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Depuis l’investiture de Barack Obama et son « discours à la nation » du 1er décembre 2009, le 31 décembre 2014 a communément été admis comme la date de la fin de l’engagement de l’OTAN 1 en Afghanistan. En 2015, le pays retrouvera alors sa pleine souveraineté et les forces de sécurité afghanes seront chargées de maintenir l’ordre sur le territoire. Vraiment ? Non. En réalité, une nouvelle mission de l’OTAN naîtra dès le lendemain. Environ 13.000 soldats de l’Alliance y prendront part, dont environ 100 militaires belges. Chroniques d’un échec.


[Note à l'attention des internautes : les graphiques de cet article ne sont disponibles que sur la version papier de la revue. Voir sur cette page en haut à droite : "Pour recevoir Démocratie"]

Neuf jours après les attentats du 11 septembre 2001, Georges W. Bush annonce une intervention militaire américaine 2 (appelée « Enduring freedom » 3) en Afghanistan. Elle a débuté concrètement le 7 octobre 2001 par des bombardements massifs. D’après les termes du président américain, l’objectif était de « faire la guerre à la terreur. (...) De frapper les camps d’entraînement terroristes et les installations militaires du régime des talibans. Ces actions minutieuses ont pour objectif de perturber l’utilisation de l’Afghanistan comme base d’actions terroristes, et d’anéantir les capacités militaires du régime taliban. La destruction des camps et la perturbation des communications rendront plus complexes les tâches du réseau de la terreur d’entraîner de nouvelles recrues et de coordonner leurs plans maléfiques ». Si, initialement, cette mission était déliée de la mission de l’OTAN en Afghanistan (lancée en décembre 2001), les deux, pourtant, se sont peu à peu confondues.
Le régime des talibans est renversé deux mois après le début de l’intervention, le 17 décembre 2001, après des affrontements violents ayant entraîné la mort de quelque 3.800 civils. Ce renversement ne marquera pas la fin de l’intervention militaire, bien au contraire. Depuis la chute rapide du régime des talibans, une guérilla s’est installée sur tout le territoire qui a officiellement justifié l’envoi de plus en plus massif de soldats étrangers sur le terrain.
En 2009, malgré l’intensification des attentats à caractère terroriste en Afghanistan et dans les pays frontaliers, Barack Obama poursuit cette stratégie inefficace et annonce l’envoi d’un important contingent de soldats américains afin de « finir le boulot » tout en tentant de « conquérir le cœur et les esprits des Afghans ». Pour justifier cette recrudescence, Obama prolonge l’argumentaire de son prédécesseur, huit ans après les attentats du 11 septembre, en y ajoutant une laconique « défense des intérêts permanents des États-Unis » : « Cette région se situe au cœur de l’extrémisme violent et mondial poursuivi par Al-Qaïda, et c’est à partir d’elle que nous avons été attaqués le 11 septembre 2001.(...) Nous empêcherons les talibans de retransformer l’Afghanistan en une terre d’asile à partir de laquelle des terroristes étrangers pourront nous frapper ou frapper nos alliés. (...) Nous déploierons des forces en Afghanistan rapidement et tirerons parti de ces ressources supplémentaires pour créer les conditions favorables à une réduction des forces de combat à partir de l’été 2011, tout en maintenant un partenariat avec l’Afghanistan et avec le Pakistan afin de protéger nos intérêts permanents dans cette région ».

La mission de « reconstruction » de l’OTAN

Cette mission intitulée « Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) » découle de la Résolution 1386 des Nations Unies et a été votée à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité le 20 décembre 2001, trois jours après l’annonce officielle de la chute des talibans. D’après les termes de cette Résolution, la mission de l’OTAN devait être circonscrite à la région de Kaboul. Originellement, cette force internationale est créée pour une période de six mois sous le commandement de la Grande-Bretagne. Deux autres Résolutions du Conseil de sécurité prolongeront cette mission d’un an. Le 13 octobre 2003, la Résolution 1510 du Conseil de sécurité autorise l’élargissement du cadre de la Résolution 1386 à l’ensemble du territoire afghan et accepte la demande de l’OTAN de prendre cette mission élargie en charge. Petit à petit et malgré les objectifs antagonistes des deux missions, les opérations de la FIAS et celles d’ « Enduring freedom » se confondront totalement, sous le commandement unique des États-Unis à partir de 2009.
La force internationale a compté jusqu’à 150.000 hommes (dont 100.000 Américains). Il en reste 41.124 d’ici à la fin officielle de l’engagement, dont 28.124 Américains et 160 Belges. La Belgique a ainsi été partie prenante d’une stratégie d’occupation militaire. Le résultat est finalement négatif et il en résulte un gaspillage massif d’argent qui aurait pu être alloué à des postes réellement contributeurs à la sécurité et à la reconstruction. De 2001 à 2013, cette guerre aura coûté 755 milliards de dollars aux États-Unis et 3.476 soldats étrangers, dont 2.350 Américains, y sont morts. L’Alliance laisse derrière elle un pays dévasté et plongé dans l’incertitude avec le risque d’une nouvelle guerre civile. L’armée afghane censée prendre la relève est insuffisamment formée et équipée. Les talibans ont gagné du terrain et se retrouvent renforcés au point que des négociations ont été mises sur pied avec les Américains en 2011, ce que les alliés s’étaient toujours refusés à faire depuis le début de la guerre.

 La participation belge à la FIAS

Elle a évolué avec le temps, variant d’un contingent de 620 soldats belges jusqu’en 2009 à une centaine aujourd’hui. La plupart des soldats étaient affectés à la sécurité de l’aéroport de Kaboul jusqu’en 2012. À cela s’ajoute une participation belge à des missions de reconstruction, de déminage et de formation à Kunduz et Mazar-e-Shariff et, surtout, le déploiement de 6 avions de chasse F-16 dans la région de Kandahar jusqu’au 3 octobre dernier. Ces derniers participant à la guerre contre les talibans, dévolue normalement à l’opération « Enduring freedom ».
Au total, la participation de la Belgique à la guerre en Afghanistan aura coûté 1,4 milliard d’euros, soit 218 euros pour chaque contribuable belge. Deux militaires belges y ont trouvé la mort. Le premier d’une méningite ; le second des suites d’un « accident » qui a eu lieu, selon les sources, tantôt au cours d’un « exercice sportif », tantôt lors d’un échange de tir accidentel avec un soldat allié.

Quels Résultats ?

Malgré la débauche de moyens mis en œuvre, l’échec de la guerre en Afghanistan est avoué par les alliés. Aucun des objectifs des deux missions réunies ne sera atteint.
Elles ne sont tout d’abord pas parvenues à éradiquer le terrorisme en Afghanistan. Le terrorisme n’est pas une idéologie. Il ne caractérise pas non plus un groupe ethnique ou la composante d’une société. Le terrorisme est une technique. Il est donc impossible de lui faire la guerre. La technique terroriste en Afghanistan, elle, continue à noircir hebdomadairement la liste des événements macabres. D’après la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (UNAMA), cette technique est la première cause de pertes civiles (36 %), dont le nombre n’a fait qu’augmenter ces dernières années. Ainsi, 2011 a été l’année la plus violente qu’ait connue l’Afghanistan, 10 ans après le début des deux missions militaires censées stabiliser et pacifier le pays. Dans le même temps, les foyers d’insurrection, eux, se sont multipliés aux quatre coins du monde.
Ensuite, elles ne sont pas parvenues à vaincre les talibans. Depuis 2006 particulièrement, les talibans (et de nombreux chefs de guerre avec lesquels ils ont noué des liens d’allégeance 4) contrôlent la majeure partie sud de l’Afghanistan. Ils ont depuis continué leur avancée et revendiquent des attaques sur près de 72 % du territoire, d’après les Nations Unies.
Enfin, elles n’ont pas sécurisé le pays, si l’on s’en tient au décompte macabre des pertes civiles. Au contraire, force est de constater que la violence n’a fait qu’augmenter depuis le début de l’intervention. On peut d’ailleurs cyniquement observer une augmentation parallèle entre l’insécurité dans le pays et le nombre de soldats étrangers présents. La carte ci-contre souligne exemplairement cet échec de la stratégie militaire. En 2013, l’UNAMA parle de 3.133 civils tués 5. Parmi ces victimes, notons que le nombre de femmes et de filles tuées ou blessées a augmenté de 20 %, selon l’UNAMA. 2013 fut ainsi « la pire année pour les femmes afghanes, les filles et les garçons » 6. Durant la première moitié de 2014, le nombre de victimes a augmenté de 24 %, 1.564 civils ont ainsi été tués et 3.289 blessés du 1er janvier au 30 juin.

Un pays pauvre malgré la débauche de dépenses

Comme le soulignent les différentes Résolutions des Nations Unies, une stratégie de stabilisation et de pacification passe nécessairement par un redressement économique du pays. Or l’Afghanistan est l’un des pays les plus pauvres du monde. Avec un indice de développement humain de 0.374, il se situe à la 175e place sur 186 pays 7. Le constat est amer : aucune progression significative au niveau du développement. Le PIB par habitant ne dépasse pas 680 dollars par an. Le Fonds international de développement agricole (FIDA) estime que près de 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et que 20 % d’entre elle se situe juste au-dessus et risque de basculer sous ce seuil. Une grande partie de la population continue à souffrir du manque de logement, de l’accès limité à l’eau potable, à l’électricité, aux soins médicaux et à l’emploi. Or depuis 2001, l’aide internationale a injecté plus de 10 milliards de dollars dans l’économie afghane. L’aide publique au développement y représente 42,4 % du PIB. Un centième de ce qui y a été dépensé par les alliés pour financer l’effort de guerre.
En théorie, l’économie afghane nous est pourtant présentée comme dynamique, puisque le taux de croissance atteint 9 à 10 % par an. Cependant, il s’agit d’une économie artificielle, alimentée à la fois par l’aide internationale et la guerre 8. L’échec des plans de reconstruction est à mettre en relation avec les failles de l’aide internationale. La répartition globale des sommes est, d’une part, destinée à la reconstruction des forces de sécurité et, d’autre part, théoriquement, à l’aide au développement, dans un contexte de corruption institutionnalisée. La militarisation de l’aide engendre ce déséquilibre sérieux entre les ressources accordées aux opérations militaires et celles accordées au développement 9.
L’économie de guerre renforce également la culture du pavot, cultivé en monoculture dans des parties de plus en plus importantes du pays. Le trafic des stupéfiants et la production de drogues représentent un problème essentiel en raison de leurs impacts sur l’économie, l’agriculture et le développement. Ce problème prend source dans l’instabilité et crée, parallèlement, de l’insécurité et toujours plus d’instabilité. La production d’opium en Afghanistan en 2011 a dépassé 60 % de la production mondiale, selon les chiffres de l’ONU.

Après 2014, pour faire quoi ?

De 2001 à 2013, cette guerre aura coûté 755 milliards de dollars aux États-Unis et 3.476 soldats étrangers, dont 2.350 Américains, y sont morts.

En septembre 2014, l’accord bilatéral de sécurité (BSA) entre Washington et Kaboul a été signé le lendemain de l’élection du nouveau président Ashraf Ghani et en dépit de l’opposition des talibans. Il s’agit de maintenir environ 9.800 soldats américains sur le sol afghan et ce jusque fin 2016, officiellement afin de renforcer les forces afghanes et de poursuivre la « mission antiterroriste » contre ce qu’il reste d’Al-Qaïda ; mais aussi, et peut-être surtout, pour continuer à veiller sur ce qu’Obama nomme « les intérêts permanents » des pays de l’Alliance dans la région 10. La fixation du contingent militaire en Afghanistan post-2014 apparaît en effet comme un prétexte pour établir une force de frappe militaire permanente avec une série de bases aériennes fixes. Un intérêt clairement stratégique, permettant d’être présent autour de la Russie, de la Chine et de l’Iran et de renforcer le contrôle de certaines voies d’acheminement des ressources énergétiques.
La nouvelle mission de l’OTAN resserrée sur l’entraînement, le conseil et le soutien, baptisée « Resolute Support », devrait compter quelque 2.700 autres soldats étrangers (dont 135 militaires belges maximum). Remarquons que cette présence belge sur le terrain n’a fait l’objet d’aucun débat public et politique. Par ailleurs, les forces afghanes feront encore l’objet d’un financement à hauteur de 5 milliards de dollars, dont 3,2 milliards à la charge de Washington et 1,3 à la charge de la « communauté internationale » 11. En Belgique, il est envisageable que le budget de 15 millions d’euros prévu par an soit pioché dans celui de la coopération au développement...
L’échec de la stratégie militaire en Afghanistan est avéré et avoué. Pourtant, la fuite en avant continue à être le modus operandi des alliés de l’OTAN qui justifient encore leur présence comme un mal nécessaire. La Belgique doit cesser sa participation à cette entreprise que tous les indicateurs nous poussent à qualifier de destructrice. Elle doit, au contraire, réorienter ses efforts vers une politique de coopération nourrissant la reconstruction concrète et véritable du pays.
Si l’objectif poursuivi est réellement celui de pacifier et de stabiliser l’Afghanistan, il faut exiger l’abandon de la mission « Resolute support » et son remplacement par une solution politique de sortie de crise, sous l’égide des Nations unies en réactivant les pourparlers de paix avec tous les acteurs locaux qui désirent collaborer à la restauration de la souveraineté de l’Afghanistan et au développement réel et non faussé du pays, dans l’intérêt du peuple afghan. Ce que l’on aurait du faire il y a treize ans de cela, toutes ces années de guerre et d’exacerbation de la violence en moins. #

> Article co-écrit par Dorothée SUDAN (Coordination nationale d’action pour la paix
et la démocratie (CNAPD))

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1. Dans la suite de cet article, il sera parfois fait référence à l’OTAN sous l’appellation « l’Alliance » (NDLR).
2. Plus de 40 nations ont participé aux premières heures de l’opération sous commandement américain, au premier rang desquelles : le Royaume-Uni, le Canada, la France, l’Australie, l’Espagne, la Turquie, l’Ukraine. Les pays membres de l’OTAN, en se référant à l’article 5 d’assistance mutuelle de son Traité, ont convenu de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour participer à l’effort de guerre par le partage de renseignements, la mise à disposition des infrastructures militaires, la liberté de circulation des appareils et des fournitures militaires, etc. La Belgique n’a pas fait exception.  
3. Cette appellation, que l’on traduit par « Liberté immuable », a été par après reprise dans différentes missions américaines de « lutte contre le terrorisme ». Il y a, notamment, les opérations « Liberté immuable – Corne de l’Afrique », « Liberté immuable – Sahara/Sahel », etc.
4. Depuis 2005, les talibans ont multiplié les contacts avec les seigneurs de guerre afghans et ont noué une alliance contre le gouvernement Karzaï avec deux importants groupes, hostiles l’un vis-à-vis de l’autre, mais en lutte contre les Américains et le nouveau gouvernement. Ces groupes sont le Hezb-e-Islami de Hekmatyar et le groupe ultraorthodoxe dirigé par Mohammed Younès Khalid.
5. En 2011, le nombre de civils tués estimé par l’ONU est de 9.759, dont 6.269 tués par les forces antigouvernementales et 2.723 par la coalition, à quoi il conviendrait de rajouter entre 6.300 et 23.600 civils morts directement, ou indirectement, du fait de la guerre (déplacements de population et famine causée par l’arrêt de l’approvisionnement en nourriture, par exemple). En 2012, le rapport annuel sur la protection des civils dans les conflits armés fait état de 3.021 pertes civiles.
6. Firouzeh Navahandi, Afghanistan, Bruxelles, De Boeck, 2014, pp.74-87.
7. ONU, Rapport sur le développement humain 2013.
8. Firouzeh Navahandi, op.cit., pp. 74-87.
9. Idem.

10. Sur le plan géopolitique, l’Afghanistan est un pays géographiquement enclavé, mais à la « croisée des chemins » de l’Asie du sud, de l’Asie centrale et du Moyen-Orient. Il permet de contourner l’Iran et est situé sur des routes stratégiques, notamment pour le transport du pétrole et du gaz, depuis les champs de la mer Caspienne jusqu’à l’océan Indien. Cette position géostratégique importante explique les nombreuses tentatives historiques d’appropriation du territoire par ses voisins et par les grandes puissances.
11. « États-Unis en Afghanistan : la lassitude de la guerre menace l’aide financière », in La Croix, avril 2014.

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