Qui finance la rénovation d’une église ? Comment est rémunéré un imam ? Quels sont les moyens dont dispose le culte israélite en Belgique ? Et quid des revenus de la laïcité organisée ? Chez nous, contrairement à d’autres pays comme la France, les cultes reconnus et le mouvement laïque organisé bénéficient du soutien financier des pouvoirs publics. État des lieux.
En Belgique, le financement public des cultes est réparti entre les différents niveaux de pouvoir qui composent notre complexe système institutionnel. À cela s’ajoutent des sources privées de financement, dont l’origine n’est pas toujours facile à identifier.
Pour bien comprendre le système belge de financement des cultes, il faut se plonger dans l’histoire de notre pays1. Plus précisément au moment de l’adoption de la première Constitution belge, en 1831. Celle-ci est le fruit d’un compromis entre catholiques et libéraux. Le régime des cultes en est l’un des reflets: il prévoit simultanément l’indépendance mutuelle de l’Église et de l’État, voulue par les libéraux, et le financement public des cultes, cher au pilier catholique. Fait remarquable pour l’époque: le constituant souhaite ne pas limiter le financement public à l’Église catholique, pourtant très largement majoritaire. Au nom du principe d’égalité inscrit dans sa Constitution, la Belgique étend ainsi d’emblée le financement public des cultes aux cultes protestant, israélite et anglican.
Par la suite, la seule évolution notable du régime des cultes au XIXe siècle sera l’adoption de la loi du 4 mars 1870 sur le temporel2 des cultes. On y établit notamment les procédures d’élaboration et de contrôle des budgets et des comptes pour les fabriques d’église3. Cette législation restera, globalement, la pierre angulaire du système jusqu’au début du XXIe siècle! Cette pérennité découle notamment de la capacité du régime à s’ouvrir à d’autres convictions. En effet, la décision d’admettre un nouveau culte dans le cadre du financement public appartient au Parlement, via une modification de la loi de 1870. C’est la procédure suivie en 1974, lorsque la Belgique devient le premier pays européen à reconnaître l’islam. La raison? Le nombre important de fidèles établis dans le pays suite aux vagues d’immigration ainsi que la volonté de favoriser leur intégration. Dix ans plus tard, c’est au tour du culte orthodoxe d’être inscrit au rang des bénéficiaires du financement public.
La laïcité organisée
Mais l’évolution la plus marquante du régime de financement public des cultes réside probablement dans l’inclusion progressive de la laïcité organisée parmi ses bénéficiaires. En 1993, la Constitution est modifiée et prescrit l’obligation pour l’État de prendre en charge «les traitements et pensions des délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle»4. En 2002, une loi organise le financement des structures d’assistance morale mises en place par le Conseil central laïque5. L’inclusion de ce qu’on appelle familièrement «la laïcité organisée» dans ce système (que l’on ne peut dès lors plus appeler «système de financement des cultes») est une situation unique en Europe. Elle a pour effet d’augmenter les budgets consacrés à ce financement, d’en modifier la répartition entre bénéficiaires et de consolider le système: un argument majeur de ses détracteurs (la discrimination envers les non-croyants) est ici neutralisé.
Toujours en 2002, une partie importante de la législation concernant le temporel des cultes passe sous la compétence des entités fédérées, via la régionalisation des lois communales et provinciales. Les Régions deviennent ainsi compétentes pour la reconnaissance des communautés locales des cultes reconnus (les paroisses et leurs équivalents dans les autres cultes), l’organisation de la tutelle sur les fabriques d’église et établissements assimilés et leur financement6. Par contre, la reconnaissance et le financement des communautés locales de la laïcité organisée visées par la loi du 21 juin 2002 restent de compétence fédérale. De même, c’est toujours l’Autorité fédérale qui est chargée de la reconnaissance des cultes et du paiement des traitements et pensions des ministres de ces cultes7.
Traitements et financement des communautés locales
Le financement public des cultes comprend donc essentiellement deux branches: le traitement (salaires...) et les pensions des ministres des cultes (ainsi que, depuis 2002, des délégués des communautés philosophiques non confessionnelles) et le financement des communautés locales: la prise en charge du déficit des établissements cultuels (dont les fabriques d’église), les travaux à y apporter et le logement d’un desservant par établissement (curé, pasteur, rabbin...).
Les traitements des ministres du culte sont inscrits au budget du SPF Justice8. L’Autorité fédérale finance notamment 2.925 équivalents temps plein pour le culte catholique contre 329,5 pour la laïcité organisée et 70 pour le culte islamique. Alors que la part de l’Église catholique était presque hégémonique dans ce budget, un léger rattrapage s’est opéré depuis le début des années 2000 en faveur des cultes minoritaires et de la laïcité organisée. La réduction de la part catholique provient de la diminution du nombre de ministres du culte, suite aux départs à la pension plus importants que les entrées en service9. A contrario, l’octroi de postes supplémentaires pour les cultes minoritaires a entraîné une augmentation de moyens, notamment pour le culte islamique. Par ailleurs, on peut remarquer, dans le tableau ci-dessous, une différence de revenus entre les différents ministres des cultes, selon celui auquel ils appartiennent. Cette inégalité est régulièrement mise en avant par les partisans d’une réforme du système actuel de financement public. En 2014, le budget relatif aux traitements des ministres des cultes (et aux subsides de fonctionnement) atteignait 106 millions d’euros. Pour 2015, un montant de 100 millions est prévu, soit une baisse de 5% correspondant à l’effort budgétaire globalement exigé de tous les départements fédéraux10. À cela s’ajoute le montant des pensions octroyées aux ministres des cultes. Un chiffre qui n’est pas connu précisément puisque l’Office national des pensions n’en maintient pas la statistique. Il se situe néanmoins aux alentours de 35 millions d’euros.
La deuxième principale source de financement est celle qui provient des communes, des provinces et des Régions et qui couvre le déficit des établissements cultuels et laïques, les travaux aux édifices des cultes et des maisons de la laïcité, ainsi que le logement des ministres des cultes. Cela représente un montant relativement stable d’environ 120 millions d’euros par an. Là aussi la répartition est très fortement à l’avantage de la religion catholique (environ 85%). En effet, le culte catholique bénéficie des interventions dans le déficit des établissements cultuels (fabriques d’église) compte tenu des frais d’entretien des très nombreux lieux de culte;idem pour le financement des travaux. Si du côté laïque, les interventions provinciales et de la Région de Bruxelles-Capitale11 ont connu une forte augmentation suite à la loi de 2002, les moyens octroyés aux autres cultes restent par contre assez limités12.
Une répartition inégale
Sur le plan du financement public, on constate donc, de manière globale, que plus de 80% des fonds alloués sont destinés au culte catholique. Ce qui, aujourd’hui, ne correspond probablement plus à la réalité en termes de pratique religieuse. Si celle-ci s’avère difficile à calculer, d’autres communautés ont en effet des taux de pratique supérieurs à ce qui est observé pour l’Église catholique. À ce sujet, le dernier rapport de l’Observatoire des religions et de la laïcité pointe le déséquilibre qui touche l’islam en Belgique: «L’islam, en particulier, devrait recevoir un pourcentage supérieur afin d’arriver à un taux de couverture par le financement public similaire à celui des autres organisations convictionnelles. Les contraintes budgétaires et les difficultés rencontrées par l’organisation puis le fonctionnement de l’organe représentatif du culte islamique expliquent largement ce retard qui pourrait se résorber graduellement dans les années à venir»13
Exemples de salaires des ministres des cultes |
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Organisation convictionnelle |
Fonction |
Rémunération annuelle brute |
Culte catholique |
Archevêque |
109.969 |
Évêque |
88.667 |
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Curé |
21.567 |
|
Culte israélite |
Grand rabbin |
50.236 |
Rabbin |
23.156 |
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Culte islamique |
Secrétaire général de l’exécutif |
69.527 |
Imam 1er rang |
29.999 |
|
Imam 3e rang |
21.567 |
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Laïcité organisée |
Secrétaire général du CCL |
62.301-85.734 * |
Conseiller moral chef de service |
44.467-67.900 |
|
Conseiller moral assistant |
21.567-35.043 |
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* Contrairement aux ministres des cultes qui reçoivent un traitement fixe qui n’évolue pas en cours de carrière, les délégués laïques reçoivent quant à eux un traitement barémique. |
Une nécessaire réforme
Le débat sur une réforme du système de financement public des organisations convictionnelles est ouvert depuis de nombreuses années. Parmi les partisans d’une réforme, on retrouve le Centre d’action laïque. Il estime que «tant la reconnaissance que le financement sont décidés de façon empirique, arbitraire et ne reposant sur aucun critère établi. Ce qui peut générer une frustration profonde de certaines communautés risquant de favoriser ainsi le repli et la non-intégration de ces dernières»14. L’une des pistes est celle de la suppression pure et simple de ce financement public, comme c’est le cas en France. Pour Jean-François Husson, c’est peu probable, car «le culte catholique et la laïcité organisée sont à la fois les principaux bénéficiaires du système et les courants les plus influents»15. Il pointe aussi l’éventuelle perte de contrôle que l’État aurait sur certains cultes, en particulier le culte islamique, à l’heure où la radicalisation est un enjeu grandissant.
« Dans certains cas, des États étrangers apportent leur soutien financier aux communautés islamiques locales. »
L’une des pistes de réforme dont fait part l’Observatoire des religions et de la laïcité consiste à remplacer le système actuel de paiement des traitements par l’octroi d’une enveloppe globale à chaque conviction, dont le montant serait déterminé soit par un mécanisme d’impôt dédié, soit par une consultation populaire, soit encore par une étude scientifique de la répartition des convictions. Une autre idée serait de conserver le système actuel en remédiant à ses principales faiblesses, à savoir l’absence de critères de reconnaissance formalisés dans la loi, les inégalités entre les salaires et barèmes des ministres et l’absence d’objectivation du nombre de postes financés16 Un vaste chantier qu’avait entamé une «Commission des sages», chargée, en 2005-2006, par le gouvernement fédéral de l’examen du statut des ministres des cultes reconnus. Elle recommandait notamment une certaine harmonisation des statuts, traitements et pensions des ministres des cultes et délégués laïques. Ainsi que le passage à un système d’enveloppes globales pour les cultes reconnus et la laïcité organisée, basé sur une estimation des demandes de la population. Ces pistes n’ont pourtant pas (encore) été prises en compte par le monde politique.
Le financement des mosquées
À côté du financement public, se pose aussi la question du financement privé des cultes. Une thématique particulièrement présente pour le culte musulman. Ainsi, en 2014, seuls 77 mosquées bénéficiaient d’une reconnaissance officielle des pouvoirs publics et 70 imams étaient rémunérés par l’État belge (sur environ 300 au total)17.
Une mosquée non reconnue par les pouvoirs publics ne peut pas compter sur un financement étatique. Un manque à gagner budgétaire évident, mais qui a pour contrepartie de ne pas dépendre de la tutelle et donc d’éviter une série de contrôle de types administratif et budgétaire. À ce niveau, il n’existe dès lors pas de droit de regard de la part des pouvoirs publics belges. Le financement de ces mosquées peut alors dépendre des fidèles. Mais, dans d’autres cas, ce sont des États étrangers qui apportent leur soutien financier aux communautés islamiques locales. C’est le cas notamment de la grande mosquée de Bruxelles qui abrite le Centre islamique et culturel de Bruxelles. Un câble de Wikileaks a récemment replongé cette mosquée dans l’actualité puisqu’il révélait que le directeur saoudien du Centre avait été expulsé à la demande des autorités belges en raison de prêches virulents, salafistes et anti-juifs. Riyad, probablement pour maintenir de bonnes relations diplomatiques avec la Belgique, accepta de le rapatrier et de le remplacer par un directeur moins sujet à la polémique.
Récemment, des musulmans de Belgique ont avancé «Dix propositions radicales pour faire émerger l’islam de Belgique»18, comme l’obligation imposée à toutes les mosquées d’être reconnues par l’État endéans les cinq prochaines années. Ou, autrement dit, de n’avoir que des mosquées reconnues et financées par l’État. Si l’idée peut paraître séduisante dans le cadre de la création d’un «islam de Belgique», elle pose quelques questions. Pour Caroline Sagesser, outre les conséquences budgétaires pour les finances de l’État, cette mesure est «peu compatible avec la liberté de culte, ni avec notre principe de la séparation Église-État, ni avec l’égalité entre les citoyens de différentes convictions. Avec cette autorisation préalable, on vise à créer un statut d’exception pour l’islam, créer un islam d’État»19
Derrière cette question d’un éventuel financement d’un islam de Belgique se cache la très délicate question de la liberté de culte.
De tous les cultes. #
1. Caroline Sägesser, «Cultes et laïcité», in Dossier du CRISP, n°78, 2011, pp.11-20.
2. Dans le langage religieux, le terme «temporel» désigne tout ce qui est de l’ordre du matériel, du terrestre, par opposition au «spirituel».
3. Les fabriques d’église sont des établissements publics chargés de la gestion des biens des paroisses.
4. Article 181§2 de la Constitution belge.
5. Le Conseil central laïque est composé du Centre d’action laïque (CAL) et de l’Unie vrijzinnige verenigingen (UVV).
6. En 2014, un nouveau décret a été voté au Parlement wallon modifiant à la marge les règles de la tutelle applicables aux fabriques d’église.
7. Il existe donc une asymétrie entre les organisations confessionnelles (les cultes) et les organisations non confessionnelles (la laïcité organisée) quant au niveau de pouvoir dont relève le financement de leurs communautés locales. Il y a aussi un partage de compétence en matière de temporel des cultes entre les Régions et l’Autorité fédérale.
8. Le budget SPF Justice comprend aussi un subside de fonctionnement pour le Conseil central laïque
et l’Exécutif des musulmans.
9. Jean-François Husson, «Le financement public des cultes et de la laïcité», in Revue Politique, décembre 2007.
10. Caroline Sägesser, Jean-Philippe Schreiber et Cécile Vanderpelen-Diagre, « Les Religions et la Laïcité en Belgique. Rapport 2014 », Observatoire des religions et de la laïcité, ULB, 2015.
11. Dans la Région de Bruxelles-Capitale, les compétences provinciales sont exercées par l’Autorité régionale.
12. Aux traitements (salaires, etc.) et au financement des communautés locales s’ajoute une série d’autres interventions budgétaires publiques tels que les aumôniers et conseillers moraux à la Défense, dans les prisons..., ainsi que le financement des émissions philosophiques en radio et télévision, l’exonération de précompte immobilier dont bénéficient les lieux de culte et bâtiments laïques, etc.
13. Caroline Sägesser, Jean-Philippe Schreiber et Cécile Vanderpelen-Diagre, ibid., p.61.
14. Voir: http://www.laicite.be/priorites/3-2-financement-des-cultes-et-de-la-laicite
15. Jean-François Husson, ibidem.
16. Caroline Sägesser, Jean-Philippe Schreiber et Cécile Vanderpelen-Diagre, ibid., p.62.
17. En fait, bon nombre de lieux de prières n’éprouvent pas le besoin de solliciter une reconnaissance, ni par les pouvoirs publics ni par l’Exécutif des musulmans de Belgique. Celui-ci reconnaît toutefois 295 mosquées en Belgique. La répartition régionale des mosquées reconnues par l’Exécutif des musulmans est la suivante: 152 en Flandre, 75 en Wallonie
et 68 à Bruxelles.
18. Voir: http://www.lalibre.be/debats/opinions/10-propositions-radicales-pour-faire-emerger-l-islam-de-belgique-5545f14d35704bb01c1a75c3
19. Voir : http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_financement-des-mosquees-attention-a-la-liberte-de-culte?id=8972122