OuvertureDossierUne législation régule la situation des volontaires. Pour certains secteurs du non marchand, principalement du sport amateur, elle est insuffisante à rencontrer toutes leurs situations spécifiques. Le contexte était mûr pour travailler du neuf, un « statut semi-agoral ». Mais voilà : entre l’idée initiale des associations et le projet du gouvernement fédéral, il y a comme un gouffre ! Cela a valu une séquence de débats parlementaires extrêmement chauds, complémentairement à de très nombreuses réactions des associations et des partenaires sociaux. Essai de décodage, à partir des situations de bénévolat et volontariat, et des problèmes qui peuvent être posés.


Au départ, il y a des gens. Beaucoup de gens. Plus d’1,8 million, qui consacrent en moyenne quatre heures par semaine d’activités rien qu’en Belgique, ce qui représente l’équivalent de 130.000 emplois à temps plein 1 ! Ces personnes donnent de leur temps et de leur énergie pour toutes sortes de causes si utiles : l’encadrement de plus jeunes en mouvement de jeunesse, le soutien à des clubs de sport amateurs, l’organisation d’un événement dans le quartier, la participation à l’association de parents, l’aide à la Croix-Rouge lors d’événements qui rassemblent des foules, le petit coup de main au restaurant social du coin... Il s’agit aussi d’accepter d’être administrateur d’une asbl ou d’accompagner des malades. Tout cela est le terrain du bénévolat et est investi par des personnes qui interviennent ponctuellement (le petit coup de main à l’occasion) ou plus durablement (s’engager à l’encadrement de plus jeunes en mouvement de jeunesse comporte une sorte de « contrat moral » : ne pas tout laisser tomber au milieu d’un grand camp d’été ; la plupart de ceux qui s’y engagent le font pour plusieurs années).

Ces engagements sont parfaitement gratuits. Pour autant, toutes ces personnes n’ont pas été abandonnées dans un désert législatif. En 2005, une loi fédérale sur les volontaires a systématisé quelques normes 2. Ainsi, seules des personnes morales qui n’exploitent pas d’entreprise ou ne réalisent pas d’opérations à caractère lucratif sont autorisées à avoir recours à des volontaires. Par ailleurs, les organismes bénéficiaires ont obligation de prendre une couverture d’assurance en responsabilité civile pour leurs volontaires. Les conditions de défraiements (remboursements de frais encourus par les volontaires) sont aussi précisées : soit le remboursement sur présentation de pièces prouvant et justifiant la dépense soit un forfait. Cette deuxième solution permet de rencontrer des situations telles que des déplacements volontaires avec une voiture privée sans prise de note systématique des trajets, des kilométrages exacts et des motivations de chacun de ceux-ci. Elle permet aussi d’éviter d’avoir à acheter un billet de transport en commun pour l’activité alors qu’on dispose déjà d’un abonnement privé à son nom... Pour éviter tout risque d’abus, le montant du forfait autorisé est plafonné. Ainsi, au 1er janvier 2018 est-il de 34,03 euros par jour avec un plafond annuel de 1.361,23 euros.

La loi belge sur le volontariat ne couvre pas toutes les situations de bénévolat, mais seulement celles qui se jouent par le biais d’organisations. Il en existe d’autres, qui sont des activités gratuites au profit de personnes. En quelque sorte, le « volontariat » est un sous-ensemble du bénévolat : parmi les 1,8 million de bénévoles, on compte 1,166 million de volontaires 3.

Pour éclairer la construction de la législation sur le volontariat, un Conseil supérieur des volontaires a été institué comme organe consultatif dès 2002 4. Il a eu pour tâches ensuite de collecter toutes les informations utiles, d’examiner les problèmes rencontrés, de donner des avis ou formuler des propositions, d’initiative ou à la demande. Sa composition veille à rencontrer la diversité des situations 5.

Dix ans après le vote de la loi, le gouvernement fédéral a demandé au Conseil de procéder à une évaluation. Celui-ci a rentré deux avis 6, l’un sur l’évaluation de la loi proprement dite, l’autre à propos d’une « zone grise » identifiée entre le volontariat et l’emploi.

L’évaluation de la loi de 2005

Celle-ci s’avère globalement positive, même si différents ajustements sont demandés, qu’on ne répertoriera pas ici. On retiendra cependant quelques problèmes de vocabulaire. L’un d’entre eux est spécifique aux francophones : la subtilité sémantique entre « bénévole » et « volontaire » échappe le plus souvent aux acteurs de terrain pour lesquels ils sont des synonymes. Pour compliquer les affaires, nos voisins français donnent quant à eux une acception différente aux mêmes mots. En l’occurrence, la notion de « volontaire » y désigne des situations spécifiques régulées par la loi (sapeurs-pompiers, volontariat international...) 7. L’autre problème de vocabulaire est l’usage dans la loi du mot « indemnités » pour viser le remboursement de frais, réels ou forfaitaires. Chez certains, un tel mot peut laisser entendre qu’il y aurait une forme de rétribution d’un travail, ce qui n’est évidemment pas du tout le cas. Le Conseil propose dès lors de lui substituer le mot « défraiement ».

Nombre de plateformes digitales, visées par le projet, sont sorties de l’économie collaborative et sont dirigées selon un modèle lucratif. 


Il y a évidemment consensus autour du principe de non lucrativité des organismes. Au nom du même principe, le Conseil est d’avis de ne pas relever les plafonds des indemnités/défraiements du volontaire lorsque l’option est celle du forfait.

Force encore est de constater qu’il est plus facile d’être travailleur et, par surcroît, volontaire que chômeur et volontaire. Le chômeur doit en effet déclarer son intention, jadis auprès de l’Onem, désormais auprès de l’Office régional pour l’emploi dont il relève 8 ; il n’est pas rare que les interprétations soient (exagérément) restrictives.


La nécessité d’un statut semi-agoral

« Certains engagements dans le secteur à profit social (...) n’ont pas de cadre juridique adéquat (...) ; les principes du volontariat (...) sont ainsi mis sous tension », tel est le constat du Conseil, qui plaide alors pour « un statut social et fiscal adapté pour certains (c’est nous qui soulignons) engagements qui ne relèvent ni du volontariat ni du travail ». Ce commentaire du Conseil ne se comprend qu’à la lumière de la réalité de certains secteurs, en particulier dans le sport amateur : de nombreuses prestations y sont exécutées qui, sans être professionnelles, « débordent » du strict volontariat en ceci qu’elles sont indemnisées au-delà du défraiement légal aux volontaires. Les honnêtes déclarent ces revenus additionnels, les autres se contentent d’empocher l’enveloppe. En vue de régler leur problème, les fédérations sportives ont pris l’initiative de commander une enquête exploratoire à la VUB. C’est dans ce rapport qu’apparaît la notion de « statut semi-agoral » pour désigner cet intermédiaire, qui n’est plus du volontariat classique sans pour autant relever de l’emploi au sens habituel.

Le Conseil reprend la notion et la circonscrit, entre autres, à partir des principaux éléments suivants :

•             La mission doit être exercée par une personne physique, en contrepartie d’une indemnité de prestation, et en dehors du secteur commercial ;

•             La personne qui exécute la mission semi-agorale doit déjà avoir une autre activité professionnelle principale qui permet de faire valoir des droits sociaux ;

•             Une personne ne peut cumuler le statut semi-agoral avec du volontariat et/ou du travail au sein de la même organisation ;

•             La hauteur de l’indemnité doit être limitée, exonérée de l’ONSS (puisque la formule garantit que des droits sociaux sont constitués par ailleurs), mais faire l’objet d’une imposition.



Dans la foulée, certains sous-secteurs culturels, côté flamand, ont manifesté de l’intérêt : les organisateurs de festivals qui ont recours à l’aide de nombreuses personnes pendant des laps de temps fort courts. On le voit, un problème est identifié, mais objectivement circonscrit.

En même temps, on peut être surpris dans la mesure où il existe déjà une disposition dite « article 17 » qui dispense certains employeurs du secteur socioculturel et les organisateurs de manifestations sportives du paiement de cotisations pour des travailleurs à condition qu’ils ne soient pas occupés plus de 25 jours par an et sous contrat à durée déterminée. N’eût-il pas été opportun d’évaluer cela, et d’éventuellement lui proposer des aménagements ?

Le gouvernement fédéral s’empare du sujet

S’emparant du sujet, le gouvernement fédéral fait un lien entre la proposition du Conseil et l’économie collaborative (voir encadré). À son estime, la solution réside en une extension de cette législation déjà existante.

Ainsi, via inscription sur une plate-forme, toute personne à l’emploi (salarié ou fonctionnaire) pour au moins 4/5 temps ou indépendante à titre principal ou pensionnée sera autorisée à prester des services indemnisés à concurrence d’un maximum de 1.000 euros par mois et 6.000 euros par an sans aucune cotisation sociale ni imposition. Cela vise tout autant des prestations pour des organisations à but non lucratif (qui sont rebaptisées « travail associatif » – à proprement parler, c’est cela seul qui répond à la demande de statut semi-agoral) que ce qui peut se jouer de particulier à particulier.

D’emblée deux différences très significatives s’observent avec la proposition du Conseil : là où seuls « certains » domaines étaient visés, on se retrouve face à une liste énorme de secteurs autorisés ; là où on prévoyait de l’imposition, on se retrouve avec l’équation « le brut = le net ».

Pour ce qui concerne l’énormité de la liste, après tout, si le gouvernement ne veut pas trancher lui-même, il existe une mécanique bien connue, rodée et efficace en Belgique : le renvoi de l’arbitrage aux commissions paritaires concernées. La suggestion n’a pas manqué d’être formulée 9, malheureusement sans succès à ce jour.

Unanimité contre

Le projet connu, des avis ont été rapidement émis, en provenance de tous les secteurs de la société. Qu’ils soient issus d’associations, de syndicats, des classes moyennes ou de professionnels de la santé, tous sont absolument négatifs ! Voici un répertoire non exhaustif des principaux griefs.


Dénaturation pure et simple du volontariat, qui implique la gratuité. Il n’est en tout cas pas question de défrayer le temps passé à la prestation. Sans compter le choix déplorable du terme « travail associatif » qui va créer de nouvelles confusions avec d’une part le travail de l’association, d’autre part le travail du professionnel en association.

Fragilisation de la sécurité sociale et de l’impôt, qui sont parmi les principales sources de financement des secteurs visés. La Cour des comptes a chiffré les choses 10, estimant que 5 % des indépendants (soient 40.000 sur 800.000) pourraient user du statut en effet d’aubaine pour une partie de leurs activités actuelles : près de 90 % des indépendants à titre complémentaire déclarent moins de 6.000 euros par an 11. (Coût : 194 millions de pertes de recettes fiscales et parafiscales, dont 109 millions en cotisations sociales.)

Le mauvais chasse le bon : des personnes non qualifiées pourraient être amenées à exercer des activités relevant de professionnels qualifiés. Autrement dit, du travail associatif pourrait se substituer à de l’emploi non marchand. Pour éviter cela, il faudrait à tout le moins limiter la durée mensuelle autorisée au travail associatif, ainsi qu’être moins généreux en indemnités. La somme de 6.000 euros correspond en effet aussi à la hauteur de la rémunération brute annuelle d’un animateur socioculturel en Fédération Wallonie-Bruxelles à 1/5 temps 12.

Fragilisation des associations : si les nombreux volontaires de certaines associations se mettent en tête de faire du « travail associatif », les conséquences budgétaires pourront être fatales. Par ailleurs, vu la disette budgétaire des pouvoirs publics, la tentation de ceux-ci ne sera-t-elle pas d’encourager le dispositif au détriment du financement de l’emploi permanent ?

Concurrence déloyale, en particulier à l’égard des indépendants et des petites entreprises : un grand terrain de jeu s’ouvre à cet égard, en particulier relativement au segment du projet qui élargit les choses aux services interpersonnels.

Concurrence aux activités autorisées des chômeurs : en l’occurrence, celles menées dans le cadre des Agences locales pour l’emploi (voir encadré p.7).

Professionnels du « care » (voir encadré p.7) : quid de la nécessaire qualité lorsqu’il s’agira de rendre un service d’aide aux personnes, d’accueil des enfants, de soutien aux familles ?

Sortie du modèle non lucratif : nombre de plateformes digitales sont en réalité sorties de l’économie collaborative. Elles sont au contraire des initiatives dirigées par des géants internationaux selon un modèle lucratif, et sans appliquer les législations nationales (Uber, Airbnb, Deliveroo…). Bref, le dumping organisé et l’absence de statut social pour le personnel.



 Le Conseil national du travail flingue le projet et le Conseil supérieur des volontaires exprime à quel point ce qui est déposé concorde peu avec sa propre proposition. 

 

Le Conseil national du travail flingue le projet, le Conseil supérieur des volontaires exprime à quel point ce qui est déposé concorde peu avec sa propre proposition, des représentations d’indépendants et de classes moyennes sont inhabituellement agressives à l’égard d’un gouvernement que, jusque-là, elles avaient plutôt « à la bonne ».

Face à toutes ces critiques, le gouvernement a apporté deux modifications au projet avant de le soumettre à la délibération du Parlement : le plafond de 1.000 euros par mois est ramené à 500 euros par mois et l’agrément des prestations de type « care » est renvoyé vers les Communautés.


Retrait du projet

Finalement, le projet est retiré. Mais très provisoirement. Car du jeu de politique politicienne s’en est mêlé. Le projet ne constituait en effet qu’un chapitre d’une énorme loi (plus de 700 pages) comprenant aussi la réforme de l’impôt des sociétés et la taxation des comptes-titres. Le tout devant être voté avant le 31 décembre 2017 et ayant été transmis à la dernière minute, l’opposition parlementaire s’est logiquement déchaînée. Avec les vigoureuses protestations venant de la société civile, le gouvernement a reculé, en réalité pour préserver ce qui, à ses yeux, était l’essentiel à voter vite : la réforme de l’impôt des sociétés. En même temps que le statut semi-agoral, la taxation des comptes-titres a elle aussi été renvoyée à plus tard.


Seulement voilà, si les trois sujets se retrouvaient dans le même projet, c’est qu’il y avait compromis entre les trois partis flamands de la majorité. La N-VA voulait la réforme de l’impôt des sociétés (ISOC) ; le CD&V quant à lui voulait la taxation des comptes-titres pour compenser des aspects qui lui déplaisaient dans la réforme de l’ISOC (mais en réalité ni la N-VA ni l’Open VLD ne veulent de cette taxation) ; quant au statut semi-agoral, il devait servir de trophée à l’Open VLD ! Avec le recul de dernière minute, un scénario aurait pu consister en celui-ci : en définitive, seule la N-VA ayant réussi à faire voter son « grand projet », il était désormais plus intéressant pour elle, d’un point de vue de politique politicienne, que ses partenaires/adversaires déshabillés le restent ! Autrement dit, elle aurait paradoxalement pu devenir une alliée objective des associations dont elle s’est avérée être aussi le farouche adversaire ! C’eût été une belle curiosité... Finalement, la N-VA a opté pour la loyauté du parti à l’égard du compromis de coalition gouvernementale : le vote final pourra dès lors intervenir... du moins après la fin de la procédure de conflit d’intérêts 13 que le parlement de la Cocof a voté le 19 janvier dernier au nom du conflit de compétence (le fédéral empiéterait, fût-ce partiellement, sur une compétence de nature communautaire). Le processus est donc bloqué temporairement (60 jours), théoriquement pour permettre, entre temps, une négociation entre les parties. #

Pierre Georis :  Secrétaire général du MOC



Merci à Philippe Andrianne, secrétaire politique d’Énéo, qui a lu et utilement commenté une première version du texte 14.


1. M. Marée, Le volontariat en Belgique. Chiffres-clés, 2015, Fondation Roi Baudouin. Disponible en ligne : https://www.kbs-frb.be/fr/Virtual-Library/2015/20151019DS

2. Loi du 3 juillet 2005.

3. M. Marée et alii, op. cit.

4. AR du 2 octobre 2002. Aujourd’hui, il relève du périmètre du SPF Sécurité sociale.

5. Dix francophones, dix néerlandophones, un germanophone, quatre experts scientifiques. Dix grands secteurs sont représentés : formation et enseignement ; jeunesse et seniors ; soins de santé ; aide sociale et judiciaire ; sport ; culture et loisirs ; actions humanitaires et solidarité internationale ; religion, courants philosophiques et politiques ; environnement, nature, bien être des animaux, écologie ; famille.

6. Les avis sont disponibles en leur version intégrale sur :
www.conseilsuperieurvolontaires.belgium.be


7. Centre d’économie sociale de l’Université de Liège : www.ces.ulg.ac.be/fr_FR/services/cles/notes-de-synthese/volontariat-definition/benevolat-ou-volontariat

8. Par effet de la sixième réforme de l’État : Forem en Wallonie francophone, Actiris à Bruxelles, Vdab en Flandre, Arbeitsamt en Communauté germanophone.

9. En particulier par le Conseil national du travail, avis 2065 du 29 novembre 2017.

10. F. MATHIEU, « Les 6.000 € défiscalisés pourraient coûter très cher », Le Soir, 30 novembre 2017.

11. Le SNI (Syndicat Neutre des Indépendants), en réponse à une question de Catherine Fonck (CDH) en commission parlementaire à la Chambre des représentants.

12. Source : CESSoC (Confédération des employeurs des secteurs sportifs et socioculturels).

13. Sur le conflit d’intérêts : voir le « vocabulaire politique » du CRISP www.vocabulairepolitique.be/conflit-dinterets-3/

14. Philippe Andrianne, « Une fausse bonne idée à 6.000 €/an », Énéo Focus, novembre 2017.