PhotoRap  KaiApparu dans les quartiers pauvres de New York, le rap a longtemps véhiculé une image de musique engagée et politique. Pourtant, pendant près d’une décennie, les rappeurs n’ont fait que raconter leurs exploits et leur envie de faire la fête. Cet engagement viendra plus tard et marquera de son empreinte la musique. Aujourd’hui, il semble avoir disparu. Vraiment ? Il faut juste regarder plus loin et voir le rap comme un art à part entière.

Le hip-hop1, et plus particulièrement le rap 2, a-t-il aujourd’hui trouvé sa place, en haut des affiches et des meilleures ventes d’albums ? Quoi qu’il en soit, il est partout, des festivals rock et électro aux défilés de mode, en passant par le sport et la fiction audiovisuelle. Si la notoriété du rap est importante depuis déjà longtemps outre-Atlantique, la tendance ne peut plus se nier par chez nous. En France, six récompenses sur treize ont été décernées à des artistes émanant du hip-hop lors des Victoires de la musique 2018. Les rappeurs belges accumulent quant à eux les disques d’or. Pourtant, les critiques envers le rap restent nombreuses : trop violent, trop vulgaire... Mais aussi, moins contestataire et moins engagé. Pourquoi et comment le rap en est-il arrivé-là ? Bref récapitulatif d’une musique omniprésente dans notre société.

Tout a débuté dans la salle des fêtes du 1520 Sedgwick Avenue, dans le Bronx, à New York, le soir du 11 août 1973. Clive Campbell a décidé de rendre service à sa sœur Cindy pour sa fête d’anniversaire. Ce sera lui le DJ et animateur de la soirée. La première
block party3 hip-hop de l’histoire s’annonce mémorable.

Arrivé en 1967 alors qu’il a 12 ans, tout droit de la capitale jamaïcaine Kingston, Clive se taille rapidement un nouveau nom, de par sa carrure imposante et ses prouesses au lancer du poids et en basket-ball : Hercules. Il en garde le diminutif « Herc » pour devenir Kool Herc une fois installé derrière les platines. De son pays, il ramène la tradition des sound systems, ces façades d’enceintes qui entourent le selecter, celui qui tente d’attirer le plus de monde avec ses disques. Ce soir-là, Herc s’aperçoit que son public préfère le funk à son dancehall et reggae natals. Et plus encore, les moments où seule la rythmique des instruments, en particulier la batterie, fait vibrer les baffles. Lui vient alors l’idée de prolonger ces passages sans paroles en se procurant des vinyles identiques et en les alternant grâce à ses deux platines. Le break beat était né. Et avec lui, le rap.

Kool Herc, micro en main, profite de ces moments instrumentaux pour inciter son public à danser, dédicacer les gens présents ou encore calmer les tensions. Cette démarche microphonique, ce sont les toasts – poèmes narratifs écrits en rimes – des deejays jamaïcains qui l’ont inspiré. Ces derniers, longtemps observés par Herc dans les banlieues de Kingston, ont pour vocation à accompagner vocalement les selecters.

Coke La Rock, le premier rappeur

Avec le temps, produire des break beats de plus en plus sophistiqués demandait beaucoup trop d’attention et de concentration à Herc. Il décide alors de confier le micro à son ami Coke La Rock. Ayant pris pour exemple les DJs disco et leur utilisation rythmique des mots – elle-même influencée des animateurs de radio afro-américains – Coke s’empare de l’argot le plus branché pour garder le public motivé et inciter les danseurs à se lâcher. Coke La Rock est considéré comme le premier MC, mike controller ou master of ceremony. Comme le premier rappeur.

Cette nouvelle manière d’animer une block party est rapidement appropriée par d’autres. Plusieurs groupes se forment et accompagnent un DJ, à l’instar des Soulsonic Force avec Afrika Bambaataa, des Fantastic Five avec Grand Wizard Theodore ou encore des Funky Four avec DJ Break-Out. Les cassettes pirates sur lesquelles ils vantent leur ego, leurs exploits et leurs fêtes investissent rapidement les quartiers new-yorkais. Jusqu’au jour où Sylvia Robinson, copropriétaire de Sugar Hill Records, trouve un intérêt commercial à cette nouvelle façon de poser les mots sur de la musique. Elle rassemble alors trois rappeurs amateurs et forme le Sugar Hill Gang. La productrice décide de revisiter le morceau « Good Times » de Chic. Un enregistrement plus tard, « Rapper’s Delight » – un hymne à la fête et à l’amusement – sort en septembre 1979 et devient un tube planétaire, le disque se vendant rapidement à plusieurs millions d’exemplaires à travers le monde. Le grand public découvre le rap et celui-ci s’apprête à bouleverser le paysage musical.

Un nouveau créneau de contestation

En 1982 sortent deux morceaux fondamentaux. En avril, « Planet Rock » met en lumière les prouesses d’Afrika Bambaataa à créer un nouveau morceau à l’aide d’une boite à rythmes en associant de l’électro, du funk, du rock et de la soul. Ancien membre de gang, le DJ actif depuis plusieurs années est le fondateur de la Zulu Nation, qui a pour but de prôner la non-violence et le rassemblement par la musique.

En juillet, le grand public découvre pour la première fois un rap dans lequel la vantardise et l’exaltation de soi ne ponctuent pas chaque phrase. Grandmaster Flash et The Furious Five rappent en effet la misère du quartier et le désespoir d’y vivre dans « The message » 4. Flash, DJ reconnu et spécialiste du
scratch 5, et ses comparses avaient émis de nombreux doutes quant à sortir un disque de rap avec de telles paroles, habitués à rapper leurs moments de bon temps. Mais leur productrice Sylvia Robinson, encore elle, insista. Le morceau devint rapidement le nouveau succès de Sugar Hill Records et personne ne remit en cause cette décision.

Cette description d’une vie sociale difficile et misérable inspirera de nombreux rappeurs. « Le rap est devenu le medium favori, et une entrée directe vers le public, des jeunes issus des quartiers défavorisés qui n’avaient pas voix au chapitre. Ils se sont mis, par ce biais, à raconter des choses, parfois politiques »6, explique Pierre Evil, auteur de « Gangsta rap ». « C’est parce que nous avons eu connaissance des horreurs qu’engendrait la guerre du Vietnam que nous avons pu l’arrêter. Alors je me suis dit que c’était ce que je voulais faire en tant que rappeur. En décrivant le plus exactement possible ce qui se passe dans ma communauté, on pourrait avec un peu de chance arrêter tout cela »7, expliquait quant à lui Tupac, future célébrité du rap, en 1991.

Violent et brut, comme la réalité

Le rap prend une nouvelle dimension avec le succès de Run-DMC, en 1983. Issus de la classe moyenne, ils allient rock et rap sous fond de revendications sociales et antiracistes. Dans la même veine musicale, les Beastie Boys, trois Blancs du milieu punk, et le succès de leur album « Licensed to Ill » en 1986 prouvent que le rap n’est plus cantonné aux quartiers noirs et pauvres de l’Amérique. C’est pourtant dans ces quartiers que va naître l’un des courant les plus influents : le gangsta rap.

Celui-ci trouve ses racines dans l’album de Lightnin’ Rod, membre des Last Poets, « Hustlers convention » sorti en 1973 dans lequel l’artiste narre en poésies et en
toasts les histoires de deux voyous. C’est néanmoins en 1988 que le gangsta rap trouve ses meilleurs représentants au moment de la sortie de l’album « Straight Outta Compton » de N.W.A 8.

Via leurs paroles violentes, crues, dénonçant l’injustice, la misère, le racisme et les violences policières – le titre « Fuck tha police » leur vaut un avertissement du FBI – N.W.A dépeint leurs vies au sein de Compton, dans le Comté de Los Angeles, où la guerre des gangs et les ravages de la drogue sont omniprésents. Leurs chansons, le groupe les qualifie de reality rap9. Pierre Evil ajoute qu’il y a « une exagération artistique. On est dans un imaginaire qui rappelle celui de l’exaltation des valeurs de la mafia italo-américaine illustrée dans les films de Francis Ford Coppola et Martin Scorsese. (...) La criminalité fait fantasmer, c’est un trait de l’industrie culturelle qui fait vendre. Certains artistes endossent ce rôle-là et répondent à un public qui en est fasciné.10 »

« Il y a une exagération artistique. On est dans un imaginaire qui rappelle celui de l'exaltation des valeurs de la mafia illustrée dans les films de Coppola et Scorsese.»

 

Dans un autre registre, sans pour autant abandonner la provocation et la violence dans leurs propos, le groupe Public Enemy s’inscrit dans un véritable engagement politique. Il dénonce l’aliénation des Noirs, la domination du crack, le racisme... Chuck D, leader du groupe inspiré des Black Panthers, de Malcolm X et proche de la Nation of Islam, tient des propos virulents envers les médias, l’éducation et la politique reaganienne. Il caractérise le rap de « CNN de l’Amérique noire », devient avec Public Enemy le porte-drapeau de la communauté afro-américaine et insuffle un vent nouveau sur le rap.

Un engagement toujours présent

Le succès du rap aux États-Unis fait rapidement des émules ailleurs dans le monde. Notamment en France et en Belgique. Portés par la vague Public Enemy, les premiers groupes instaurant le rap le font avec une grande majorité de textes socialement engagés. L’amusement et l’entertainement n’ont pas totalement disparu et le tube « Vous êtes fous » de Benny B, sorti en 1990 prouve que l’on peut mixer les deux.

 

« Les artistes ont toujours des choses à dire, mais ils s'expriment différemment. Il faut prendre le rap comme n'importe quel objet culturel et le décrypter. »


Aujourd’hui, l’engagement social et politique cher aux années 90 semble avoir disparu des ondes pour laisser la place à un rap dénué de revendications. Pour les observateurs du milieu, la réalité est toute autre. « On ne peut pas dire que le rap engagé n’existe plus. C’est juste qu’il se trouve en arrière-plan et qu’il n’est pas valorisé. Il intéresse beaucoup moins de monde, et de ce fait, il ne fait plus recette », déplore Alain Lapiower, ancien directeur de Lezarts Urbains 11 qui observe le mouvement hip-hop depuis ses débuts. « Avant, il y avait une façon très évidente de mettre des mots sur des revendications et en dédier des chansons entières. Les artistes ont toujours des choses à dire, mais ils les expriment différemment », nuance Martin Vachiery, rédacteur en chef de Check 12 et réalisateur de « Yo, non peut-être ». « Il faut s’intéresser au rap comme n’importe quel objet culturel, décrypter le message, le sous-texte... Une punchline de Kaaris peut s’avérer tout aussi percutante qu’un morceau de cinq minutes d’Assassin (figure de proue du rap politique en France, NDLR). »

Rappelons que la coexistence du message engagé et de l’entertainment a toujours été intrinsèque au rap. Encore aujourd’hui. Pour exemple : Nekfeu, lors des Victoires de la musique 2016 sur France 2, détourne ses paroles pour piquer Marine Le Pen et clame son soutien à un humanitaire enfermé au Bangladesh mais critiqué en France ; Vald dénonce la société de (sur)consommation dans « Mégadose » ; PNL narre mieux que quiconque la détresse et le désespoir des banlieues françaises. Et ces trois artistes font partie des plus gros vendeurs des trois dernières années en France.

De nouveaux rappeurs et publics

Comment en sommes-nous arrivés à ce que le haut des charts soit monopolisé par des rappeurs « moins engagés » ? Cette « culture beaucoup plus accessible que d’autres mouvements culturels » 13, dixit Akhenaton, leader du groupe IAM, a fait de nombreux adeptes et le hip-hop n’est plus cantonné aux quartiers défavorisés. « De nouveaux artistes qui ne venaient plus des quartiers pauvres, issus parfois de milieux aisés, sont arrivés », explique Alain Lapiower. « Les rappeurs n’avaient plus le même profil, le même langage, les mêmes préoccupations dans leurs chansons... Ils ont donc attiré un nouveau public, et les opérateurs culturels se sont trouvés une nouvelle passion pour le rap ! Les mecs des quartiers n’inspirent pas la confiance, on se méfie d’eux. Il était difficile de leur ouvrir les portes. Tu dégages des a priori différents que tu viennes de Boitsfort ou de Molenbeek ». Les salles de concert ouvertes à ces nouveaux rappeurs, d’autres propos dans leurs textes, et les foules ont rapidement investis les lieux.

« La contestation et la dénonciation s’expriment par d’autres vecteurs aujourd’hui », ajoute Martin Vachiery. « Dans les années 90, Internet et les réseaux sociaux n’existaient pas. Une vidéo sur Youtube, un billet sur Facebook... permettent maintenant à n’importe qui de manifester ses sentiments. La musique est moins privilégiée. »

Pour conclure, rappelons donc que le rap est une musique très diversifiée avec des chansons engagées, d’autres destinées aux boites de nuit, à l’amusement, au
story telling, à l’egotrip... Tout le monde peut y trouver son compte. S’il y a 30 ans, le rap engagé était le courant majoritaire, il n’a aujourd’hui pas disparu mais a laissé de la place à d’autres mouvances qui satisfont une part de la population importante. « Le rap était une musique d’une minorité, puis d’une jeunesse, et maintenant d’une époque », synthèse Martin Vachiery. Ou pour citer Kanye West : « Le rap est le nouveau rock ’n’roll » 14. #


 

1. La culture hip-hop se compose de plusieurs composantes : le rap, le breakdance (danse), le graffiti (peinture murale), le beatboxing et le DJing (ou deejaying – disc jockey).

2. Le mot rap vient du verbe anglais
to rap, qui signifie parler, baratiner, « tchatcher ». Les trois lettres qui composent le mot s’en réfèrent parfois à d’autres, les plus connus étant rhythm and poetry (rythme et poésie).

3. Fête de quartier où la rue est fermée. Tout le monde y est convié.

4. Seuls Melle Mel et Duke Bootee, le producteur du groupe, sont sur le morceau.

5. Cela consiste à faire tourner le disque manuellement d’avant en arrière tandis que l’aiguille reste dans le sillon.

6.
Les Matins, France culture, 21/06/18.

7. M. DELCOURT,  2Pac, me against the world, Marseille, Le mot et le reste, 2016.

8. Pour Niggaz Wit Attitude, « les négros qui ont la classe ».

9. Le terme de « gangsta rap » n’apparait que plus tard.

10.
Les Matins, France culture, 21/06/18.

11. ASBL promouvant le hip-hop.

12. Média dédié aux cultures urbaines.

13. O. CACHIN, B. ZEKRI, K. HAMMOU et. al.,
Hip Hop, du Bronx aux rues arabes, Paris, Snoeck, 2015.

14. Lors d’une interview donnée à la BBC le 24 septembre 2013.




Le hip-hop et les femmes : une relation difficile ?


Les attaques médiatiques à l'égard du hip-hop sont nombreuses. Cette culture est-elle vraiment misogyne ? Quelle place les femmes y occupent-elles? Éclairage avec Fatima Zibouh, chercheuse en sciences politiques et sociales. Elle consacre son doctorat aux cultures urbaines, et plus précisément aux expressions culturelles et artistiques des minorités ethniques dans les villes multiculturelles.

Quelle place les femmes occupent-elles dans le hip-hop aujourd'hui ?

Dans le cadre de ma recherche doctorale, j'ai rencontré peu de femmes investies dans le hip-hop. Cela dit, le hip-hop est une culture qui comprend différentes disciplines. On trouve plus facilement des femmes dans la danse (le breakdancing) ou le slam. Les femmes ne sont donc pas absentes de ce champ. Certaines d'entre elles s'investissent dans le rap, le tag, le breakdancing ou le deejaying mais elles sont moins visibilisées. Par ailleurs, des initiatives émergent. Elles valorisent et visibilisent l'engagement des femmes dans le hip-hop. Cela se manifeste par des conférences-débats, des expositions, des concerts... qui mettent en lumière les femmes de l'ombre. L'exemple du projet « La Belle Hip-Hop » – un collectif visant à promouvoir des artistes féminines du monde du hip-hop – illustre bien ces nouvelles dynamiques.

Pourquoi le hip-hop est-il toujours pointé du doigt sur les questions de misogynie ? L'est-il davantage que d'autres musiques populaires, comme le rock ou la chanson française ?

La misogynie n'est en effet pas spécifique au hip-hop. On la retrouve dans d'autres courants artistiques, tout comme dans d'autres secteurs de la société. Ces représentations autour du hip-hop et plus particulièrement autour du rap sont liées à certains clips de rap. Ceux-ci véhiculent des images – sexistes – de femmes associées au matérialisme. Les corps féminins se dévoilent telles des marchandises, au même titre que les belles bagnoles ou les accessoires bling-bling. À cet égard, certains textes sont également problématiques.
Cela dit, il serait regrettable de réduire le hip-hop à ces représentations négatives. Le hip-hop est une véritable contre-culture, loin d'être monolithique. Les différents courants et styles qui la constituent ne se limitent pas à une seule définition. Le hip-hop n'est donc pas plus misogyne que d'autres styles artistiques, que ce soit le rock ou la variété française par exemple. On retrouve les mêmes clichés sexistes dans ces autres formes d'expression artistique plus populaires.

Constate-t-on une évolution sur cette question, au sein du hip-hop ?

En réalité, les femmes ont toujours été présentes au sein de la culture hip-hop. Et ce, dès son émergence en Europe, à la fin des années 1970. À Bruxelles, par exemple, des femmes se sont investies dans le breakdancing dès le début des années 80. Aujourd'hui, les femmes ont gagné en visibilité au sein de la culture hip-hop. Internet et les réseaux sociaux permettent une plus large diffusion de l'autoproduction et des créations artistiques d'artistes féminines. On retrouve par exemple des chanteuses de rap, des danseuses de breakdancing ou des femmes qui créent des œuvres inspirées du graffiti. Le deejaying, pratiqué par des femmes, a lui aussi toujours existé. Cependant, ces femmes sont moins connues du grand public. La plupart d'entre elles officient dans des cercles privés.

Comment expliquer que tant de femmes aiment le hip-hop, malgré l'image misogyne qui lui est régulièrement accolée ?

Encore une fois, je ne pense pas qu'il faille réduire le rap à cette conception misogyne. La plupart des textes de rap véhiculent des messages forts. Certains sont politiques et contestataires, d'autres, plus festifs, se veulent ancrés dans la sociologie de la jeunesse urbaine. Ne réduisons pas le hip-hop à l'un ou l'autre rappeur polémique dont les textes sont empreints de sexisme. Le rap interroge celui qui l'écoute sur son environnement, questionne la société, il amène souvent à réfléchir grâce à des textes recherchés. C'est surtout cela qui plaît à tant de jeunes – hommes ou femmes.

Parler dans un langage direct, voire cru, cela fait-il partie d'un ensemble de codes véhiculés par le hip-hop ?

Oui, il y a clairement un vocable, un langage spécifique dans la culture hip-hop et ce, en fonction de la discipline investie. Cependant, un artiste n'est pas l'autre, chacun a son style, chacun a son public. Il n'y a pas de codes spécifiques à la culture hip-hop. Ils appartiennent à chaque artiste.

Se construire une image d'homme viril – et potentiellement misogyne – est-ce nécessaire pour percer dans le hip-hop ?

Je ne pense pas. La provocation peut certes faire partie des éléments qui contribuent à la notoriété d'un artiste. Cela dit, je ne pense pas que cette construction machiste puisse être considérée comme étant un facteur d'ascension ou de réussite pour un artiste hip-hop.

Peut-on être rappeur et féministe ?

Pourquoi pas ? En tout cas, clairement, certaines rappeuses se revendiquent telles quelles. Alors pourquoi pas les rappeurs ? Dans les entretiens que j'ai menés auprès d'artistes hip-hop, je n'ai pas posé cette question. Mais cela vaudrait certainement la peine de les interroger sur le sujet. Ceux que j'ai rencontrés s'inscrivent en tout cas pleinement dans un discours d'émancipation des femmes et dans des revendications égalitaires entre les hommes et les femmes.
À côté de cela, on constate également la présence récurrente d'une figure féminine, celle de la maman. Presque tous les rappeurs, des plus amateurs aux plus mainstream, dédient une chanson à leur mère. Elle symbolise le sacrifice, l'effort et le dévouement.

Les textes des chansons de hip-hop ne seraient-ils qu'un reflet des dynamiques à l'œuvre dans notre société ? En d'autres termes, le hip-hop serait-il misogyne simplement parce que la société l'est ?

Tout à fait. Le hip-hop – comme toutes les formes d'expression artistique – reflète les enjeux sociétaux du moment. Cependant, je n'affirmerais pas que le hip-hop serait par essence misogyne. Dans toutes les sphères de la société, de l'entreprise à la cellule familiale, on assiste à des rapports de domination masculine sur le féminin. Cela n'est donc pas spécifique à la culture hip-hop.

Certains rappeurs construisent des discours violents à l'égard des femmes. Cela traduit-il un mal-être, une « peur » de l'autre sexe ?

Je ne pense pas qu'on puisse appeler cela de la peur. À mon sens, cela fait plutôt partie d'une culture du patriarcat, de domination envers les femmes. J'ai interviewé plusieurs artistes de rap hardcore – qui charrie aussi des textes homophobes – et n'ai pas perçu une « peur » de l'autre sexe, ou en tout cas pas comme telle.

La misogynie est-elle un prétexte pour attaquer des classes populaires et les populations issues de l'immigration, auxquelles certains associent les rappeurs ?

Dans les débats publics – que ce soit à travers les médias ou les politiques – il peut y avoir une tendance à ethniciser, voire à culturaliser la culture hip-hop à travers les jeunes de quartiers, de banlieues, souvent issus de l'immigration, d'origine maghrébine, etc.
Cela, pour expliquer de façon essentialisante que le rap serait, par exemple, misogyne. On construit donc des représentations sur base de stéréotypes qu'il faut véritablement questionner pour les déconstruire.
De l'autre côté, il serait réducteur de penser que seuls ceux et celles issus des classes populaires consomment la culture hip-hop. On voit de plus en plus qu'elle s'adresse à un public plus large, avec des personnes issues de tous les milieux culturels et sociaux. La culture hip-hop représente l'un des rares espaces favorisant une mixité multiple et donc la rencontre avec des horizons différents. Il est plus que jamais nécessaire de dépasser cette représentation de la culture hip-hop de façon ségrégative. #

Propos recueillis par Mathieu STASSART

 

 

© Kai

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