hafida5Les débats concernant la sortie de l'avortement du Code pénal ont été tendus entre les parlementaires de la commission de Justice de la Chambre. Finalement, la majorité a réussi à faire voter son texte, au grand dam de l'opposition et des organisations de femmes, telle Vie féminine, qui espéraient une véritable réforme de la loi de 1990. Hafida Bachir, sa présidente, nous livre son analyse.

 

Quelles sont vos critiques envers la loi de 1990 sur l'avortement ?

C'est une loi de compromis, qui allait être amenée à évoluer (voir encadré). À l'époque, elle a fait l'objet de très nombreux débats parlementaires, avec la société civile, les organisations de femmes, les médecins... D'un point de vue démocratique, ces débats étaient importants. Vie féminine s'est positionnée en 1986 pour la dépénalisation partielle de l'avortement après un long processus de réflexion avec les femmes à tous les niveaux du mouvement. Le débat a permis d'éclairer les enjeux éthiques, juridiques et sociaux (risques pour les femmes, inégalités), en dépassant le « pour ou contre » l'avortement. La position adoptée alors par Vie féminine insistait également sur l'importance d'un accompagnement sans jugement, sans culpabilisation et avec une information maximale.

Ces débats préalables n'ont-ils pas eu lieu cette fois-ci ?

Si, mais les organisations et les experts n'ont été sollicités qu'assez tard. Au moment du vote de la loi de 1990, les politiques s'étaient renseignés auprès des associations pour savoir où se situer dans le débat. Dernièrement, cette démarche a été bradée. Il n'y a pas eu de réelle volonté politique d'améliorer les droits des femmes. Nous étions la seule organisation de femmes lors de l'audition !

Tout ce qui comptait était de sortir l'IVG du Code pénal ?

Exactement. Il fallait se positionner. Pour ou contre. Nous ne l'avons pas fait. Il nous manquait un arrêt sur image. Celui qui permet de savoir ce qui s'est passé depuis 1990, les conséquences de la loi sur les femmes, leurs besoins aujourd'hui... Nous voulions également réfléchir aux conditions inscrites dans la loi. Pour les femmes, sortir l'avortement du Code pénal n'est que purement symbolique. Et des propositions symboliques, il y en a déjà assez.

Que pensez-vous de ces conditions (à savoir un délai de réflexion imposé de six jours, une demande d'avortement avant la fin de la douzième semaine de grossesse...) ?


Nous n'avons pas d'avis arrêté. Nous voulions du temps pour débattre là-dessus, notamment avec les principales concernées. Les douze semaines de grossesse sont-elles toujours pertinentes ? Après trois mois (le délai légal), ce sont souvent les femmes les plus précaires qui ne peuvent plus avorter, car elles n'ont pas les moyens d'aller à l'étranger. Concernant le délai de réflexion imposé de six jours, il pose également problème. Pour beaucoup de femmes que l'on a rencontrées, cela ne fait que reporter l'avortement. C'est une mesure assez aberrante car elles ont déjà longuement réfléchi avant de faire le premier pas.

La proposition de loi de l'opposition vous a-t-elle convaincue ?


Cette proposition est, en effet, autre chose qu'une simple sortie du Code pénal. Mais nous n'avons pas eu le temps de débattre de tous les points dans le mouvement, notamment des 18 semaines qui sont proposées. Quant aux 48 heures, elles nous semblent plus justes, au regard de ce que je viens de vous dire concernant le délai de six jours. Le texte supprime également la notion de détresse, qui n'a aucun sens selon nous. L'opposition a en tout cas tenu compte des avis des experts et de notre intervention à la commission Justice. Lors de celle-ci, nous avons insisté sur le fait que l'avortement n'est pas un acte isolé et qu'il s'inscrit également dans un contexte qui pèse sur les femmes.

Comment décririez-vous ce contexte ?


Nous épinglons quatre éléments. 1. Même s'il y a une évolution du côté des hommes, les femmes restent bien souvent seules face à leurs responsabilités liées à la maternité. Les exigences restent importantes, alors que de plus en plus de femmes travaillent. 2. La précarité économique. Faire le choix de ne pas travailler pour s'occuper d'un enfant ou par manque de places d'accueil, c'est souvent au détriment de l'autonomie économique des femmes. Une précarité de surcroît accentuée par les récentes mesures d'austérité. 3. Les pratiques contraceptives restent très fragiles, en ce qui concerne l'accès, l'information, les coûts... Dire que la contraception est la solution, ce n'est pas tenir compte de cette réalité. 4. Les droits des femmes sont souvent remis en question. Des lois ne sont pas appliquées. Du coup, les femmes sont nombreuses à abandonner leurs droits car il est difficile de toujours devoir se justifier, devoir se battre, se faire humilier... Il est primordial qu'un débat sur l'avortement prenne en compte ce contexte dans lequel vivent les femmes. Et la proposition de loi des partis PS, Ecolo, Groen, Défi, Sp.a et PTB tente de le faire.

Au final, que pensez-vous du projet de loi de la majorité ?


J'ai le sentiment qu'on a été prises au piège. Le gouvernement a fait ce que beaucoup d'associations demandaient au départ : sortir l'avortement du Code pénal. Mais il n'a fait que ça ! Toutes les sanctions pénales, pour les femmes et les médecins, restent, et il n'a rien bougé sur les conditions. Mais en quelque sorte, il a fait son boulot.
Nous ne sommes cependant pas étonnées. Il n'y a aucune volonté politique de ce gouvernement de faire quelque chose de positif par rapport aux droits des femmes. C'est catastrophique depuis le début de la législature, que ce soit au niveau socioéconomique, de l'accès à la santé... Il ne fallait pas s'attendre à une proposition qui allait révolutionner les droits des femmes. L'unique motivation du gouvernement a été de s'opposer à la proposition de loi de l'opposition. Il s'est donc précipité. Il y avait également une certaine peur que des parlementaires de la majorité, notamment MR, votent pour cette proposition. Celle-ci aurait pu trouver une majorité alternative.

La stratégie de l'opposition n'a donc pas été la bonne ?

Il faut en effet la questionner : était-ce une bonne idée de faire le forcing dans un contexte comme celui-ci ? C'est-à-dire avec un gouvernement qui n'a aucune volonté d'améliorer les droits des femmes, encore moins dans ce dossier sur l'avortement. Le gouvernement savait très bien que ce dossier pouvait mettre à mal sa majorité, il fallait donc s'attendre à ce que cela se conclue comme ça. Ce qui s'est passé est grave. On a amené un gouvernement à prendre une décision pire que le statu quo !

Pire que le statu quo ?


Cette proposition ne change rien. Elle risque surtout de reporter le débat alors que rien n'a été fait depuis 1990 pour améliorer la loi existante. On part d'un enjeu très important et on obtient finalement ce qu'ils qualifient comme une « dépénalisation ». C'est pire que le statu quo, oui. Ce qui m'agace par-dessus tout, c'est cette instrumentalisation des droits des femmes. Tout le monde agite l'argument selon lequel cette sortie contribue à améliorer les droits des femmes, mais finalement, ce n'est pas le cas. Il s'agit d'une avancée purement symbolique pour les femmes. Il n'y aura aucun changement concret pour elles. On ne fait que sortir l'IVG de l'endroit où elle était pour la mettre ailleurs, tout en maintenant les mêmes conditions.

Que pensez-vous de l'attitude du CDH qui votera le texte déposé par la majorité alors qu'ils sont dans l'opposition ?


Sur les questions éthiques, cela ne m'étonne pas que des partis changent de position. Ce que je trouve plus grave, c'est d'en arriver à soutenir la stratégie de ce gouvernement, qui s'est empressé de sortir une proposition de loi qui ne change rien dans le seul but d'éviter sa chute.

Peut-on marchander la sortie de l'avortement du Code pénal avec la reconnaissance d'un statut au fœtus mort-né, comme semble l'avoir fait le CD&V ?


Non. On ne peut pas mettre en concurrence des situations de femmes qui vivent une IVG et des femmes qui vivent un deuil périnatal, en échangeant un droit contre un autre. C'est inadmissible. On ne fait pas du marchandage sur des questions éthiques qui sont si importantes. C'est irresponsable. Ces questions éthiques ne devraient absolument pas être gérées dans un contexte comme celui-ci, pour éviter qu'un gouvernement ne tombe.

Cette loi va-t-elle changer ce qui se passe sur le terrain ?


Cela ne va rien changer pour les femmes concernées. Je comprends l'enjeu juridique : l'avortement est toujours considéré en Belgique comme un crime. Il est inscrit dans le Code pénal au chapitre « Crimes et délits contre l'ordre des familles et de la moralité publique ». C'est digne du Moyen-Âge ! Mais au-delà du symbole, nous savions que cette simple sortie n'allait pas améliorer les conditions de vie des femmes. On s'était donc battues pour en faire autre chose. Si l'opposition a tenu compte de nos propos, nous n'avons pas été entendues par la majorité. Et le jeu politicien a fait le reste. Ce gouvernement joue une fois de plus avec les femmes. Une fois de trop. Voilà ce que je retiens de cette législature.

C'est-à-dire ?


De manière générale, ce gouvernement ne tient absolument pas compte de la situation des femmes et surtout du contexte dans lequel elles vivent aujourd'hui. Les exemples sont nombreux : la réforme des pensions, la réduction du séjour en maternité... Il prend des mesures qui sont linéaires, comme si les femmes et les hommes étaient à égalité. Les inégalités sont pourtant statistiquement prouvées. Pourquoi ne pas réformer les pensions en prenant en compte des inégalités existantes sur le marché du travail ? C'est ce qu'aurait dû faire le gouvernement en application de la loi de 2007 du « gender mainstreaming ». Cette loi oblige à analyser toutes les mesures pour voir si l'impact en est différencié entre les hommes et les femmes. Cette initiative, le gouvernement ne la prend pas. Les associations de femmes demandent une analyse qui tient compte de la situation des femmes.

Dans un tel contexte, quel regard portez-vous sur les droits des femmes dans le monde ?


Les exigences pour les droits des femmes sont un peu plus visibles et plus audibles aujourd'hui. Par la force des choses, il y a une prise de conscience plus importante de la nécessité d'améliorer les conditions de vie des femmes. Cela a permis parfois des améliorations, mais on a aussi assisté à des levées de boucliers de la part de certains courants qui ne voient pas d'un bon œil tous ces changements. C'est ainsi qu'on voit des menaces de retour en arrière sur des droits qui semblaient acquis dans de nombreux pays dans le monde.
Chez nous, les droits des femmes sont garantis par des textes mais leur application fait défaut. Par manque de volonté politique, manque de moyens ou à cause de politiques néolibérales qui détricotent les acquis... Par ailleurs, l'accès aux droits reste très problématique pour les femmes. Les institutions supposées les soutenir sont souvent suspicieuses et méprisantes. Dans ce contexte, et à la veille des échéances électorales, il est urgent de remettre la question des droits des femmes à l'agenda politique ! #

Encadré

Quelle réforme de la loi de 1990 ?
Retour sur les principales conditions dans lesquelles un avortement est autorisé en Belgique, selon la loi du 3 avril 1990, et qui font débat.
• La femme enceinte considère que son état la met en situation de détresse ;
• L’IVG doit intervenir avant la fin de la douzième semaine de conception ;
• Entre la première consultation et l’IVG elle-même, un délai de minimum six jours doit se dérouler.
En cas de non-respect des conditions, les femmes et les médecins risquent des peines de prison et des amendes.
La proposition de loi de la majorité, approuvée en Commission et qui sera votée à la Chambre prochainement, ne fait que sortir l’avortement du Code pénal pour l’inscrire dans une loi distincte. Les conditions et les sanctions, pénales, restent les mêmes.
L’opposition (PS, Sp.a, PTB, Défi, Ecolo-Groen) proposait un texte qui supprimait la notion de situation de détresse, qui rallongeait le délai pour pratiquer un avortement à 18 semaines, et qui raccourcissait le délai de réflexion à 48 heures, voire à zéro en cas d’extrême urgence. Le texte maintenait des sanctions, mais seulement pour les médecins. #