chomage copyrught fdecomiteDepuis plusieurs années, les politiques d'emploi ont fait de l'activation des chômeurs leur cheval de bataille. Ceux-ci sont contraints avec de plus en plus d'exigence de prouver leur disponibilité active sur le marché de l'emploi. Sanctions, stigmatisation et exclusion à la clef. Mais quel impact ce type de politique a-t-il sur la santé des chômeurs ? Des recherches en psychologie sociale se sont penchées sur la question. Elles nous livrent leurs enseignements.

 

La problématique du chômage est quasi quotidiennement présente dans le champ politique et médiatique. De nombreuses questions y sont soulevées. Combien de personnes sont sans emploi ? Quel est leur profil ? Comment les chiffres évoluent-ils au cours du temps ? La Belgique est-elle plus mal lotie que ses voisins ? Quel est le profil des chômeurs ? Sont-ils assez formés ? Quelles démarches font-ils pour trouver du travail ? Quelle proportion d'entre eux décroche un emploi ? La plupart de ces questions se focalisent essentiellement sur l'insertion professionnelle. Or il est une question qui mérite tout autant de faire la une de l'agenda politique et médiatique, mais qui est généralement peu abordée, c'est celle de la santé des personnes sans emploi. Celle-ci est en effet déterminante pour que les politiques d'emploi qui sont mises en place aient une chance d'être efficaces sur le long terme. Cet article fera dès lors le point sur l'état des connaissances à propos des liens entre santé et chômage. Il en analysera les mécanismes sous-jacents et évaluera le rôle que jouent à ce propos les politiques d'emploi.



Chômage et santé mentale



Depuis une trentaine d'années, de nombreuses recherches ont mis en évidence des liens étroits entre le chômage et la santé mentale. Plusieurs méta-analyses 1 ont tenté de déterminer la direction de la causalité entre ces deux variables 2. Est-ce le mal-être des individus qui explique le licenciement et entrave la recherche et l'accès à l'emploi ? C'est l'hypothèse dite de sélection. Ou est-ce plutôt le licenciement et la situation de chômage qui sont à la source de difficultés psychologiques ? Ce qui constitue l'hypothèse dite d'exposition. La direction de la causalité n'est pas une question de pure forme car, au-delà de la compréhension de certains mécanismes, elle permet de fournir des indications relatives à la mise en place de politiques de lutte contre le chômage. En premier lieu, les résultats de ces travaux ont mis en évidence la bidirectionalité de la causalité. Les deux hypothèses sont donc confirmées. Mais ils ont surtout montré le fait que le poids de l'hypothèse d'exposition dépasse largement celui de l'hypothèse de sélection. En d'autres mots, bien plus qu'être une cause du non-emploi, la mauvaise santé mentale en est une conséquence directe. Autrement dit, le chômage a un effet délétère important sur la santé 3.

Le poids de la stigmatisation

Pour expliquer la puissance délétère du chômage sur la santé, les recherches ont épinglé en premier lieu les difficultés financières. La diminution des ressources pécuniaires a un effet direct sur la dégradation de la santé, que ce soit au travers d'un moindre accès aux services médicaux, à une nourriture de qualité ou par le stress permanent qu'un état de pauvreté entraîne 4. D'ailleurs, les méta-analyses citées plus haut ont mis en évidence que la dégradation de la santé était limitée dans les pays qui pratiquaient un système de protection sociale élevé.

Mais il existe une autre explication qui mérite d'être soulignée, c'est celle qui concerne la manière dont la société, dans son ensemble, perçoit les chômeurs, juge les causes de leur chômage et évalue leurs efforts de (ré)intégration professionnelle. Depuis les travaux de Goffman 5, on sait combien le regard d'autrui, s'il est négatif, est source de discrédit et entraîne la marginalisation de celui qui en est la cible. Pour qualifier cette situation, Goffman a mobilisé le terme de « stigmatisation ». Dans cette perspective, les effets du chômage résulteraient des images que la société véhicule à propos des chômeurs, images que tout un chacun connaît et qui s'expriment généralement par les qualificatifs tels que « fainéants, apathiques et incompétents » 6. Ceci est d'autant plus problématique que les tests de situation montrent que le fait d'écrire dans un CV qu'on est actuellement sans emploi constitue un handicap pour retrouver du travail 7. Les chômeurs sont parfaitement conscients de cette situation et se sentent d'ailleurs discriminés dans diverses sphères de leur vie.

Cette stigmatisation induit de manière sous-jacente le développement d'une identité sociale négative, entame la confiance qu'un individu a en lui-même et l'enferme dans une impasse sur le plan personnel, social et professionnel 8. Ce phénomène est d'autant plus accentué que la personne se sent, d'une manière ou d'une autre, immergée dans un contexte de menace résultant du stigmate auquel elle est associée.

Divers travaux empiriques ont mis en évidence le poids de ces mécanismes 9. Ils ont montré que lorsque l'appartenance au groupe des chômeurs est rendue saillante, elle constitue une menace et altère divers aspects du fonctionnement de la personne. Non seulement cette appartenance porte atteinte à ses performances cognitives, à ses apprentissages et à son estime de soi, mais elle freine également sa capacité à prendre des initiatives, à être proactive dans son insertion sociale et professionnelle. Ces résultats suggèrent donc que les effets délétères du chômage sont, au moins en partie, expliqués par le regard négatif que porte la société sur le chômeur, auquel il lui est très difficile de résister. Ce phénomène est, par ailleurs, accentué, lorsque de manière répétée, les efforts de recherche d'emploi se sont soldés par des fins de non-recevoir ou par des refus explicites 10.

Quel rôle jouent les politiques actives d'emploi ?

Les éléments qui viennent d'être exposés suggèrent que pour lutter contre la dégradation de la santé mentale des chômeurs, les dispositifs d'insertion professionnelle devraient contribuer au développement d'une identité sociale positive et s'inscrire dans un environnement qui ne se révèle pas menaçant. Qu'en est-il ?

Depuis 2004, existe en Belgique, à l'image de ce qui se passe dans d'autres pays de l'OCDE, divers programmes d'insertion professionnelle. Ils offrent, en général, sur base d'un bilan de la situation professionnelle du chômeur, un ensemble de recommandations d'actions comprenant formations, stages, ateliers de recherche active d'emploi... Ces programmes aboutissent à la signature de ce qui s'apparente à une convention d'accompagnement. Si le chômeur ne met pas cette dernière suffisamment en œuvre, il encourt diverses sanctions. L'idée sous-jacente à cette politique est que la menace de sanction constituerait un incitant à la recherche d'emploi et donc à l'embauche. Ce plan conjugue donc deux dimensions, l'une centrée sur l'aide et les services qui sont proposés au chômeur pour le soutenir dans ses formations et sa recherche d'emploi, l'autre sur le contrôle des démarches effectivement opérées par ce dernier. Alors que la première dimension contribuerait à mettre en place un contexte rassurant, la seconde pourrait activer le sentiment de vivre dans un environnement de menace susceptible de nuire à la santé mentale.

Jusqu'ici, très rares sont les études qui ont évalué les politiques actives d'emploi au regard de la santé mentale. Or, on sait que celle-ci intervient non seulement dans la persistance des activités de recherche d'emploi, mais aussi dans la possibilité des individus de jouer un rôle actif dans toutes les sphères de vie (vie politique, familiale, associative...). Les quelques études qui existent en la matière ont été réalisées en Europe du Nord, mais elles ne débouchent pas sur des conclusions probantes étant donné les difficultés méthodologiques afférentes 11.

Pour pallier cette carence, nous avons réalisé en Région wallonne, entre 2007 et 2010, une série d'études destinées à analyser les effets de dispositifs d'insertion professionnelle 12. Celles-ci respectaient des protocoles de recherche soit corrélatifs, soit expérimentaux et ont consisté à soumettre des questionnaires à plusieurs centaines de chômeurs. Elles avaient pour objectif de comparer les effets d'un dispositif basé surtout sur le soutien (il était alors rappelé, aux participants, la fonction conseil et aide du conseiller en formation) à ceux d'un dispositif mobilisant la sanction (il a alors été rappelé la possibilité d'un avertissement et d'une suspension des allocations) ou encore à une situation où ni aide ni sanction n'était rappelé. Contrairement à nos attentes, les deux conditions « sanction » et « soutien » n'ont pas conduit à des différences, ni en termes d'insertion professionnelle ni en termes de bien-être. Les chômeurs n'ont donc pas manifesté de réactions différenciées en fonction du fait qu'on leur avait souligné le caractère aidant ou sanctionnant du dispositif. En quelque sorte, le fait d'évoquer l'un ou l'autre de ces aspects indiffère ; il rappelle simplement aux chômeurs qu'ils participent à un programme de résorption du chômage. Par contre, les résultats ont montré des différences significatives entre le fait de souligner que le chômeur participe à un programme actif, quel qu'il soit et le fait de ne pas le lui rappeler.

Il est urgent de repenser le poids accordé à une politique incluant les sanctions dans un contexte fortement marqué par un déficit d'emploi.

Lorsqu'on rappelle aux chômeurs qu'ils dépendent d'un programme de soutien ou de sanction, ils se sentent davantage menacés et sous surveillance que lorsqu'on ne leur rappelle pas cette situation. De plus, ils éprouvent davantage de honte et de culpabilité, voire d'humiliation, ce qui affecte leur estime d'eux-mêmes. Mais les effets ne s'arrêtent pas là. Contrairement à ce qui était attendu, le rappel des fonctions tant d'aide que de sanction renforce le fait que les chômeurs voient l'emploi comme inaccessible, alors même qu'ils savent qu'ils doivent continuer à postuler. Même si une étude complémentaire a mis en évidence un moindre rôle négatif du soutien apporté par les organisations, tout se passe comme si le contexte général de sanction qui caractérise les politiques d'emploi actuelles avait pour effet de démanteler le potentiel positif que pouvaient avoir les dispositifs d'insertion.

Conclusions

Les recherches présentées dans cet article ont tenté de clarifier les effets de dispositifs d'insertion socio-professionnelle comportant des menaces de sanction. Les conclusions auxquelles elles aboutissent suggèrent que de tels programmes présentent une série d'effets équivoques, voire négatifs sur le plan de la santé mentale et de la volonté d'insertion professionnelle. Ils semblent générer un sentiment de menace généralisé et induire de la honte et de la culpabilité, lesquelles dégradent l'estime de soi des chômeurs. De plus, bien qu'il puisse, sous certaines conditions, constituer un incitant dans la recherche d'emploi, il conduit également à développer une vision de la société où le travail est inaccessible.

Ces conclusions plaident pour la prise en compte, dans les politiques actives d'emploi, de variables autres que l'insertion professionnelle. D'une manière générale, on sait que la situation de chômage, en tant que telle, est largement délétère parce qu'elle prive l'individu de l'accès à une série de besoins matériels et psychologiques et aussi parce qu'elle lui confère une image dévalorisée, voire méprisée par l'ensemble de la société. Ce que les études qui viennent d'être présentées suggèrent en plus, c'est que certaines modalités portées par les politiques d'emploi, plutôt que de soulager le chômeur, aggravent son état. Il est dès lors urgent de repenser le poids accordé à une politique incluant les sanctions dans un contexte fortement marqué par un déficit d'emploi. #

Ginette Herman: Université catholique de Louvain et David Bourguignon : Université de Lorraine à Metz

©: fdecomite


 

1. Une méta-analyse est une démarche statistique combinant les résultats d'une série d'études indépendantes sur un problème donné. Elle permet une analyse plus précise des données par l'augmentation du nombre de cas étudiés et de tirer une conclusion globale. Elle permet aussi de détecter les biais de méthode des études analysées.

2. F. M. MCKEE-RYAN, Z. SONG, C.R. WANBERG et al., « Psychological and Physical Well-Being during Unemployment : a Meta-Analytic Study », Journal of Applied Psychology, 2005, 90 (1), p. 53.

3. G. HERMAN, Travail, chômage et stigmatisation : une analyse psychosociale, Bruxelles, De Boeck, 2007.

4. E. SOLOVE, G.G. FISHER et K. KRAIGER, « Coping with job loss and reemployment : a two-wave study », Journal of Business and Psychology, 2015, 30(3), pp. 529-541.

5. E. GOFFMAN, Stigma : Notes on the management of spoiled identity. Englewood Cliffs, N.J., Prentice Hall, 1963.

6. G. HERMAN, D. VAN YPERSELE, « L'identité sociale des chômeurs », Les cahiers du Cerisis, 1998, 98/10.

7. G. C. HO, M. SHIH, D.J. WALTERS et al., The stigma of unemployment : when joblessness leads to being jobless, 2011.

8. D. BOURGUIGNON, G. HERMAN, « La stigmatisation des personnes sans emploi : conséquences psychologiques et stratégies de défense de soi », Recherches sociologiques, 2005, 36, pp. 53-78.

9. D. BOURGUIGNON, D. DESMETTE, V. YZERBYT, et al., « Activation du stéréotype, performance intellectuelle et intentions d'action : le cas des personnes sans emploi », Revue internationale de Psychologie sociale, 2007, 20 (4), pp. 123-153.

10. D. BOURGUIGNON, G. HERMAN, « Quand le monde du travail est perçu comme ouvert ou fermé », Travail, chômage et stigmatisation : une analyse psychosociale, Bruxelles, De Boeck, 2007.

11. K.N. BREIDAHL, S.L. CLEMENT, « Does Active Labour Market Policy have an Impact on Social Marginalization ? », Social Policy & Administration, 2010, 44 (7), pp. 845–864.

12. D. BOURGUIGNON, G. HERMAN, G. LIÉNARD, et al., « Dispositifs d'insertion socioprofessionnelle et santé mentale », La Revue Nouvelle, 2009, pp. 50-64.

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