avril photo interviewDu droit de vote en 1948 à l’instauration de la parité sur les listes électorales en 2002, la situation des femmes en politique en Belgique s’est améliorée. Mais le chemin vers une égalité des sexes est encore long, surtout au niveau des exécutifs. Rencontre avec Petra Meier, politologue et spécialiste de la question du genre.


En Belgique, tendons-nous vers une égalité des sexes en politique ?


Au niveau fédéral et régional, le nombre de femmes a fortement augmenté au sein des parlements après la loi sur la parité de 2002. Les chiffres tournent aujourd’hui autour de 35-45 % 1. L’augmentation est considérable. Au niveau communal, la présence des femmes est un petit peu moins importante, mais elle est également en progression. Si l’augmentation est conséquente au niveau législatif, elle l’est beaucoup moins au niveau exécutif. D’ailleurs, il n’y a toujours pas eu de Première ministre et le taux de bourgmestres femmes n’atteint même pas les 20 % !



Comment expliquer le faible nombre de femmes présentes dans les exécutifs ?

Historiquement, elles ont déjà un désavantage, vu qu’elles sont arrivées plus tard dans les parlements et les conseils communaux. On ne devient pas bourgmestre immédiatement, on passe souvent par un mandat. La situation est la même au niveau des gouvernements. Rares sont les ministres qui ont été catapultés dans un exécutif sans aucun parcours parlementaire. Les places sont limitées au sein des gouvernements et des collèges communaux. Et moins il y a de places, moins il y a de femmes. Les partis se soucient peu de la diversité quand il s’agit de placer une personne qui passe bien dans les médias ou qui jouit d’une bonne réputation.

Un autre facteur : pour former un exécutif, il faut tenir compte de plusieurs équilibres tels que ceux entre partenaires de coalition, entre régions... L’égalité homme-femme vient donc compliquer le puzzle. Elle ne vient qu’après avoir équilibré tout le reste. Cela va prendre du temps avant de pouvoir observer une réelle amélioration.



D’autant que les femmes ont longtemps été cantonnées à des ministères de moindre importance...

Effectivement. On a d’ailleurs souvent considéré qu’il y avait des domaines réservés aux hommes et d’autres, plus « soft », aux femmes. La Santé, par exemple... qui est toutefois un ministère fort conséquent en termes de budget. Ceci dit, à mon sens, il faut aller au-delà de l’importance des ministères attribués aux femmes. Il s’agit aussi de s’interroger sur la manière dont les femmes politiques sont prises au sérieux dans leur travail : comment le Premier ministre chapeaute-t-il sa ministre, lui laisse-t-il gérer ses dossiers ? Lui donne-t-il autant la parole qu’à un collègue masculin ? Sans oublier les médias. Comment ces derniers la traitent-ils ? Quelle image de la ministre renvoient-ils au public ? L’exemple le plus flagrant est celui de Carme Chacón. Elle fut la toute première ministre de la Défense en Espagne, en 2008. Elle avait fait le buzz à la suite d’une photo qui la montrait enceinte en train d’examiner les troupes. Les questions ont fusé : comment une femme peut diriger l’armée ? Pourquoi lui avoir attribué ce portefeuille ?



Que peut-on donc faire pour arriver à une égalité parfaite et durable en politique ?

Une égalité parfaite, ce n’est pas uniquement une égalité en termes de nombre. Si on a un grand conseil communal où il y a 40 % de femmes, c’est très bien. L’égalité numérique est certes importante pour des raisons de représentativité et de reconnaissance de la mixité dans la société, mais ce qui prime, c’est ce qu’il se passe au-delà. Un parlement, un gouvernement ou un conseil communal, ce n’est pas un but en soi. C’est un moyen pour gérer la société. C’est à ce niveau qu’il faut réfléchir en matière d’égalité : les politiques développées, les mesures adoptées, la façon dont l’espace public est pensé, dont les moyens sont dépensés... C’est tout cela qui doit servir aux différents groupes au sein de la population.



Avoir plus de femmes dans les parlements a donc aidé à l’adoption de politiques plus favorables à l’égalité des genres...

Exactement. La société est régie selon la logique de ceux qui la pensent. Et cette logique est déterminée par leur position dans la société, leur façon de vivre, les problèmes qu’ils rencontrent. Il a ainsi fallu de nombreuses années et la présence de femmes en politique pour que les tampons et les serviettes hygiéniques ne soient plus soumis à la TVA d’un produit de luxe ! De nombreux hommes ont également pris les questions d’égalité plus au sérieux après avoir réalisé que leur fille y était confrontée.



Que pensez-vous du principe de la tirette ?

Symboliquement, c’est intéressant. Cela contribue à une normalisation de l’idée de l’égalité des sexes. Au niveau des effets, les résultats sont contrastés. Pour les élections communales, ce sont souvent les votes préférentiels qui sont décisifs, peu importe la position de la personne sur la liste. Sur le long terme, les femmes pourraient peut-être y voir un effet bénéfique. La tirette leur est plus utile lors des élections des niveaux supérieurs. Les électeurs y donnent moins d’importance aux votes personnalisés. Alterner les candidats selon leur sexe est donc positif pour les femmes.



La parité dans les listes électorales, est-ce positif ?

Oui ! Avant les premières lois de quotas en 1994, on atteignait difficilement les 10 % dans les assemblées. Au niveau communal, c’était encore pire. La parité obligatoire et l’alternance en 2002 ont encore augmenté le nombre de femmes en politique. Sans ces lois, on n’aurait jamais pu observer une telle augmentation ces dernières années.



" Il a fallu de nombreuses années et la présence de femmes en politique pour que les tampons ne soient plus soumis à la TVA d’un produit luxe". 



Établir des quotas était-il indispensable ?

Les femmes ne sont pas intrinsèquement moins intéressées par la politique que les hommes. Elles font face à des barrières souvent peu palpables telles que les a priori à leur égard ou bien le fait d’être dans des réseaux genrés. Si le système fonctionne sans quotas, tant mieux. Mais dans le passé, ce n’était pas le cas. Utiliser ces outils mis à disposition pour casser ces barrières et changer les mentalités est primordial. La sensibilisation seule ne suffit pas.



Pourquoi ?

Cela prendrait des générations. Une étude de l’université d’Anvers a sondé 500 hommes et femmes actifs en politique locale pour savoir comment ils combinaient politique, métier complémentaire et vie de famille. Les réponses étaient identiques : un agenda structuré et respecté, une bonne division du temps... Une caractéristique différait cependant selon le sexe : la coordination et la gestion de la vie de famille. Les hommes la déléguaient. Les femmes, quant à elles, s’en occupaient, tout en précisant que leur partenaire les aidait. Elles bénéficient d’un soutien, mais sont seules à gérer la charge mentale ! Les quotas ne vont donc pas changer les situations dans les ménages, mais vont permettre aux femmes d’entrer en politique et d’avoir un poids dans la gestion de la société.



De nombreuses personnes critiquent pourtant les quotas. Est-ce justifié ?

Ils n’ont jamais fait l’unanimité, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Leurs détracteurs trouvent que ce n’est pas naturel, qu’on lèse de jeunes hommes compétents, qu’on réduit la liberté des partis politiques de composer leurs listes... Mais tout comme la tirette, cela a permis une normalisation de la place des femmes en politique.



Quels pays se distinguent par leur égalité homme-femme en politique ?

Le Rwanda est le pays le plus égalitaire en la matière. On y atteint parfois les 60 % de femmes dans les assemblées ! Ils ont une loi de quotas très stricte instaurée après le génocide, qui avait dérégulé l’équilibre homme-femme. Les pays scandinaves ont aussi beaucoup à nous apprendre. Il y existe des règles qui permettent un équilibre entre vie de famille et vie politique : heures des réunions flexibles, facilités de crèches, congés de maternité longs et payés... #

Propos recueillis par Léopold Darcheville



1. 50 % au Sénat.