Photo loi compétitivitéLa loi du 26 juillet 1996, dite « loi relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité », encadre la négociation collective sur les salaires en Belgique. Elle est injustement méconnue du grand public au regard de ses effets en matière de pouvoir d'achat, de limitation de la négociation collective et d'application au salariat d'une logique économique néoclassique. Plus de vingt ans après sa mise en œuvre, la majorité MR/N-VA au Parlement vote son durcissement et confirme l'orientation du projet au détriment de tous les salariés du pays.


Des réformes de durcissement de la loi de 1996 étaient à l'agenda politique des gouvernements de tout bord depuis plusieurs années. La décision du gouvernement actuel est le point d'orgue d'évolutions en matière de politique des salaires en Belgique. Nous reviendrons ici sur les fondements de la loi afin d'en expliquer les ressorts et d'exposer les critiques principales. Ensuite, la nouvelle mouture du texte sera analysée pour montrer comment les orientations principales aggravent la situation pour les travailleurs. Enfin, nous montrerons, qu'en dépit des discours actuels, une autre coordination des salaires est possible, plus favorable aux travailleurs, plus juste socialement et plus efficace économiquement.

La loi de 1996

Dans l'intention de ses promoteurs, la loi de 1996 a pour objectif d'encadrer et coordonner les négociations salariales pour s'assurer que la compétitivité des entreprises en Belgique ne se dégrade pas au regard de celle des pays voisins et concurrents. Tous les deux ans, avant les négociations collectives qui ont lieu entre les interlocuteurs sociaux lors des accords interprofessionnels (AIP), le Conseil central de l'Économie (CCE) est chargé de remettre un rapport sur l'emploi, les salaires et la compétitivité en Belgique. En particulier, le rapport doit comparer l'évolution du coût salarial nominal (par heure et équivalent temps plein) en Belgique par rapport à ceux des trois pays voisins (France, Allemagne et Pays-Bas). Le calcul se fait de manière relative à une année de référence (1996) mais aussi de manière pondérée puisque les pays de référence reçoivent un poids différent selon leur PIB. Sur base du rapport du CCE, qui livre autant l'évolution des salaires passés que celle anticipée dans le futur chez nos voisins, les interlocuteurs sociaux doivent définir une norme de croissance des salaires pour les deux années à venir, appelée « norme » ou « marge » salariale. Elle doit au moins permettre des indexations et des augmentations barémiques. Pour la fixer, les interlocuteurs sociaux doivent tenir compte des évolutions futures des salaires en Belgique et dans les pays voisins. En théorie, la marge peut être réduite suite, par exemple, à une hausse des salaires supérieure en Belgique par rapport aux pays voisins lors des deux dernières années. Une fois fixée par les interlocuteurs sociaux, les conventions de travail au niveau interprofessionnel, sectoriel, d'entreprise ou individuel doivent respecter cette norme. En cas de désaccord sur l'établissement de la norme, le gouvernement peut choisir d'aider les interlocuteurs, ou en dernier recours de décider à leur place de l'évolution des salaires dans le pays.

Sur le plan théorique, la loi originelle de 1996 encadre donc de manière forte la négociation collective, d'autant plus qu'elle arrive après des dizaines d'années d'une négociation interprofessionnelle et sectorielle globalement libre. Cependant, son application dans les premières années a été à l'encontre de la lettre de la loi. D'une part, la marge fixée au niveau interprofessionnel était considérée comme indicative au niveau sectoriel et de l'entreprise. Ce faisant, des secteurs où le rapport de force syndical était favorable et/ou les secteurs en bonne santé économique ont été au-delà de la norme salariale. D'autre part, aucun mécanisme correcteur n'a été appliqué en cas de progression des salaires belges supérieure à ce qui était prévu par rapport aux pays voisins.

Un net glissement s'est ensuite opéré dans l'application de la loi de 1996 ces dernières années, et ce alors que le cadre législatif est resté presque inchangé, instaurant de fait une période de quasi-stagnation salariale en Belgique. Pour la période 2011-2012, les interlocuteurs sociaux ne trouvent pas d'accord et le gouvernement impose une norme nulle en 2011 et de 0,3 % en 2012. En 2013-2014, le gouvernement d'Elio Di Rupo impose une norme nulle sans concertation avec pour objectif de résorber l'écart constitué depuis 1996. Par ailleurs, des formes de rémunération considérées « hors norme salariale » (pensions complémentaires, participation des travailleurs au capital) apparaissent et peuvent faire le fruit de négociations en dehors de la marge salariale définie. Ces choix ne sont pas neutres et orientent le mode de rémunération que doivent choisir les interlocuteurs sociaux pour les travailleurs. Enfin, en 2015, les entreprises publiques autonomes rejoignent le secteur privé dans le champ de compétence de la loi de 1996. En vingt ans, l'application de la loi a donc bien changé : nous sommes passés d'une application qui laissait la place à des négociations collectives en phase avec les réalités sectorielles à une centralisation des questions salariales avec un gouvernement omniprésent.

Critiques de la loi

Cette loi qui encadre les salaires doit être critiquée simultanément sur deux plans. D'une part, ses fondamentaux économiques et politiques doivent être remis en question par tous les progressistes soucieux de conjuguer justice sociale et développement économique.


D'autre part, en jouant le jeu du cadre de la loi qui s'impose à nous comme citoyen ou travailleur, des remises en question peuvent être formulées pour en souligner les faiblesses. De cette manière, la critique du texte permet au mieux d'œuvrer à sa fin en cas de contexte politique favorable, au pire à tenter de modifier une mauvaise loi en cas de contexte défavorable.

Une loi biaisée et contre-productive

La première critique à adresser à la loi de 1996 est une critique de son fondement théorique. La loi est d'inspiration économique néoclassique. Dans ce cadre, les salaires doivent être maîtrisés par tous les moyens parce qu'ils constituent le déterminant principal qui freine les profits, le niveau d'emploi et la production. En bref, des baisses de salaire (ou à tout le moins leur gel), combinées idéalement à des allocations de chômage dégressives et limitées dans le temps ainsi qu'à une disparition du salaire minimum, permettrait d'améliorer le niveau de production, d'emploi et le résultat des entreprises. La loi de 1996 reprend une partie de cet argumentaire et consacre donc l'idée que les travailleurs d'un pays entier doivent geler leurs salaires pour que le pays puisse gagner la grande bataille de la concurrence avec les entreprises des pays voisins.

Mais cela a-t-il un sens ? Pas vraiment. Il y a ici une confusion fréquente entre ce qui est bon pour une entreprise prise individuellement et ce qui l'est pour l'économie dans son entièreté. Si une seule entreprise adopte une réduction des salaires payés, elle améliore en effet sa position concurrentielle par rapport aux autres. Mais si toutes les entreprises adoptent la même posture, elles diminuent toutes leurs coûts de la même façon et aucune ne s'en portera mieux. Lorsque toutes les entreprises belges imitent les entreprises allemandes en gelant les salaires, elles n'améliorent pas leur position concurrentielle par rapport à celles-ci.

La stratégie suivie alimente une spirale néfaste : les travailleurs belges voient leurs salaires gelés ou revu à la baisse, le temps que leurs salaires s'alignent face à ceux plus bas de la concurrence à l'étranger. Ensuite, cela se répercute dans la demande de biens et services en Belgique : la consommation étant freinée, les débouchés pour les entreprises diminuent et l'activité économique part à la baisse. La situation devient absurde car la baisse de salaires engendre précisément ce qu'on voulait éviter.

 

Si une seule entreprise adopte une réduction des salaires, elle améliore sa position concurrentielle. Mais si toutes adoptent la même posture, aucune ne s'en portera mieux.


Si certains économistes affirment donc que la loi de 1996 est inefficace et alimente une spirale néfaste pour l'économie, les partisans de la loi ont une réponse toute faite : pour eux, la situation n'est certes pas idéale. Ils concèdent même qu'il faudrait peut-être une coordination à la hausse des salaires en Europe, mais en l'absence de celle-ci, le gel des salaires s'impose et constitue, en quelque sorte, le moins mauvais choix. Cette rhétorique justifie une application rigoriste de la loi et est typique d'une vision partielle et partiale de la compétitivité.

La compétitivité des entreprises belges par rapport aux entreprises des pays voisins est censée être abordée de manière complexe et plurielle. La réalité est toute autre. D'un côté, le CCE présente un rapport extrêmement fouillé sur des aspects très divers de la compétitivité (structure des coûts, innovation, formation...). De l'autre, les pressions patronales dans les négociations collectives aboutissent à considérer le salaire comme la seule variable à ajuster. La loi prévoit pourtant une ouverture vers des mesures qui ne ciblent pas les seuls salaires mais d'autres revenus. Hélas, seules des mesures significatives de limitation des revenus des allocations sociales ont été prises. Nulle part on ne trouve de traces de gel des dividendes ou des revenus des capitaux à l'heure où le coût du capital est dénoncé. Très peu de mesures questionnent les autres déterminants de la compétitivité. À titre d'exemple, dans l'industrie manufacturière, un secteur par excellence soumis à la concurrence internationale, nos salaires ne représentent que 17% des coûts de production 1. Notre production se base sur des biens massivement importés avec peu de valeur ajoutée réalisée en Belgique. L'énergie est également au cœur des coûts de production dans ce domaine. Pourtant, les capitaines d'industrie sont plus enclins à appliquer une loi gelant les salaires qu'à structurellement innover et transformer la Belgique industrielle d'hier pour faire face aux concurrences internationales.

Si la loi ne tient pas la route dans sa justification économique, c'est parce que derrière le paravent de (mauvaise) réponse au problème de la compétitivité se cache une justification sociopolitique moins avouable. Pendant que certains affirment que les salaires sont trop élevés, la part des salaires dans la valeur ajoutée produite est tendanciellement en baisse. Autrement dit, bien que le gâteau économique grandit, la part du gâteau qui revient aux travailleurs est sans cesse plus petite. Cette tendance se fait évidemment en faveur du capital. Faire pression sur les salaires aujourd'hui, ce n'est pas favoriser l'activité économique ou l'emploi, c'est favoriser la rémunération du capital. Et cela n'est pas sans conséquence : lorsque les salaires sont mis sous pression (bruts ou cotisations sociales), ce sont autant de revenus en moins pour la sécurité sociale et l'État. C'est également moins de droits sociaux, que ce soit de manière directe (pension plus faible, par exemple) ou indirecte (concurrence entre travailleurs). Au final, si l'efficacité économique et la justice sociale sont absentes, la cohérence idéologique est bien là.

Une loi rigide et injuste

La loi de 1996 n'est pas seulement inefficace. Même en concédant qu'il faut bien appliquer une loi qui encadre les salaires, elle demeure critiquable.

Tout d'abord, la loi est d'une rigidité extrême, surtout dans son application au cours de ces dernières années. Depuis plusieurs AIP, la norme décidée au Groupe des dix s'impose strictement au niveau sectoriel puis aux entreprises. Quelle logique y a-t-il à limiter les salaires de secteurs non soumis à la concurrence internationale ? Ou ceux où la main-d'œuvre est en pénurie ? Ou encore là où il y a croissance et aucun problème économique ? En quoi un secteur comme les hôpitaux doit-il se sentir lié avec les salaires des ouvriers du pétrole ? Les niveaux de salaire, les niveaux de productivité, le contexte concurrentiel, les débouchés sont absolument différents. Ne nous trompons pas de cible : la coordination des salaires à un niveau interprofessionnel est une nécessité et a un sens, celui d'obtenir une norme minimale collective de salaire pour éviter des dissensions salariales. Mais l'existence de la coordination ne doit pas servir de prétexte à un appauvrissement collectif.


Les entreprises imposent à une immense majorité une norme salariale nulle ou presque nulle pour permettre à quelques-uns de gagner substantiellement plus.



Ensuite, la liste des problèmes méthodologiques de la loi est longue et accrédite la thèse d'une vision biaisée de la compétitivité. L'indicateur central de la loi (coût salarial par ETP et par heure) ne tient même pas compte de la productivité des travailleurs et de son évolution. Il est tout de même absurde de vouloir comparer des niveaux de salaire sans comparer ce que ces salaires permettent de produire... Un récent rapport 2, commandé par le gouvernement Di Rupo, s'emploie à présenter une vue plus large du phénomène (analyse des secteurs soumis à concurrence internationale, introduction de la productivité...), sans pourtant avoir modifié quoique ce soit à la loi de 1996. Un autre problème couramment relevé est celui des aides perçues par les entreprises pour diminuer leurs coûts salariaux. Elles ne sont pas toutes intégrées dans le calcul et cela aboutit à surestimer l'écart entre le coût salarial belge et celui de nos pays voisins de manière systématique. De cette manière, les représentants patronaux ont le beurre (les aides sous forme de subsides salariaux et de réductions de cotisations) et l'argent du beurre (un écart salarial surévalué leur permettant de faire pression sur les salaires). Enfin, les choix en termes de pays, de pondération de ces pays et de période de référence ne sont pas neutres non plus. L'économiste Réginald Savage rappelle que « le choix méthodologique de s'en tenir aux seuls trois pays voisins biaise les comparaisons de compétitivité en surpondérant des pays caractérisés par une culture bien ancrée de la désinflation salariale compétitive » 3.

Enfin, une dernière critique concerne une application injuste et discriminante. La loi de 1996 stipule bien que, lorsqu'une marge est décidée au niveau interprofessionnel, « les conventions de travail au niveau intersectoriel, sectoriel, d'entreprise ou individuel ne peuvent prévoir de dépassement de la marge ». En clair, personne ne peut déroger à la marge, ni secteur, ni entreprise, ni individu. En pratique, ces dernières années, les secteurs se sont vus imposer un screening poussé de leurs conventions collectives de travail et le caractère de force obligatoire n'était donné qu'après approbation du service public fédéral. Les entreprises n'osent souvent pas déroger à la loi par peur des sanctions. Il reste alors le niveau individuel : en théorie, pour respecter la loi, une augmentation ne peut être donnée. Dans la pratique, les entreprises jouent aux équilibristes en imposant à une immense majorité une norme salariale nulle ou presque nulle pour permettre à quelques-uns de gagner substantiellement plus. À titre d'illustration, le président du comité de direction de Colruyt a vu son salaire de base fixe augmenter de 38,9 % entre 2011-12 et 2014-15. Sur le même intervalle temporel, la norme salariale pour les travailleurs était de 0,3 %. Le différentiel de traitement entre ouvriers, employés et certains cadres d'un côté et haut management de l'autre est criant.

2017 : durcissement de la loi

Après avoir brossé ce tableau d'une loi contestable à divers niveaux, l'on pourrait s'attendre à ce que la nouvelle loi s'attaque aux faiblesses soulignées. Hélas, le gouvernement MR/N-VA va dans le sens d'un net durcissement, sans véritable prise en compte des critiques. On peut rapidement désigner trois types d'aggravations dans le nouveau texte.

Le premier concerne le calcul de l'écart salarial calculé depuis 1996 avec nos voisins (le fameux « handicap salarial »). Aujourd'hui, en suivant l'ancien texte de loi et malgré le fait qu'on n'y tienne pas compte de toutes les aides salariales que les entreprises reçoivent, ce handicap est résorbé. Cela signifie qu'en moyenne les salaires belges ont évolué de la même manière que chez nos voisins depuis 1996. Et si ce handicap est résorbé, cela ouvre la porte à des revendications salariales. Alors, pour contrecarrer ces demandes, le gouvernement aggrave le mode de calcul du handicap salarial : les réductions de cotisations sociales octroyées lors du tax shift et d'autres aides à venir ne compteront pas non plus dans le calcul de l'écart salarial. Pire, le lobby patronal de la FEB a inscrit un vieux fantasme dans la loi : résorber le « handicap salarial historique ». Cette notion encore indéfinie suppose qu'il existe un handicap salarial en Belgique par rapport à nos voisins qui date d'avant 1996. Sur quelle base ? Dans quel secteur ? Avec quelle date de référence ? Mystère. La rhétorique derrière la nouvelle loi est claire : peu importe le gel salarial et les efforts consentis, il y aura toujours un handicap à combler par les travailleurs. De plus, ce que les patrons gagnent en réduction de cotisations sociales, et donc ce que les travailleurs perdent en financement de la sécurité sociale, ils ne peuvent plus espérer le récupérer en salaire immédiat.

Il y a un autre élément tout aussi interpellant dans le projet : contre le maintien des indexations et des progressions barémiques, la nouvelle marge résorbera d'office tous les deux ans l'écart salarial éventuel subsistant depuis 1996 avec nos voisins. Des mécanismes de correction existaient dans la mouture originelle de la loi mais ici, on appliquera avec rigueur tous les deux ans une correction automatique. En bref, si les pays voisins optent pour une désinflation salariale sérieuse (soit par des réductions de charge, soit par un gel des salaires) et si la Belgique ne l'imite pas dans la foulée, il n'y aura aucun autre choix possible que de suivre cette néfaste désinflation salariale.


Il faudra oser contester l'austérité salariale aveugle qui sous-tend l'idéologie néolibérale.



Enfin, la nouvelle loi détruit sans contestation la négociation collective issue du pacte social. La norme salariale n'est plus le fruit d'une négociation mais sera calculée par les techniciens du Conseil central de l'Économie et s'imposera. Le niveau interprofessionnel n'a plus de latitude de négociation et fait face à la fixation d'une marge impérative issue de politiques prises par notre gouvernement et ceux des pays voisins. Ensuite, les secteurs et entreprises négocieront en héritant de la marge sans autre forme de liberté. Les interlocuteurs sociaux patronaux ne s'en rendent probablement pas encore compte, mais les fédérations patronales sectorielles viennent de perdre toutes les marges de négociation qui leur permettaient de faire fonctionner leurs secteurs avec souplesse et de prendre les décisions adaptées aux défis futurs.

La nouvelle loi rend donc le niveau interprofessionnel impuissant et les autres niveaux de la négociation inféodés à cette impuissance. Les conséquences pour les salariés tant en termes de salaires réels que d'alimentation de la sécurité sociale sont évidemment négatifs. Mais c'est également la dynamique d'action collective connexe à la possibilité d'augmentations salariales qui risque d'être bridée. Si une loi rend impossible une juste répartition des gains de productivité et qu'elle sert d'alibi au patronat, comment les travailleurs vont-ils se convaincre de lutter pour de meilleurs salaires ? Le durcissement de la loi cherche à brider la liberté d'action collectivement, en rendant utopique le combat pour de meilleurs salaires. Désormais, pour obtenir des augmentations de salaire, il faudra peut-être passer outre son patron et outre une loi qui sera votée au Parlement. Les obstacles deviennent nombreux et le cœur de métier du syndicat, à savoir négocier de meilleurs salaires pour tous, est pleinement touché. Pour affecter durablement l'influence syndicale sans attaque frontale, on ne s'y prendrait pas autrement.

Une autre loi est possible

Des alternatives dans l'encadrement de la négociation salariale sont pourtant possibles et nécessaires. Pour les raisons expliquées, l'existence de la loi de 1996 est à juste titre souvent contestée au vu de ses fondamentaux économiques et politiques.

La réforme la plus progressiste consisterait simplement à faire confiance aux acteurs les plus informés de la réalité économique de ce pays : syndicats et patronat. La liberté de négociation collective et le partage négocié des gains de productivité ont été la règle pendant des décennies jusque dans les années 1980. Cette liberté était exercée avec responsabilité par les acteurs et prenait en compte autant le développement économique que la justice sociale. En bridant cette liberté progressivement jusqu'à aujourd'hui la rendre inopérante, on constate que le partage de la valeur ajoutée se fait au désavantage des travailleurs.

Cependant, au cas où un pouvoir politique ne souhaite pas rendre une pleine liberté de négociation aux interlocuteurs sociaux, il peut tout de même envisager de prendre en compte les critiques récurrentes adressées à la loi : éviter que le coût salarial ne soit le seul indicateur, décourager les réductions de coût salarial non conditionnées à de l'emploi, prendre en compte toutes les aides dont bénéficient les entreprises pour calculer les différences de coût, prendre en compte la productivité, éliminer de la discussion sur la compétitivité les secteurs non soumis à une concurrence internationale, garantir que la part des salaires dans la valeur ajoutée ne décroisse pas... En bref, garantir une solidarité socioéconomique interprofessionnelle, une liberté d'action sectorielle et une prise en compte de la concurrence que se livrent les secteurs exportateurs est possible. Mais pour cela, il faudra oser contester l'austérité salariale aveugle qui sous-tend l'idéologie néolibérale au lieu de la subir. #

Nabil SHEIKH HASSAN: Conseiller économique à la CNE

Crédit photo: Jaime Bisbal



1. O. DERRUINE, Il faut refonder notre modèle salarial, in La Revue nouvelle. numéro 4, 2015.

2. Coûts salariaux, subventions salariales, productivité du travail et efforts de formation des entreprises , Bureau fédéral du plan. 2013 Juillet. Disponible sur: http://statbel.fgov.be/nl/binaries/OK_A4_Kaft_rapport_GECE_tcm325-228564.pdf

3. R. SAVAGE, Compétitivité de l'économie belge - Quelques repères récents et mises en perspectives historiques, 2015. Disponible sur: http://www.econospheres.be/IMG/pdf/r_savage_competitivite_belge_02215.pdf