En Colombie, de nombreux syndicalistes sont enlevés ou assassinés chaque année. Malgré certaines avancées de la part du gouvernement actuel, ces crimes restent largement impunis. Julio Roberto Gomez Esguerra, président de la plus importante confédération syndicale du pays (CGT)1, détaille les difficultés quotidiennes rencontrées par les syndicats dans leur combat et exige une meilleure protection pour les syndicalistes. Il prône par ailleurs l’instauration d’un modèle d’économie alternatif.

Comment ont évolué les droits syndicaux des travailleurs sous le gouvernement actuel ?
Il faut rappeler que les droits de s’organiser et de négocier collectivement sont inscrits dans la Constitution colombienne et au sein du Code du travail. Toutefois, l’exercice de ces libertés syndicales est assez théorique, car, dans les faits, beaucoup de travailleurs sont licenciés dans des conditions absolument inacceptables dès qu’ils constituent une organisation syndicale. À l’origine d’ailleurs, les organisations syndicales se constituaient pratiquement dans la clandestinité pour éviter d’être dénoncées.

Quelle est aujourd’hui la situation des syndicalistes en Colombie ?
Tout d’abord, nous sommes profondément inquiets. En effet, de nouvelles menaces sont sans cesse formulées à l’encontre des leaders syndicaux de la Confédération générale du travail (CGT) tant au niveau national que régional. Selon nos preuves, ces menaces proviennent des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et des paramilitaires. Ce contexte conduit certains de nos collègues syndicalistes à devoir se protéger. Évidemment, cette situation a un impact important sur tout le mouvement syndical. Néanmoins, nous restons mobilisés. Ce qui maintient notre engagement, c’est la solidarité et les expressions de soutien qui proviennent d’organisations nationales et internationales, comme la CSC.
Nous ne pouvons nier les efforts faits par le gouvernement Santos 2 à cet égard, mais ce n’est pas avec des schémas de protection individuels et sophistiqués (bodyguards, voitures blindées...) que nous allons garantir la liberté syndicale et protéger la vie des syndicalistes. C’est plutôt en développant une nouvelle culture qui reconnaît le syndicalisme comme une colonne vertébrale de la démocratie que nous y arriverons.
 

 Impunité totale

Les violations de nombreux droits syndicaux et plus largement les atteintes à la vie, la liberté et l’intégrité personnelle des syndicalistes sont malheureusement monnaie courante en Colombie, faisant de ce pays un triste champion en la matière. Ainsi, « au moins 18 syndicalistes ont été assassinés en Colombie et 359 ont reçu des menaces de mort en 2012 », comme l’explique le dernier rapport des droits syndicaux de la CSI.
L’impunité à l’égard de ces crimes reste une autre triste caractéristique du contexte colombien. Dans plus de 95 % des cas, les auteurs de ces crimes ne sont pas poursuivis ! Les rapports internationaux font tous état de l’énorme responsabilité des paramilitaires, des guérillas, des bandes criminelles et des agents de l’État dans la violence antisyndicale. #



Observe-t-on un recul de l’impunité des crimes commis contre les syndicalistes ?
Il y a eu quelques progrès, mais pas encore assez. En toute honnêteté, le gouvernement devrait prendre des actions plus décisives. Nous sommes au regret de constater une absence d’informations concernant les assassins des syndicalistes, leurs motivations, leur financement ainsi que sur les raisons rendant la présence syndicale compliquée au sein des entreprises.

Qu’en est-il pour Armando Del Oro 3 ?
Nous souhaiterions le faire sortir temporairement du pays pour lui permettre de rejoindre le Canada, où habitent ses filles. De cette façon, l’exil serait moins difficile à vivre pour lui. L’ambassade canadienne a refusé de lui octroyer un visa alors que la CGT s’est engagée à couvrir les frais de déplacement. Les autres collègues menacés ont décidé, eux, de rester au pays.

Existe-t-il un salaire minimum en Colombie ?
Il existe en effet un salaire minimum chez nous, mais il permet tout juste à une famille de 5 personnes de ne pas mourir de faim. Avec ce salaire minimum, une famille peut à peine acheter 40 % des produits nécessaires pour ses besoins de base !

Quelle est la situation des travailleurs de l’économie informelle 4 ?
La situation de la plupart des travailleurs de l’économie informelle est absolument dramatique parce qu’ils n’ont généralement même pas le strict minimum. En plus, ils ne bénéficient d’aucune prestation sociale ni de sécurité sociale. Ils n’ont rien ! C’est dans cette situation que se trouve aujourd’hui la grande majorité des agriculteurs, des travailleurs de la construction, du transport, des ventes, etc.

Quelles sont les revendications de la CGT à cet égard   ?
La CGT participe à toutes les négociations pour l’augmentation du salaire minimum légal. Celles-ci se déroulent habituellement à la fin de chaque année. Nous avons toujours soulevé le besoin urgent d’instaurer un salaire minimum vital qui corresponde au moins au coût des produits de base. Mais comme vous pouvez aisément le comprendre, cela n’a aucune chance d’aboutir dans le contexte d’une société capitaliste.

Dans ce contexte conflictuel, comment voyez-vous le dialogue social ?
Le dialogue social dispose d’un espace formel dans notre pays et d’instances, comme le Comité permanent des politiques salariales et du travail. Ce mécanisme est inscrit dans notre Constitution. Cependant, aux yeux de la CGT, les points abordés au sein du Comité évoluent très lentement. Mais nous restons persuadés que le dialogue social est une arme clé pour soutenir les plus exclus de la société.

Non à l’accord commercial avec l’UE

 

Les organisations syndicales et des ONG s’opposent à l’accord commercial que l’Union européenne a négocié et signé avec la Colombie et le Pérou. Les organisations de la société civile insistent pour que le travail décent, les droits de l’Homme et le développement durable soient au centre des relations entre l’Europe et la Colombie, ce qui est loin d’être le cas pour le moment. Mais les jeux ne sont pas encore faits puisque cet accord doit encore être approuvé par les parlements des États membres, dont la Belgique. #



 Une indispensable solidarité


Vu le contexte antisyndical colombien, l’Organisation internationale du travail (OIT) joue un rôle primordial, car elle cherche constamment des solutions aux dramatiques violations des droits syndicaux commises au cours des dernières décennies. Par ailleurs, les actions de solidarité internationale (envoi de courriers aux autorités colombiennes, journées d’actions…) ont également toute leur importance. Ce faisant, le mouvement syndical international met la pression sur le gouvernement colombien pour qu’il mette pleinement en œuvre la liberté d’association et le droit à la négociation collective, notamment.
Cette coopération syndicale est primordiale sachant que l’ensemble des organisations syndicales colombiennes affilie aujourd’hui à peine 5 % des travailleurs et que des solutions durables ne peuvent venir que de l’intérieur du pays grâce, entre autres, à des syndicats forts. C’est dans ce sens que la CSC a entamé un programme de coopération syndicale avec la CGT. #



Quelle est votre vision du commerce et de l’investissement ?
La CGT estime que le pays doit relever le défi de travailler dans un nouveau contexte économique et social, d’où notre proposition de développer un modèle économique alternatif. En ce qui nous concerne, il convient en effet de développer un modèle d’économie nationale, plurielle, démocratique et participative. Concrètement, partant des réalités des travailleurs colombiens, nous sommes intimement convaincus que le modèle libéral conduit inexorablement à notre perte. Nous proposons donc de nous concentrer sur l’économie nationale plutôt que de favoriser le tout à l’exportation. Dans cette optique, l’État a un rôle important à jouer, à la fois comme régulateur et comme opérateur. Par ailleurs, vu les dérives actuelles du système économique mondial et la mainmise des grandes multinationales, nous sommes favorables à ce que le rôle de l’économie solidaire et des coopératives soit renforcé.
Nous insistons fortement sur ce modèle alternatif qui nécessite et mérite d’être connu à large échelle. Et, pour le mettre en œuvre, nous avons besoin de mobiliser les ressources nécessaires et de conclure des accords avec le secteur académique. #

1. La Confédération générale du travail de Colombie (CGT) est une des trois confédérations syndicales colombiennes. Elles sont toutes membres de la Confédération syndicale internationale (CSI). 700.000 travailleurs colombiens sont affiliés à la CGT, 510.455 à la Confédération unitaire des travailleurs et 250.000 à la Confédération des travailleurs de Colombie.
2. Juan Manuel Santos est président de la Colombie depuis 2010. Son mandat se terminera en 2014, mais il a d’ores et déjà annoncé sa volonté d’en briguer un second.
3. Armando Del Oro est le président de la Régionale de Barranquilla au sein de la CGT. Il a été directement menacé par les FARC. Plus d’informations sur : http://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/presidencia-colombia-carta_csa_csi_-_1_febrero_2013_2_.pdf
4. Les travailleurs informels représentent 57 % de la population économiquement active du pays.




   



    

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