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En septembre 2000, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait la Déclaration du millénaire, définissant, à l’aide de vingt et une cibles et d’une soixantaine d’indicateurs, huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) à atteindre en 2015. Porteurs d’espoirs, ces OMD sont-ils parvenus, durant les quinze dernières années, à atteindre leurs cibles ? À défaut, comment expliquer les échecs rencontrés et comment y répondre ? Décryptage.



À l’époque de l’adoption de la Déclaration du millénaire, la plupart des analystes estimaient que le caractère réaliste des OMD garantissait leur faisabilité, surtout qu’étant quantifiés, leur évaluation serait d’autant plus aisée.
De fait, fruit d’un large consensus, ces huit objectifs faisaient preuve de modestie. En effet, l’un d’entre eux visait une réduction de moitié de la pauvreté non pas entre 2000 et 2015, mais entre 1990 et 2015. Or le simple fait que la Chine et l’Inde, deux poids lourds démographiques, aient vu le nombre de personnes extrêmement pauvres diminuer de plus de 200 millions au cours des années 90 implique que le premier objectif qui consiste à réduire de moitié l’extrême pauvreté était déjà en passe d’être atteint avant même l’adoption de la Déclaration du millénaire 1.
En outre, certains engagements définis lors de sommets précédents furent revus à la baisse. Ce fut par exemple le cas pour l’objectif concernant la lutte contre la faim : lors du Sommet mondial sur l’alimentation de 1996, les gouvernements s’étaient engagés à réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim, alors que les Objectifs du millénaire se sont limités à viser une réduction de moitié de leur proportion. Vu l’évolution démographique de 45 % enregistrée dans les pays en développement durant la décennie 1990, cela a engendré une diminution du nombre de personnes visées, à hauteur de 165 millions exactement 2.
Enfin, bien que les OMD aient le mérite de se fonder sur des cibles précises, les données statistiques fiables sont en fait rares dans les pays pauvres. Comme l’admettent les Nations Unies, « (...) la plupart des pays d’Afrique subsaharienne et de nombreux autres pays en développement n’ont pas encore de systèmes complets de registres de l’état civil, qui permettent d’établir les déclarations de naissances et de décès. Environ 230 millions d’enfants de moins de cinq ans dans le monde n’ont jamais été enregistrés, soit près d’un enfant sur trois de moins de cinq ans » 3. En d’autres termes, nombre de personnes vivant dans les zones les plus pauvres sont en réalité « hors statistiques », ce qui implique d’analyser les données avec précaution. D’autant plus que pour pouvoir comparer les données nationales, ces dernières sont traduites en « parités de pouvoir d’achat », calculées tous les cinq ans pour prendre en compte l’évolution des niveaux de prix et de standards de vie dans les différents pays. Or ces calculs peuvent varier fortement d’une période à l’autre, avec toutes les conséquences que cela engendre sur le calcul de la pauvreté, dans un sens comme dans l’autre 4.

Pour quels résultats ?


Mesurer l’état d’avancement des OMD implique de disposer de statistiques entre 1990 et 2015. Or les statistiques pour l’année 2015 ne seront disponibles au mieux qu’à partir de 2016. Toutefois, des estimations ont déjà été réalisées par les Nations Unies. Elles indiquent que, globalement, les OMD ont débouché sur des résultats mitigés. Certes, les pays d’Asie orientale ont enregistré des performances remarquables et certains pays des autres régions en développement ont obtenu de réels succès dans plusieurs domaines, ce y compris dans les pays les plus pauvres. Toutefois, les progrès ont été limités et inégaux, la situation étant particulièrement difficile dans les pays les moins avancés. De manière plus spécifique, l’analyse du détail de l’état d’avancement de chacun des OMD tel que mesuré par les Nations Unies 5 indique des résultats contrastés en fonction du type d’objectif et des pays concernés.

OMD 1 – Réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim

La proportion de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 1,25 dollar par jour, a diminué de moitié entre 1990 et 2010, passant de 36 % à 18 %. Cela signifie que cette première cible était atteinte dès 2010. La Chine à elle seule explique toutefois une part considérable de ce résultat, puisque sur les 700 millions de personnes sorties de l’extrême pauvreté dans le monde entre 1990 et 2010, plus de 500 millions concernent l’Empire du Milieu. L’Afrique subsaharienne n’a de son côté enregistré qu’un faible recul, de 56 % à 48 %, ce qui signifie que près de la moitié de la population de cette région continue de vivre sous la barre de 1,25 dollar par jour. En outre, près d’une personne sur cinq dans les pays en développement continue de vivre dans l’extrême pauvreté, tandis que 56 % des emplois dans les pays en développement sont des emplois précaires, loin des standards du travail décent.
La réduction de la faim a également été significative, puisque la proportion de malnutris est passée de 23,6 % à 14,3 % entre 1990 et 2013, un rythme toutefois insuffisant pour atteindre la cible dès 2015. En outre, deux nuances de taille viennent sérieusement assombrir ce tableau. D’une part, si la faim dans le monde est en baisse, ce n’est que suite à une modification par la FAO 6, en 2012, du mode de calcul pour estimer l’évolution du taux de malnutrition depuis 1990. Du coup, plutôt qu’une hausse continue du nombre de malnutris depuis 1995, passant selon l’ancien mode de calcul de moins de 800 millions de personnes souffrant de malnutrition en 1995 à un milliard en 2011, on est subitement passé à une tendance inverse !

OMD 2 – Assurer l’éducation primaire pour tous

Le taux de scolarisation primaire dans les pays en développement est passé de 80 % à 90 % entre 1990 et 2012. Cela signifie que neuf enfants sur dix en âge d’être scolarisés sont inscrits en première primaire. L’objectif de 100 % ne sera donc pas atteint en 2015, mais les progrès ont néanmoins été significatifs. Toutefois, un enfant sur quatre inscrit en première primaire abandonne l’école avant la fin du cycle de six ans, ce qui risque de le replonger dans l’analphabétisme à l’âge adulte. Les filles de familles pauvres vivant en zone rurale en Afrique subsaharienne sont particulièrement touchées : elles ne sont que 23 % à achever le cycle du primaire. En outre, l’inscription en primaire a primé sur la qualité de l’enseignement. Par exemple, la moitié des enfants scolarisés en Inde ne savent pas lire un texte simple 7.

OMD 3 – Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes

Les inégalités d’accès à la scolarisation primaire ont globalement été fortement réduites, passant d’un rapport de 69 filles pour 100 garçons en 1990 à 99 filles pour 100 garçons en 2012 dans les pays en développement. Toutefois, les résultats sont contrastés selon les régions. L’Asie de l’Est et l’Asie du Sud ont atteint l’égalité des sexes en primaire, mais pas l’Afrique subsaharienne (92 % en 2012), l’Asie de l’Ouest (93 %) et l’Océanie (93 %), malgré des progrès. En outre, les disparités entre les sexes sont plus répandues aux niveaux supérieurs de l’enseignement. Les inégalités de genre persistent par ailleurs sur le marché du travail, puisque la part des femmes ayant accès à un emploi salarié dans les pays en développement n’a augmenté que de 45 % à 48 % entre 1990 et 2012.

OMD 4 – Réduire de deux tiers la mortalité des enfants

Le taux de mortalité infantile a presque été divisé par deux entre 1990 et 2012 dans les pays en développement, passant de 99 à 53 décès pour 1.000 naissances, mais cela ne suffira pas à atteindre la cible en 2015. Au plan mondial, quatre décès sur cinq d’enfants de moins de cinq ans se produisent en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. La plupart meurent de maladies infectieuses, comme la pneumonie, la diarrhée ou le paludisme. En Afrique subsaharienne, où on annonce un boom démographique au cours des deux prochaines décennies, un enfant sur dix meurt avant son cinquième anniversaire.

OMD 5 – Réduire de trois quarts la mortalité maternelle

Au plan mondial, le taux de mortalité maternelle a diminué de 45 % entre 1990 et 2013, passant de 380 à 210 décès pour 100.000 naissances. Malgré des progrès, la cible est donc toujours hors d’atteinte. Avec 230 décès pour 100.000 naissances, le taux de mortalité maternelle dans les pays en développement reste quatorze fois supérieur à celui des pays développés. Or la plupart des décès sont évitables 8.

OMD 6 – Enrayer les grandes pandémies

Au plan mondial, le traitement antirétroviral a sauvé 6,6 millions de vies depuis 1995 et le nombre de nouvelles infections au VIH a diminué de 44 % entre 2001 et 2012, mais on estimait encore à 2,3 millions le nombre de personnes nouvellement infectées – dont 70 % en Afrique subsaharienne – et à 1,6 million le nombre de décès liés au SIDA. Par ailleurs, le taux de mortalité dû au paludisme a baissé de 42 % au niveau mondial entre 2000 et 2012 9.

OMD 7 – Assurer un environnement durable

Les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 50 % entre 1990 et 2011. Pis : la hausse s’est accélérée, puisqu’elle a été de 35 % entre 2000 et 2011, contre 10 % entre 1990 et 2000. Cette accélération est essentiellement due à la forte croissance économique enregistrée dans les pays émergents. Par contre, 2,3 milliards de personnes supplémentaires ont eu accès à une source d’eau potable améliorée depuis 1990 et près de deux milliards de personnes supplémentaires ont obtenu l’accès à des services d’assainissement améliorés, mais 748 millions de personnes restent privées d’accès à l’eau potable et un milliard de personnes continuent de déféquer à l’air libre. En outre, avoir accès à une source d’eau potable ne signifie pas nécessairement que cette eau est salubre. De nombreuses installations améliorées sont contaminées et ces points d’accès sont parfois difficilement accessibles pour de nombreux ménages, en particulier dans les zones rurales d’Afrique subsaharienne. Enfin, un tiers des habitants des zones urbaines dans les régions en développement vivait encore dans les taudis des bidonvilles en 2012 (contre 40 % en 2000) 10. Cela signifie que le nombre de personnes vivant dans des taudis a augmenté (de 650 à 863 millions entre 1990 et 2012).

OMD 8 – Mettre en place un partenariat mondial pour le développement

Le huitième objectif est à la fois le seul qui engage les pays développés et le seul qui n’est pas doté de cibles chiffrées. L’aide au développement a fortement augmenté en valeur absolue, mais beaucoup moins en pourcentage du revenu national brut des pays donateurs. En outre, l’aide destinée aux pays les moins avancés a diminué en termes relatifs depuis 1990, la hausse étant essentiellement concentrée dans les pays émergents, sous la forme de prêts à taux réduits. Quant aux engagements commerciaux relatifs au « Programme du développement de Doha » à l’OMC, ils sont restés lettre morte, puisque ce programme adopté en 2001 n’a jamais vu le jour.

Quel agenda post-2015 ?

Les OMD ont eu le mérite de remettre les enjeux du développement social à l’avant-plan de l’agenda international. Ils se sont néanmoins limités à aborder les symptômes de la pauvreté, sans aborder la question de ses causes économiques et politiques. En ce sens, les OMD ont été un instrument de réduction de la pauvreté, plutôt qu’un instrument de développement. L’approche des OMD a en effet consisté à augmenter l’aide extérieure pour financer les secteurs sociaux des pays pauvres.
Or les pays qui ont enregistré les meilleures performances sont précisément ceux, en Asie orientale et en Amérique latine, qui ont fondé leur modèle de développement sur la création d’emplois productifs, la mobilisation de recettes fiscales et le financement de systèmes de protection sociale. En d’autres termes, plutôt que de continuer à dépendre de l’aide extérieure pour financer les services sociaux, ces pays ont préféré investir dans le développement économique générateur de recettes fiscales, pour être en mesure de financer de manière endogène les services sociaux de leurs populations. A contrario, les pays africains qui voient baisser les montants d’aide destinés à financer l’éducation et la santé voient leurs progrès ralentir du fait des décisions budgétaires de leurs bailleurs de fonds. En outre, le développement économique dans les pays émergents s’est accompagné d’une forte hausse des émissions de gaz à effet de serre, laissant craindre que la bonne nouvelle socioéconomique dans ces pays exacerbe à terme les changements climatiques.
Quelles implications en tirer pour les futurs Objectifs du développement durable (ODD), appelés à remplacer les OMD suite au Sommet de New York de septembre 2015 ? Primo, les nouveaux objectifs ne peuvent se limiter à cibler les symptômes sociaux, mais doivent intégrer les leviers économiques permettant de les atteindre. Cela implique notamment de viser la création d’emplois productifs respectant les critères du travail décent, la mobilisation de recettes fiscales suffisantes et la création de systèmes contributifs de protection sociale. Secundo, les nouveaux objectifs doivent prendre en compte l’impact environnemental du développement économique, ce qui implique de viser la promotion de modes de production et de consommation durables, la conservation de la biodiversité et la transition vers une économie bas carbone. Tertio, les objectifs de développement durable ne doivent plus concerner que les seuls pays en développement, mais l’ensemble des pays du monde. En effet, loin de ne concerner que les pays pauvres, les enjeux du travail décent, de la justice fiscale et de la transition socioécologique sont des enjeux résolument mondiaux. #
(*) Secrétaire général du CNCD-11.11.11

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