Photo formation copyright NAVFACEn Belgique francophone, la formation en alternance souffre globalement d’une image négative. Elle est considérée aujourd’hui encore comme une filière de relégation qui fait peu souvent l’objet d’un choix positif par les jeunes. Dans d’autres territoires, parfois très proches, il en est tout autrement. Les acteurs de la formation, en articulation avec les autorités politiques, ont donc entrepris de réhabiliter l’alternance en Fédération Wallonie-Bruxelles avec l’ambition d’en faire une filière d’excellence. Et l’enjeu est de taille. Décryptage.



Une formation en alternance peut être définie comme un dispositif dans lequel des apprenants acquièrent des compétences professionnelles en alternance, d’une part, dans un milieu scolaire ou dans un centre dédié à la formation et, d’autre part, sur un lieu de travail. Pour la Belgique francophone, deux types d’opérateurs organisent des filières de formation en alternance. Le premier secteur est l’enseignement, à travers les centres d’éducation et de formation en alternance (CEFA). Et le second est le secteur de l’apprentissage 1 au sein de l’IFAPME 2 en Wallonie et le SFPME 3 à Bruxelles 4.

Une étape importante dans l’histoire de l’alternance en Belgique francophone se situe au début des années 80. C’est en effet en 1983 que l’obligation scolaire est portée à dix-huit ans. Dans un contexte de montée du chômage, certains considèrent que cette modification est un artifice pour freiner le nombre de demandeurs d’emploi. La mesure ne suscite pas l’unanimité. Afin de rencontrer les attentes des jeunes qui ne sont pas attirés par une formation organisée uniquement en classe, un dispositif de scolarité à temps partiel, couplé à un parcours en alternance est développé et accessible pour la tranche des 15 à 18 ans. Selon ce principe, le jeune passe une partie significative des périodes d’apprentissage sur un lieu de travail et donc en dehors de l’école ou d’un centre de formation.

Le décor actuel

Les CEFA accueillent aujourd’hui plus de 9.000 jeunes, âgés (principalement) de 15 à 21 ans. La filière IFAPME-SFPME forme, quant à elle, près de 6.000 apprenants 5. Concrètement, un jeune en alternance passe entre une et deux journées dans un CEFA ou un centre de formation et le reste de la semaine dans une entreprise. La réussite d’une année implique donc la réalisation avec fruit d’un stage avec un nombre minimum d’heures de prestation dans une entreprise.

Au terme d’un parcours en CEFA, un jeune peut décrocher un certificat de qualification (CQ). Dans certains cas de figure, il a la possibilité de passer en septième année professionnelle, ce qui lui permet de décrocher un certificat de l’enseignement secondaire supérieur (CESS). À l’heure actuelle, le parcours proposé dans le réseau IFAPME/SFPME permet de décrocher un certificat d’apprentissage. Sans qu’il y ait automaticité, des modalités prévoient une équivalence possible de ce titre avec le certificat de qualification évoqué plus haut. Pour obtenir le CESS, le jeune devra passer par la promotion sociale. Ces modalités différentes de certification sont une des difficultés dans le paysage de l’alternance.

L’image de l’alternance est souvent négative. C’est assez paradoxal, car les résultats de l’alternance sont au rendez-vous. L’immense majorité 6 des jeunes qui terminent cette filière décrochent en effet un emploi dans les six mois qui suivent ou créent leur propre entreprise. Si l’image de l’alternance est particulièrement dévalorisée en Fédération Wallonie-Bruxelles, ce n’est pas le cas dans des régions proches et dans certains grands pays. Pensons à la Communauté germanophone de Belgique, mais aussi à l’Allemagne, la France, la Suisse ou bien encore l’Autriche et la Suède. Alors que chez nous, l’alternance est le plus souvent une filière de relégation, c’est tout le contraire dans ces différents territoires où elle est valorisée et considérée comme la voie privilégiée pour l’apprentissage des métiers techniques.

Quantitativement, l’alternance attire très peu les jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles. En Communauté germanophone, ils sont 12 % à opter pour cette filière. C’est plus du double de ce qui est observé en Wallonie (5,7 %). L’Allemagne se situe à 15 % et, en Suisse, c’est pratiquement deux jeunes sur trois qui sont dans un parcours d’alternance. Si l’on regarde le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans, il se situe à 28,8 % en Wallonie et est encore un peu plus élevé à Bruxelles. Pour le même groupe, les chiffres sont d’un peu plus de 10 % en Communauté germanophone et de 7,5 % en Allemagne.

Différentes nouveautés

Suite à un accord de coopération conclu entre la Communauté française, la Région wallonne et la Commission communautaire française en 2008 7, une structure unique de pilotage de l’alternance, l’OFFA (Office francophone de la formation en alternance), a été créée en 2015. D’autres volets ont été mis sur pied afin de dépasser les concurrences stériles entre les opérateurs. C’est ainsi qu’a vu le jour un statut unique du jeune en alternance 8. Le dispositif prévoit aussi dorénavant la mise en place d’un plan de formation découpé, non plus nécessairement en trois années, mais en trois ensembles d’acquis d’apprentissage 9 correspondant à trois niveaux de compétences (A, B et C) 10. Depuis le 1er septembre 2015, une autre avancée substantielle est la mise en œuvre du contrat d’alternance, commun aux CEFA et à l’IFAPME/SFPME. Nombreux sont les acteurs, dont les partenaires sociaux, qui considèrent que ce contrat commun est un élément essentiel de nature à contribuer à la mise sur pied d’une égalité des opérateurs, apprenants et entreprises. Il s’agit d’un outil qui devrait également contribuer à réduire la concurrence entre les opérateurs, respectivement de l’enseignement et de la formation.
 L’alternance n’est toutefois ni la panacée ni la solution à tous les problèmes d’insertion socioprofessionnelle rencontrés par les jeunes. 


Parallèlement, et c’est une subtilité importante dans le champ de l’alternance, les interlocuteurs sociaux sont très soucieux que cette référence centrale au contrat commun d’alternance ne porte pas préjudice au recours à des contrats d’apprentissage émanant d’initiatives sectorielles 11. Ces formes de contrats sont certes minoritaires 12, mais sont fortement appréciées par les interlocuteurs sociaux. Outre qu’elles offrent une rémunération supérieure pour l’apprenti, elles se caractérisent aussi par une forte implication des partenaires sociaux à l’échelon de ces secteurs. Or il s’avère que cette implication permet d’améliorer la qualité de l’encadrement et l’adéquation de la formation aux besoins de l’entreprise. Au final, les taux d’insertion à l’issue de la formation sont très élevés.

Un rêve pour l’alternance 13

Un important chemin a donc déjà été parcouru. Il conviendra de vérifier que les avancées tracées ces dernières années portent effectivement leurs fruits. Mais il convient d’aller encore plus loin. La question fondamentale reste la suivante : « Comment, in fine, faire de l’alternance une véritable filière d’excellence ? ». Les acteurs de terrain considèrent que le bilan de compétences, réalisé à l’entrée du parcours du jeune, est de nature à contribuer à cet objectif. La préparation du jeune à ses premiers pas sur le terrain professionnel est en effet primordiale. Dans le même temps, il ne peut s’agir non plus, même si on n’en est pas là aujourd’hui, de faire de l’alternance une voie d’excellence au détriment des autres filières de l’enseignement. Pour l’exprimer clairement, c’est la relégation à tous les niveaux qu’il s’agit de combattre. Et, aujourd’hui, force est de constater que lorsqu’un jeune démarre son parcours dans le secondaire, l’enseignement général lui est le plus souvent présenté comme la voie unique. Le qualifiant, et l’alternance en particulier, ne sont évoqués que tardivement, non pas de manière positive, mais le plus souvent parce qu’il éprouve des difficultés pour suivre son cursus dans l’enseignement général.

Cela étant, faire de l’alternance une filière d’excellence exige de nombreuses transformations culturelles. Il s’agit pour la majorité des employeurs de s’impliquer dans le processus, notamment en ouvrant des places de stage en suffisance. Nous devons régulièrement constater qu’il n’y a pas de véritable culture de la formation dans notre pays et ses régions. Trop souvent, l’employeur considère que la formation doit lui coûter le moins possible, alors qu’elle lui est majoritairement profitable. Les travailleurs ont aussi des responsabilités. Régulièrement remontent des apprenants des échos selon lesquels leurs futurs homologues les considèrent comme de vrais subalternes à qui les tâches les moins valorisantes sont confiées. C’est tout l’enjeu d’un encadrement de qualité des jeunes dans l’entreprise, par des tuteurs expérimentés et formés à cette responsabilité, ainsi que l’élaboration d’un plan de formation qui ne soit pas de l’occupationnel 14.

L’alternance deviendra aussi une vraie filière d’excellence pour les jeunes si elle est pleinement valorisée. Cela signifie concrètement qu’un jeune doit savoir, dès son entrée, qu’il pourra bénéficier d’un parcours complet. Ce qui implique de pouvoir décrocher un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur et, au-delà, de pouvoir poursuivre, s’il le souhaite, dans l’enseignement supérieur, par exemple dans une filière de nature qualifiante.

La valorisation du jeune en alternance passe aussi par une rétribution décente et le bénéfice de droits sociaux, tels que des indemnités en cas de maladie. Car un jeune, particulièrement dans la deuxième partie de son parcours en alternance, participe pleinement à la production. C’est l’idée sous-jacente à l’évolution de la rétribution, pour laquelle les organisations syndicales sont demandeuses d’améliorations à partir de la rentrée de septembre 2017 15.
Par ailleurs, un des principaux écueils serait de considérer que l’alternance est la panacée et la solution à tous les problèmes d’insertion socioprofessionnelle rencontrés par les jeunes. Il n’en est évidemment rien. Il faudra donc avancer concomitamment sur d’autres dossiers (une réforme en profondeur de l’enseignement, ou bien encore l’indispensable réduction du temps de travail, de manière à créer davantage de postes de travail).

Tendre vers une seule filière ?

Aujourd’hui, et malgré les avancées décrites plus haut, les rivalités restent fortes entre le monde de l’enseignement (avec les CEFA) et le monde de la formation (avec les centres IFAPME/SFPME). La concurrence et la méfiance restent palpables. Si, politiquement, il n’en est nullement question aujourd’hui, ne serait-il pas pertinent de rêver à ce qu’à terme, il n’existe plus qu’une seule filière d’alternance ? C’est une avancée qui nécessiterait une forte audace politique. On ne pourra réaliser cette évolution de manière brutale, mais ne pas y réfléchir serait, selon nous, une profonde erreur. En construisant l’OFFA et le contrat commun, l’acteur politique n’a, en quelque sorte, pas voulu trancher et a choisi de mettre les deux opérateurs sur la même ligne. Avec pour résultat une concurrence exacerbée.
 Ne serait-il pas pertinent de rêver à ce qu’à terme, il n’existe plus qu’une seule filière d’alternance ? 



Et pourtant, chaque type d’opérateur a des forces qui sont susceptibles d’inspirer l’autre. Le réseau de la formation en alternance a parfois tendance à regarder les CEFA avec dédain, en reprochant à l’enseignement d’être responsable de faire de l’alternance une filière de relégation. Mais, par ailleurs, les CEFA réalisent un travail d’accompagnement des jeunes remarquable, en allant chercher les jeunes là où ils sont, avec leurs difficultés et les blessures infligées par la dureté de la société et... du système scolaire. Dans les centres IFAPME/SFPME, les outils de production font envie aux CEFA. Inversement, le profil des formateurs à l’IFAPME/SFPME, pour la plupart eux-mêmes femmes et hommes de métier, est moins de nature à offrir un accompagnement pédagogique et social de qualité. Grâce à des moyens venant notamment de projets du Fonds social européen, l’IFAPME/SFPME cherche à corriger ces lacunes en s’inspirant des pratiques observées dans les CEFA.

Le rapprochement entre les opérateurs pourrait s’appuyer sur la mise en commun d’outils, ce qui n’existe pas aujourd’hui et ce qui est assez étonnant dans un contexte où l’efficience des moyens publics doit être une priorité.

Une autre piste serait de modifier les pratiques de certification. Légitimement, le secteur de l’enseignement défend le principe qu’il s’agit d’être prudent et qu’il ne faudrait pas ouvrir grandes les portes qui permettent à d’autres acteurs d’avoir la possibilité de délivrer des certifications officielles. Car si des acteurs publics, tel l’IFAPME, utilisaient cette voie, qui dit que, demain, des opérateurs privés n’essaieront pas d’en profiter pour bénéficier de facultés analogues ? Aujourd’hui, la certification est possible au terme d’un parcours à l’IFAPME/ SFPME, mais elle passe par des procédures d’équivalence qui découragent certains jeunes. À ce titre, l’expérience de l’enseignement supérieur pourrait être inspirante avec des pratiques de co-diplomation 16 qui se sont multipliées ces dernières années. Ne pourrait-on pas stimuler de telles formules entre secteurs de l’enseignement et de la formation, avec des modules partagés entre deux structures et des conventions de coopération ? Ce serait certainement tout profit pour les jeunes et un pas substantiel en avant pour faire progresser l’alternance, en gommant les concurrences stériles entre opérateurs. Et tendre vers l’ambition de faire de l’alternance, non pas une filière élitiste, mais une filière d’excellence.


Thierry Dock : Économiste

Credit Photo : NAVFAC


1. Parfois communément désigné sous le vocable de « formation des classes moyennes ».
2. Institut wallon de formation en alternance des indépendants et petites et moyennes entreprises (PME).
3. Service Formation PME.
4. L’alternance tend aussi à être proposée dans d’autres filières telles que l’enseignement supérieur. Toutefois, nous ne développerons pas cette dimension dans le cadre du présent article. En effet, si, en termes de méthodes, des parallélismes existent, les enjeux sont de nature différente lorsqu’il est question de jeunes qui sont encore en obligation scolaire.
5. Outre la formation en alternance, ces derniers opérateurs proposent aussi des modules de formation de chef d’entreprise et de formation continue.
6. Le chiffre de 86 % a été cité en Commission emploi du Parlement wallon lors de sa séance du 15 juillet 2015.
7. Accord de coopération du 24 octobre 2008 relatif à la formation en alternance.
8. Celui-ci fixe les modalités et les conditions d’accès aux droits sociaux tels que le bénéfice d’indemnités en cas d’accident de travail. Un volet concerne également l’organisation d’un bilan d’orientation pour les jeunes qui souhaitent s’inscrire pour la première fois auprès d’un opérateur de formation en alternance.
9. En fonction de ses acquis, il est possible pour un jeune de passer à un niveau supérieur, et par exemple du niveau A au niveau B, plus rapidement qu’au terme d’une année scolaire.
10. À chacun de ces niveaux sont associés trois étages de rétribution. Plus précisément, l’apprenant perçoit une rétribution mensuelle progressive fixée lors de la signature du contrat d’alternance. Au 1er juin 2016, ces montants étaient respectivement de 260,43 euros pour un apprenant au niveau A, 367,66 euros pour un apprenant au niveau B et 490,28 euros pour un apprenant au niveau C. Il convient de préciser que ces montants sont des minima et qu’il est donc possible pour des employeurs d’accorder aux apprenants des montants plus élevés. Par ailleurs, il s’agit aussi de bien distinguer les stages non rémunérés de l’enseignement qualifiant et les places d’alternance régies par un véritable contrat.
11. Il s’agit du contrat d’apprentissage industriel (CAI), du régime d’apprentissage construction (RAC) et du régime d’apprentissage jeune (RAJ).
12. Des données disponibles, il ressort que 674 CAI/RAC/RAJ étaient en cours dans les CEFA en 2013, ce qui représentait 8,8 % de la population totale des jeunes inscrits en CEFA (7.600 jeunes). Source : CESW, avis A.1269 du 15 février 2016 sur l’avant-projet de décret portant sur la mise en œuvre de la 6e réforme de l’État en matière d’emploi et de formation en alternance.
13. Un immense merci à Lucienne Daubie (représentante de la CSC au comité de gestion de l’IFAPME et au conseil d’administration de l’OFFA), et André Brull, permanent de la CSC enseignement pour les débats passionnés et leur contribution à cet article. Et, au-delà, pour leur investissement quotidien en faveur des jeunes et de l’alternance.
14. Un gage de qualité, c’est aussi un plus grand investissement de la part des secteurs. Dans cette optique, le gouvernement wallon a décidé, et celui de la Cocof devrait faire de même, de contribuer au financement de plusieurs coachs sectoriels, dont une des missions serait de promouvoir l’alternance auprès des entreprises. Beaucoup d’employeurs ne sont pas intéressés par le profil de jeunes de moins de 18 ans dont la maturité doit encore se construire. Pour avoir une alternance de qualité, il s’agit donc de vérifier que divers prérequis sont rencontrés, même s’il ne s’agit pas non plus de tomber dans certains excès et finalement de faire de l’alternance
une filière élitiste.
15. Les revendications syndicales concernant l’ampleur et les modalités de ces améliorations (une augmentation de la rétribution plus marquée lors de la dernière période correspondant au niveau de compétence C, par exemple) ne sont pas encore précisées à ce stade.
16. Entre une haute école et une université, par exemple.

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