zomer2012 7

 

 Après avoir passé au crible les réalisations des gouvernements wallon, bruxellois et fédéral, Démocratie boucle cette série d’interviews en s’attardant sur la Flandre et sa dernière législature. Le politologue Dave Sinardet présente les enjeux majeurs du scrutin de ce 25 mai, annoncé comme celui de tous les dangers : mise en œuvre de la 6e  réforme de l’État, conséquences d’un éventuel raz-de-marée nationaliste, score de la gauche « radicale »...  

Quel bilan tirez-vous de l’action du dernier gouvernement flamand ?

Pour évaluer un gouvernement, il faut tenir compte du contexte dans lequel il a dû travailler. On peut épingler plusieurs différences entre les gouvernements fédéral et flamand : d’abord, le premier n’a eu qu’un peu plus de deux ans pour travailler vu la longue crise politique, le second en a eu cinq. Ensuite, le gouvernement flamand était constitué de trois partis, le gouvernement fédéral, lui, de six. Enfin, et c’est l’élément le plus important, au niveau fédéral, le contexte budgétaire était très difficile. En Flandre, par contre, la pression était nettement moins forte grâce à la 5e réforme de l’État (2001). Celle-ci était avant tout une demande des Francophones qui voulaient refinancer la Communauté française et l’enseignement, en particulier. Ce qui a été fait. Mais on a bien sûr refinancé les Communautés en général. À l’époque, la Communauté flamande a donc reçu beaucoup d’argent dont elle n’avait pas forcément besoin. C’est pourquoi, durant les années Leterme (2004-2007), on a pu dépenser plus d’argent et garder le budget en équilibre. À partir de 2009, il a fallu économiser, mais c’était donc plus facile qu’au niveau fédéral. Quand on tient compte de ces contextes différents, on peut dire que le fédéral s’en est mieux sorti. Certes, il lui manquait un projet commun ambitieux et beaucoup diront que les réformes ne vont pas assez loin, mais au moins, il y en a eu (l’institutionnel, etc.). En Flandre, c’est plus difficile de voir où sont les grandes réformes.  

C’est donc un bilan plutôt négatif ?

Très honnêtement, je ne trouve pas que son bilan soit très convaincant. Pourtant, dans les médias flamands, on retrouve souvent une perception inverse. Les médias se focalisent sur le niveau fédéral, entre autres parce qu’il y a une forte opposition de la N-VA qui tire sur tout ce qui bouge. C’est donc beaucoup plus polémique qu’au niveau flamand où l’Open VLD a mis 3-4 ans pour réaliser qu’il était dans l’opposition. Du coup, il n’a pas mené un travail d’opposition très convaincant. Et la politique, c’est surtout la perception. Le symbole du gouvernement fédéral, c’est un socialiste wallon qui ne parle pas très bien le néerlandais, tandis qu’au niveau flamand, c’est Kris Peeters qui a une image dynamique, sûr de lui, proche de Unizo, du Voka 1, des entreprises flamandes. Toutefois, quand on s’en tient aux faits et aux réalisations, Di Rupo a plus de raisons d’être satisfait que Peeters.
On peut aussi comparer ce gouvernement au précédent 2. Et, à nouveau, le bilan de l’équipe actuelle n’est pas très flatteur. Il y avait moins de dissensions dans le premier gouvernement de Kris Peeters et des figures plus fortes, comme Dirk Van Mechelen (Open VLD) et Frank Vandenbroucke (sp.a). Ces deux piliers très forts ne sont plus là. Et ceux qui les ont remplacés n’ont pas vraiment convaincu.   

Quels sont les enjeux pour le prochain gouvernement flamand ?

Je pense que le principal enjeu consistera à décider la politique à mener à l’égard des compétences transférées. Va-t-on, par exemple, réformer les allocations familiales ? Tous les partis flamands ont fait des propositions très concrètes en la matière et il y a un assez grand consensus pour revoir la gradualité des allocations familiales. L’Open VLD veut même totalement inverser le système et donner plus pour le premier enfant et moins pour les suivants. Le sp.a, le CD&V et l’Open VLD proposent tous de mettre en place des corrections sociales : donner un extra à des enfants nés de parents qui ont des salaires très bas. Groen va encore plus loin et veut faire dépendre le montant de base du revenu des parents.
Il y a aussi la question de la gestion de ces nouvelles compétences. C’est un débat qui agite surtout les coulisses du pouvoir, mais il est crucial, car il concerne le rôle qui sera encore attribué aux partenaires sociaux. 80 % des moyens transférés pour les soins de santé, les allocations familiales et la politique de l’emploi étaient gérés au fédéral par la sécurité sociale. Les partenaires sociaux veulent garder le même rôle après les transferts. Le Conseil économique et social de Flandre (SERV) s’est déjà prononcé dans ce sens : il demande qu’on crée pour ces nouvelles compétences, une « agence pour la protection sociale » qui serait cogérée par les partenaires sociaux. Le sp.a soutient ce point de vue. Par contre, la N-VA est assez critique envers tout ce système de concertation sociale, même s’il n’y a pas unanimité en son sein. Le CD&V, comme toujours, connaît différentes tendances : d’un côté, le CD&V, c’est l’ACW, donc certains plaideront pour le maintien du système actuel. Mais au sein du parti, il y a aussi d’autres intérêts, comme ceux d’organismes comme Kind & Gezin 3 et ceux de l’Administration des soins et du bien-être qui sont également fortement liés au parti. Or, ces organismes gèrent aujourd’hui ces compétences (globalement) sans les partenaires sociaux. Ce sera donc très intéressant de voir comment ce débat va se concrétiser et les conséquences que cela pourrait entraîner pour les Francophones et le niveau fédéral. En effet, si les allocations familiales ne sont plus gérées par les partenaires sociaux en Flandre, il y a un équilibre historique (les allocations familiales sont gérées par les employeurs et les allocations de chômage par les syndicats) qui serait mis en péril.

Comment voyez-vous l’avenir des mouvements sociaux dans ce contexte ?

C’est une question qui est à mettre en lien avec le débat sur la gestion des nouvelles compétences. Cela dépendra aussi des résultats électoraux probablement. Mais il est vrai qu’il y a des menaces pour des mouvements comme l’ACW. Toutefois, celle-ci reste encore importante. Je voudrais également pointer le paradoxe suivant : vu que beaucoup d’électeurs plus à droite ont voté pour la N-VA, les électeurs ACW sont certainement un des piliers importants de l’actuel CD&V. Pourtant, le parti se profile de plus en plus vers la droite et il y a moins de mandataires ACW que jamais au CD&V.

Malgré une participation gouvernementale en Flandre, la N-VA caracole toujours en tête des sondages. Comment l’expliquez-vous ?  

Parce que la N-VA parvient, pour le moment en tout cas, à garder cette image de parti d’opposition, voire de parti antisystème, bien qu’elle soit présente depuis dix ans dans le gouvernement flamand (même si au début, c’était en cartel avec le CD&V). Et la N-VA joue sur cela, en répétant constamment qu’elle est le plus petit parti de la coalition 4 et que ce faisant, elle n’a qu’une faible influence au sein du gouvernement. Ses mandataires essaient de ne pas trop s’associer avec ce gouvernement.
Remarquons que le sp.a fait pareil. Les deux partis ne parlent que du gouvernement fédéral. Ils ne semblent donc pas trop contents de leur bilan au gouvernement flamand. L’Open VLD a le problème inverse : ils sont dans la majorité au niveau fédéral et dans l’opposition en Flandre, mais la perception chez les gens, c’est que c’est un parti du pouvoir. Il n’est pas vu comme un parti d’opposition.

Quel est l’état de la gauche flamande ?

Il faut d’abord préciser que le CD&V a toujours une aile de centre-gauche assez importante, même si l’ACW est un peu affaibli. Dans une perspective historique, la situation de Groen n’est pas mauvaise vu qu’ils se situent à 7-8 % d’intentions de vote. Pour le reste, le sp.a est en assez mauvaise forme. C’est indiscutable. La chute de ce parti s’explique par différents facteurs. Il y a tout d’abord « l’usure du pouvoir » : le sp.a est dans les gouvernements depuis 1988 (sauf au fédéral entre 2008 et 2010) et a donc dû faire des compromis qui ne sont pas toujours bien passés auprès de son électorat. Il a l’image d’un parti de gouvernance, pas celle d’un parti d’idées et d’indignation. Un parti qui s’est déplacé vers le centre-gauche, alors que même en Flandre, il y a un public pour un discours plus à gauche, plus revendicatif. Enfin, ses ministres n’ont pas été très bons en Flandre.

Vous sentez une montée en puissance du PVDA 5  en Flandre ?

Oui, ils font beaucoup plus partie du débat que dans le passé. Ils sont de plus en plus considérés comme un parti avec une certaine importance. Et cette tendance est renforcée par différentes dynamiques : ironiquement, la N-VA espère que le PVDA va faire un bon score, puisque ce sera en large partie au détriment du sp.a. En effet, un des grands enjeux du 25 mai, ce sera de voir si les trois partis traditionnels (sp.a, Open VLD et CD&V) ont encore une majorité au parlement flamand. Si ce n’est pas le cas, alors la N-VA est mathématiquement largement incontournable parce que je ne vois pas ces trois partis faire une coalition avec Groen, car une telle coalition aurait une étiquette « anti-N-VA ». Donc, si beaucoup d’électeurs du sp.a votent pour le PVDA, cela renforce la possibilité pour la N-VA d’être incontournable et cela renforce les chances d’avoir une majorité clairement à droite avec la N-VA, le CD&V et peut-être l’Open VLD.
Une petite précision s’impose : quand on regarde certaines études européennes 6, on constate que finalement, les différences entre l’électorat flamand et wallon ne sont pas si importantes que cela. Mais en Wallonie, le PS a réussi à garder avec lui son électorat de base, notamment grâce à des politiques de proximité (qu’on peut aussi qualifier moins positivement de « clientélisme ») ; électorat qui, dans les années ‘90, a opté en partie pour l’extrême droite en Flandre, aux Pays-Bas et en France parce que c’était surtout ce public qui était confronté à certains aspects moins positifs de la société multiculturelle. En Flandre, cet électorat-là est donc passé au Vlaams Belang et a probablement en partie évolué entre-temps vers la N-VA qui joue sur des frustrations similaires. Une des différences essentielles entre le PS et le sp.a, c’est que ce dernier a évolué vers le centre. Pourtant, vu la montée en puissance du PVDA, il devrait se placer plus à gauche, mais c’est difficile de vendre ce repositionnement avec son personnel politique actuel. On ne peut en effet pas dire que Monica De Coninck soit la plus à gauche qui soit.

Pensez-vous que certains partis flamands vont mettre leurs revendications communautaires au frigo pour se concentrer sur le socio-économique ?

C’est clair que tous les partis disent qu’ils veulent se concentrer sur le socio-économique. Il y a différents facteurs qui l’expliquent :  la 6e réforme de l’État vient à peine d’être votée et il y a encore énormément de travail à réaliser pour l’appliquer pleinement. En plus, certains partis ont réalisé que de nouveaux pas dans la réforme de l’État demandent de résoudre des questions fondamentales, comme le lien entre Bruxelles et la Flandre, etc. C’est aussi une question de stratégie : puisque les matières communautaires sont le core business de la N-VA, les autres partis souhaitent jouer sur un autre registre, d’autant que toutes les études montrent que pour les Flamands, la réforme de l’État n’est pas un enjeu essentiel. Même la N-VA dit que le socio-économique est maintenant prioritaire. Elle parle encore de confédéralisme, mais n’exclut pas de rentrer dans un gouvernement sans réforme de l’État, surtout si cela peut être sans le PS. Quoi qu’il en soit, la N-VA comprend également qu’elle ne doit pas s’isoler dans le débat en misant uniquement sur le communautaire. De plus, pour avoir des chances d’entrer dans un gouvernement, elle n’a pas intérêt à placer la barre trop haut pour ne pas se retrouver dans l’opposition pendant cinq ans. Cela étant dit, si la N-VA fait un score sensationnel, je pense que le communautaire reviendra sur la table. Inversement, si elle n’est pas incontournable, elle a intérêt à davantage se focaliser sur le socio-économique.

Paul Wynants nous disait récemment qu’il avait des doutes sur la viabilité de l’État belge à long terme. Est-ce que vous partagez ses inquiétudes ?

Pas vraiment. Je n’ai pas encore vu un scénario séparatiste (voire « confédéraliste ») avec une solution viable et crédible pour Bruxelles. À moins que la classe politique flamande ne parvienne un jour à se mettre d’accord pour « lâcher » Bruxelles – ce qui serait une erreur immense –, une disparition de la Belgique me semble très improbable.
Mais bien sûr, cela dépendra également de l’évolution d’un parti comme la N-VA  :  si le parti est incontournable, il pourrait imposer un agenda communautaire, et on irait alors probablement au-devant de nouveaux blocages. Par contre, il faut constater qu’il y a aussi une tendance plus fédéraliste qui s’est développée ces dernières années chez certains partis flamands. C’est en partie lié à des stratégies pour contrer la N-VA. Par exemple, l’idée d’instaurer une circonscription fédérale gagne lentement, mais sûrement du terrain. Je trouve d’ailleurs que certains politiques francophones sont très hypocrites parce qu’ils disent vouloir une Belgique unitaire, mais ils s’opposent en même temps à de telles propositions. Même chose pour l’apprentissage du néerlandais. Est-ce normal qu’il ne soit pas obligatoire dans l’enseignement en Wallonie alors que sa méconnaissance est un grand handicap pour les jeunes Wallons sur le marché de l’emploi ? Il faut un peu d’honnêteté intellectuelle : ceux qui veulent défendre la Belgique doivent aussi proposer un projet fédéral positif.

Propos recueillis par Nicolas Vandenhemel

1. L’Unizo et le Voka sont des réseaux flamands d’entrepreneurs et de patrons (NDLR).
2.À l’époque, la majorité gouvernementale regroupait l’Open VLD, le sp.a et le CD&V, en cartel avec la N-VA (NDLR).
3.L’équivalent flamand de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) (NDLR).
4. La N-VA n'avait fait « que » le 5e score lors des élections de 2009 (NDLR).
5. L’acronyme PVDA signifie Partij van de Arbeid. C’est l’alter ego du PTB en Flandre (NDLR).
6. Comme European value studies, par exemple.
Crédit photo : zomer2012_7

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