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À l’heure où se profile la mise sur pied d’un gouvernement fédéral associant la N-VA, le MR, le CD&V et l’Open VLD, et tandis qu’ont été formés des gouvernements assez différents les uns des autres au niveau régional et communautaire, il semble intéressant de revenir sur quelques leçons de l’élection pour bien saisir les possibilités offertes aux partis politiques par les électeurs afin de former un gouvernement fédéral.

 

Pour la première fois depuis 1999, le scrutin fédéral s’est tenu, le 25 mai 2014, en même temps que le renouvellement du Parlement européen et des parlements des Régions et des Communautés. Cette simultanéité, en Belgique, des élections fédérales d’une part, européennes, régionales et communautaires d’autre part, n’a probablement pas contribué, malgré les efforts d’information des médias ou des milieux associatifs, à démêler dans l’esprit des électeurs les enjeux relevant de chacun des niveaux de pouvoir concerné. Par ailleurs, la différence de point de comparaison – un scrutin tenu en 2009 pour les secondes, une élection survenue en 2010 en ce qui concerne la Chambre des représentants – complique l’analyse des résultats en termes d’évolution des partis. Il n’est par conséquent pas toujours simple de pointer les perdants et les gagnants des élections de 2014. Dans ce contexte, cet article visera à tirer quelques enseignements de ce scrutin simultané en se focalisant sur l’élection de la Chambre1.

 

Un résultat moins lisible qu’ en 2010

Le scrutin fédéral de 2010 avait livré un verdict clair, mais opposé de part et d’autre de la frontière linguistique : les grands gagnants étaient la N-VA et le PS ; dans leur ensemble, la droite progressait en Flandre, la gauche en Wallonie et à Bruxelles. Mis à part Groen et le Parti populaire (PP), les autres partis représentés au Parlement fédéral reculaient, le FN perdant même son dernier député.
À la Chambre en 2014, le tableau est en partie plus nuancé. La N-VA connaît incontestablement une nouvelle victoire en Flandre (32,4 % des voix dans cette région, soit + 4,6 %), dont le niveau est supérieur à son objectif proclamé (30 %). Mais, dans le même temps, l’extrême droite flamande s’effondre (le VB2 recule de 12,3 % des votes flamands en 2010 à 5,8 % en 2014, soit bien en dessous des 10,3 % du « dimanche noir » de 1991). Au total, la droite démocratique progresse quelque peu en Flandre, mais le total des votes N-VA-Open VLD-VB-LDD3 diminue sensiblement en 2014 (54,4 %, soit   – 3,0 %). Inversement, les partis de gauche (SP.A-Groen-PVDA4-SD&P5), certes minoritaires, reprennent un peu de terrain (25,5 %, soit + 1,8 %), malgré le recul du SP.A (14,0 %, soit – 0,6 %). Hors de ces deux ensembles, le CD&V remonte un peu (+ 1,3 %) par rapport à son minimum historique de 2010 (17,3 %).
En Wallonie, le PS (32,0 %, soit – 5,6 %) demeure en tête, mais ne peut réitérer son très bon score de 2010. En recul (8,2 %, soit – 4,1 %), Écolo perd un tiers de ses électeurs. Le regroupement PTB-GO!6 (5,5 %) ne peut compenser toutes ces pertes (en 2010, le PTB remportait 1,9 % des voix wallonnes et le Front des gauches 0,8 %), mais obtient 2 députés, ce que la gauche radicale n’avait plus connu depuis 1985. À droite, le MR progresse (25,8 %, soit + 3,6 %), loin toutefois de son score de 2007 (alors premier avec 31,2 % des voix). Au total, les formations de droite7 sont en nette hausse (33,8 %, soit + 8,1 %) et l’extrême droite perd encore quelques plumes (2,2 %, soit – 1,4 %). Le CDH recule à nouveau quelque peu (14,0 %, soit – 0,6 %), tandis que les FDF ne percent pas en Wallonie (mais confirment leur ancrage bruxellois et gardent 2 élus).
Au total, la Flandre et la Wallonie demeurent électoralement très différentes. Mais en marquant un progrès de la droite en Wallonie et de la gauche en Flandre, le scrutin de 2014 a rapproché les centres de gravité respectifs davantage qu’il ne les a éloignés.
Tout comme il ne marque pas clairement une victoire de la gauche ou de la droite dans leur ensemble, le scrutin de 2014 ne représente pas non plus un verdict clair à l’égard du gouvernement Di Rupo sortant. Le PS, le CDH et le SP.A sont en recul, tandis que le MR, le CD&V et l’Open VLD progressent. Sur les bancs de l’opposition, les contrastes sont également forts. Dans les rangs nationalistes flamands, la N-VA est en hausse, mais le VB recule. Du côté vert, les francophones d’Écolo subissent une défaite alors que leurs collègues flamands de Groen connaissent une nouvelle hausse. À l’inverse, la droite de la droite progresse en Wallonie, tandis que la LDD sombre en Flandre.

Le scrutin de 2014 ne représente pas un verdict clair à l'égard du gouvernement Di Rupo sortant

Le rapport au pouvoir inspire deux constats et une hypothèse. D’une part, les formations considérées comme plus à gauche dans la coalition sortante s’en tirent moins bien que celles plus marquées à droite. D’autre part, les deux formations qui progressent le plus participaient au gouvernement à un niveau de pouvoir, mais pas à l’autre : la N-VA au gouvernement flamand, mais dans l’opposition au fédéral, le MR au gouvernement fédéral, mais pas dans les Régions ou à la Communauté française. On peut faire l’hypothèse que ces partis sont parvenus à focaliser l’attention des électeurs davantage sur leur discours critique d’opposition que sur leur bilan – parfois jugé mitigé pour la N-VA au gouvernement flamand – là où ils occupaient le pouvoir.

 

Hiérarchie, familles et poids régional

Tant du côté francophone qu’en Flandre, et toujours en se focalisant sur le scrutin fédéral, la hiérarchie des partis fait, davantage que les indicateurs pointés jusqu’ici, figure d’élément plus stable. À la Chambre, le PS demeure le premier parti francophone et wallon, devant le MR, le CDH et Écolo dans cet ordre ; le PTB-GO! devance cette fois le PP (les FDF recueillant, au total, mais pas en Wallonie, davantage de voix que le PP).
En Flandre, pour la première fois depuis les années 1990, on retrouve les deux mêmes partis aux deux premières places lors de deux scrutins successifs. Derrière la N-VA et le CD&V (dans cet ordre comme en 2010), figurent l’Open VLD et le SP.A (dans l’ordre inverse en 2010), puis Groen et le VB (l’inverse en 2010), et plus loin le PVDA et la LDD (l’inverse en 2010). C’est à Bruxelles que la hiérarchie est la plus modifiée. Sans les FDF, le MR (23,1 %)8 est devancé par le PS (24,9 %), pourtant en recul (– 1,7 %). Derrière eux, les FDF (11,1 %) prennent la troisième place et Écolo demeure quatrième (10,5 %, soit – 1,5 %) ; le CDH (9,3 %, soit – 2,9 %), troisième en 2010, est par conséquent relégué à Bruxelles, pour la Chambre, à la cinquième place. La liste bilingue PTB*PVDA-GO! (3,8 %) y devance tous les partis flamands. Parmi ces derniers, le SP.A perd la deuxième place au profit de la N-VA, qui remporte à peine 60 voix de moins que l’Open VLD (tous deux à 2,7 %).
Au niveau national, la famille socialiste reste en tête (20,5 % des voix, soit – 2,4 %) malgré le recul cumulé du PS et du SP.A. Raisonner en termes de familles politiques est cependant plus délicat encore qu’en 2010 puisque, avec 20,3 % du total des votes valablement émis à l’échelle du royaume, la N-VA fait quasiment jeu égal, à elle seule et en ne déposant de listes qu’en Flandre et à Bruxelles, avec les deux partis socialistes ensemble. Elle devance le MR et l’Open VLD qui, progressant, confortent la seconde position de la famille libérale (19,4 %, soit + 1,5 %). La hausse du CD&V compense la baisse du CDH, laissant la famille orange en troisième place (16,6 %, soit + 0,2 %) – compte non tenu, toujours, de la N-VA. En revanche, les gains de Groen ne suffisent pas à contrebalancer les pertes d’Écolo ; les verts demeurent toutefois quatrièmes de ce classement (8,6 %, soit – 0,6 %), d’autant plus que l’extrême droite connaît une sévère défaite (4,4 %, soit – 4,1 %) vu les pertes du VB.

 

 Au menu de la « suédoise »

Les fuites parues dans la presse sur les négociations entamées au niveau fédéral démontrent qu’il existe effectivement une homogénéité en matière d’orientations socioéconomiques des partis de la future coalition « suédoise ».
Dans ce contexte, les 17 milliards d’économies prévues risquent fort de ne s’effectuer que sur les dépenses. Selon L’Echo, deux milliards d’euros seraient réalisés en dépenses primaires (seul un fonctionnaire sur deux partant à la retraite serait remplacé)  et 3 à 4 milliards d’euros vont être économisés en soins de santé. Cela signifie une norme de croissance d’à peine 1,5 %, alors que la base légale est fixée à 3 %.
Au niveau de la justice, on parle de l’introduction d’un système de « plaider coupable»  calqué sur le modèle anglo-saxon pour sanctionner plus vite.
Last but not least, l’instauration d’un service minimum en cas de grève est également sur la table des négociations. Le catalogue des horreurs n’est pas clos, mais promet déjà de belles passes d’armes entre gouvernement et mouvement sociaux.

François REMAN


Outre la hiérarchie et les totalisations nationales par famille, le succès de la N-VA se marque également dans les équilibres régionaux. En 2010, le PS remportait 37,6 % des voix en Wallonie ; loin derrière, la N-VA en obtenait 27,8 % en Flandre et le MR 27,1 % à Bruxelles. En 2014, le PS est certes le premier parti dans deux régions, mais la N-VA pèse désormais en Flandre le même poids (32,4%) que le PS en Wallonie (32,0 %).

 

Une variété de coalitions fédérales possibles

Malgré ces résultats, la N-VA n’est pas devenue incontournable arithmétiquement. Le gouvernement Di Rupo pourrait être reconduit. Il s’appuyait avant le scrutin sur une majorité dans le groupe français de la Chambre (51 députés sur 62), mais pas dans le groupe néerlandais (43 sur 88). Dorénavant, une telle coalition serait majoritaire également du côté néerlandophone, le CD&V et l’Open VLD ayant chacun gagné un siège et le SP.A n’en ayant pas perdu9. Cette formule aurait été compatible avec la formation d’un gouvernement flamand similaire, ces trois partis disposant également d’une majorité au Parlement flamand (64 sièges sur 124).
D’autres possibilités existent. Plusieurs formules de gouvernement associant quatre ou cinq partis permettent, à tout le moins mathématiquement, de rencontrer le prescrit constitutionnel – disposer d’une majorité à la Chambre – tout en s’appuyant sur une majorité dans les deux groupes linguistiques de cette assemblée. Toutes nécessitent cependant la participation simultanée de la N-VA et du PS10.
Vu le succès de la N-VA, le roi Philippe a chargé dès le 27 mai Bart De Wever d’une mission d’information, achevée le 25 juin11. La seule formule de coalition officiellement testée durant cette période (N-VA/MR/CD&V/CDH) n’incluait pas le PS et, par conséquent, ne pouvait s’appuyer sur une majorité dans le groupe linguistique français (29 sièges sur 63). Étant donné le refus du CDH d’entamer des négociations sur la base de la note proposée par l’informateur et la volonté des trois autres partis de continuer à tenter de former une coalition marquée à droite, il était nécessaire d’élargir la discussion à l’Open VLD afin d’atteindre une majorité à la Chambre. La coalition N-VA/MR/CD&V/Open VLD que Kris Peeters et Charles Michel 12, nommés formateurs par le roi le 22 juillet, ont commencé à négocier a d’emblée été critiquée comme déséquilibrée sur le plan communautaire. Non seulement cette formule peut encore moins que celle antérieurement testée s’appuyer sur une majorité dans le groupe linguistique français de la Chambre (le MR dispose de 20 sièges sur les 63 francophones). Mais le MR compte en outre trois fois moins de députés que ses partenaires néerlandophones ensemble (65).
Le scrutin fédéral du 25 mai 2014 se caractérise par une progression des partis de droite au niveau national13. Tel est également le cas en Wallonie et, si on ne tient pas compte des résultats du VB, en Flandre – mais pas à Bruxelles14. Néanmoins, la formation d’un gouvernement marqué à droite n’était pas, au vu du résultat des élections, la seule option possible. En outre, cette piste ne permet pas de disposer d’une majorité dans les deux groupes linguistiques de la Chambre (ce que la Constitution n’impose pas formellement). Ces observations soulignent que, malgré le léger rapprochement relevé ci-dessus entre l’électorat flamand – un peu plus à gauche qu’en 2010 – et wallon – sensiblement plus à droite qu’en 2010 –, l’écart structurel entre les paysages politiques du Nord et du Sud du pays continue à rendre complexe la formation d’un gouvernement fédéral.

Jean Faniel est directeur du CRISP

Photo : Copyright cdesmech


 

1. Pour compléter l’analyse de ces résultats fédéraux, on lira par ailleurs dans ce numéro l’article de Jean-Paul Nassaux relatif aux parlements régionaux wallon et bruxellois et au Parlement de la Communauté française (p.2) et celui de Vaïa Demertzis consacré aux résultats des élections européennes (p.10).
2. Vlaams Belang, auparavant appelé Vlaams Blok.
3. Lijst Dedecker, parti fondé par Jean-Marie Dedecker.
4. PVDA signifie Partij van de Arbeid. C’est le sigle du PTB en néerlandais.
5. SD&P : Sociaal Democraten & Progressieven. Dissidence du SP.A fondée à Alost en janvier 2014.
6. L’acronyme signifiant « Parti du travail de Belgique-Gauche d’ouverture! ».
7. MR, PP, La Droite, Debout les Belges ! et VLC (Valeurs libérales citoyennes).

8. Séparément, MR et FDF remportent en 2014 davantage de voix, quel que soit le scrutin considéré, qu’ensemble en 2010. Semblable constat avait pu être fait en 2009 puis en 2010 pour la N-VA et le CD&V après l’éclatement de leur cartel en 2008.

9. En outre, ce total de 45 députés est à comparer aux 87 membres du groupe néerlandais puisque, du fait de la scission de la circonscription de BHV, les néerlandophones comptent désormais un élu de moins, au profit des francophones.
10. Il faut par ailleurs noter qu’une seule bipartite était possible pour former le gouvernement flamand
(N-VA/CD&V), mais plusieurs tripartites incluant la N-VA seraient majoritaires.
11. On lira d’autres éléments sur le processus de formation des différents gouvernements dans l’article
de J.-P. Nassaux.
12. Charles Michel a été informateur
du 27 juin au 22 juillet.
13. Ce constat s’applique aussi
au résultat belge du scrutin européen, comme le montre V. Demertzis dans ce numéro.
14. Les partis de gauche y reculent eux aussi. Le poids électoral des FDF et leur positionnement peu réductible à un axe gauche-droite compliquent la comparaison entre 2010 et 2014.