatives internationales visant à éliminer les échappatoires fiscales aident non seulement les États à financer les écoles et les hôpitaux, mais elles constituent également un antidote à la domination du marché par ces entreprises.

Briser les monopoles

Contexte
En Allemagne, neuf recherches sur dix sont effectuées à partir de Google. Facebook et ses filiales WhatsApp et Instagram se sont classées aux trois premières places de l'utilisation des réseaux sociaux.
75 % du commerce du livre en ligne passe par Amazon. Ces trois sociétés ont donc un quasi-monopole. Les autres entreprises n'ont pratiquement aucune chance.
Si une autre entreprise se rapproche trop des entreprises monopolistiques, elle est rachetée ou expulsée du marché avant de devenir dangereuse. Au cours de la dernière décennie, Google, Amazon, Apple, Facebook et Microsoft ont réalisé ensemble 436 acquisitions pour une valeur de 131 milliards de dollars. La concentration du marché s'en trouve encore accrue. L'exemple le plus récent est l'acquisition de WhatsApp par Facebook, après avoir acheté Instagram en 2014.

Pourquoi et comment faut-il agir ?
Les petits opérateurs et les consommateur.rice.s subissent ces monopoles. Ils.elles paient des prix plus élevés pendant que le pouvoir économique et politique de ces entreprises augmente. Pour établir des profils les plus exhaustifs possibles de leurs utilisateur.rice.s, les groupes monopolistiques achètent également des entreprises en dehors du champ classique de leur profession, permettant « une surveillance et un contrôle de grande envergure de nos communications » 8.
Des organisations des secteurs agricoles, du développement et du numérique (notamment Oxfam et le Chaos Computer Club) se sont alliées. Elles voient la démocratie menacée par le pouvoir croissant de ces entreprises et demandent une actualisation de la législation en matière de concurrence jusqu'ici encore très permissive. Dans le cas de WhatsApp, les autorités européennes ont approuvé son acquisition par Facebook à condition que l'entreprise ne soit pas autorisée à relier ses profils d'utilisateur.rice.s aux comptes WhatsApp. Contrairement à ce qu'elle avait promis, l'entreprise Facebook a apparié les données et s'est vu infliger une amende de 110 millions d'euros. D'autres procès sont actuellement en cours contre Facebook, Amazon et Google. Ils ne concernent toutefois que des questions ponctuelles, comme la pré-installation de services Google sur les téléphones Android. Les quasi-monopoles sont maintenus.
En Europe et aux États-Unis, les discussions sont vives sur la manière de gérer les monopoles des groupes technologiques. La possibilité de voir l'État briser les monopoles, par exemple en découplant certaines parties du groupe, fait également l'objet de débats. Facebook conserverait alors éventuellement son réseau central, mais devrait renoncer à Instagram et WhatsApp. Actuellement, les monopoles ne posent aucun problème au droit européen de la concurrence, pour autant qu'ils se développent naturellement et ne fassent pas l'objet d'abus.

Promouvoir des alternatives

La dépendance à l'égard des sociétés numériques, de leurs serveurs et des brevets logiciels a un coût.

En Europe, des milliards d'euros leur reviennent au travers de la publicité, mais aussi du stockage de données dans le cloud et de l'utilisation de logiciels provenant de fournisseurs dominants tels qu'Amazon Web Services (AWS) et Microsoft. En faisant confiance aux services des sociétés numériques, les entreprises et le secteur public renoncent à une partie de leur indépendance. L'utilisation de serveurs tiers et de logiciels propriétaires entraîne souvent des coûts élevés et une dépendance à long terme à l'égard des fournisseurs, comme le montre clairement l'exemple de Microsoft. Selon les estimations de la Commission européenne, le marché des services dans le cloud atteindra environ 45 milliards d'euros d'ici 2020. Une grande partie de cette somme ira vraisemblablement aux entreprises dominantes du secteur.

Pourquoi et comment faut-il agir ?
L'État devient de plus en plus dépendant des services des grandes entreprises au lieu de développer
lui-même les capacités ou de promouvoir de nouveaux développeurs. Il perd progressivement sa souveraineté. En outre, on ne peut guère s'attendre à ce que les particuliers se prononcent contre les sociétés numériques si l'État et les grandes entreprises encouragent cette domination numérique. Si l'État opte pour des solutions alternatives ou promeut des services non commerciaux, cela incitera probablement aussi beaucoup de citoyen.ne.s à renoncer aux produits des entreprises numériques.
Le logiciel libre est un moyen d'y parvenir mais il n'est pas le seul. Le secteur public peut également fixer et promouvoir ses propres normes (cf. Interopérabilité). Il peut faciliter le démarrage de petites entreprises et d'initiatives non commerciales. Toutefois, les autorités ont besoin d'effectifs et de ressources pour élaborer de nouvelles normes. L'État peut aussi établir de nouveaux paradigmes en créant des alternatives publiques.
On pourrait également envisager que les pouvoirs publics offrent à leurs citoyen.ne.s des services informatiques, tels que des adresses électroniques communales. Il existe aujourd'hui de nombreuses alternatives gratuites en matière de réseaux sociaux comme Mastadon, pour la plupart ouvertes et respectueuses de la protection des données. Mais elles souffrent aussi du fait que leur développement et l'exploitation de leurs infrastructures se font pendant le temps libre des bénévoles. Un soutien financier accru en faveur d'alternatives ouvertes et décentralisées est nécessaire pour une plus grande liberté de choix.
Les analystes américain.e.s et européen.ne.s spéculent constamment sur la nationalisation de Facebook ou la transformation de ses utilisateur.rice.s en coopérative. Même si ces options peuvent sembler irréalistes, il faut proposer de grandes idées et des utopies et opposer des alternatives aux grands groupes numériques. L'espace numérique public est actuellement contrôlé par des sociétés privées, qui modifient essentiellement de façon unilatérale les règles en leur faveur et réglementent et contrôlent le public par des systèmes codés et non transparents. Triste perspective d'avenir pour nos démocraties. #



Ingo DACHWITZ,Simon REBIGER, Alexander FANTA : Journalistes à Netzpolitik.org

1. Ce texte est la traduction, raccourcie, d'un article initialement paru en allemand sur le site d'information Netzpolitik.org: https://netzpolitik.org/2018/den-datenfischern-die-netze-kappen-ideen-gegen-die-marktmacht-der-plattformen/
2. Le cloud computing est la fourniture de services informatiques (serveurs, stockage, bases de données, gestion réseau, logiciels, outils d'analyse, intelligence artificielle, etc.) directement via Internet.
3. PayPal est un service de paiement en ligne qui permet de payer des achats, de recevoir des paiements, ou d'envoyer et de recevoir de l'argent.
4. Palantir est une société qui fait partie des leaders mondiaux du traitement massif de données. Grâce à des algorithmes, Palantir fait se croiser et analyse des milliers de données différentes.
5. Cambridge Analytica est une société d'analyse de données qui a été utilisée notamment par Donald Trump et les partisans du Brexit pour influencer les résultats électoraux.
6. L'évaluation des risques-clients (credit scoring en anglais) désigne aujourd'hui un ensemble d'outils financiers d'aide à la décision utilisés pour évaluer automatiquement (par un algorithme) la solvabilité d'un « tiers » ainsi que le risque de non-remboursement de prêts ou de traites d'assurance, de loyer, etc.
7. Le chiffrement est l'opération qui consiste à transformer une donnée qui peut être lue par n'importe qui en une donnée qui ne peut être lue que par son créateur et son destinataire.
8. Konzernmacht beschränken : « Limiter le pouvoir des entreprises ».

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