Comme chaque année, la Ligue des familles a sorti, en août dernier, son enquête sur le coût de la scolarité. Cette étude, réalisée auprès d’une trentaine de parents, est riche d’enseignements : l’école est (parfois très) chère, les règles établies ne sont pas toujours respectées, et les parents sont en colère face à des frais parfois déraisonnables 1. Mais concrètement, combien coûte une année scolaire ? Et surtout, quelles solutions politiques prôner pour faire face à ces problèmes ? Petit tour d’horizon de ces nombreuses questions.

Trente-six familles (pour 70 enfants) ont fait parvenir leurs frais pour différents domaines (matériel, sorties scolaires, etc.) à la Ligue des familles. Vu la taille de cet échantillon, l’enquête réalisée n’a pas de prétention scientifique au sens strict. Impossible, dans ce contexte, d’objectiver la part du coût de la scolarité à charge des parents. Le but visé ici est donc davantage d’informer sur des dépenses auxquelles une trentaine de parents ont dû faire face.

Combien coûte une année scolaire ?

Outre les problèmes liés à la taille de l’échantillon, répondre à la question « combien coûte une année scolaire ? » par un simple chiffre nous semble impossible vu l’hétérogénéité des pratiques rencontrées. Chaque niveau d’enseignement, chaque réseau, chaque école, chaque année de scolarité, chaque professeur a des pratiques différentes en la matière. Il s’agit là du premier enseignement à tirer des enquêtes régulières de la Ligue des familles : les pratiques varient très fortement, et les factures aussi.
Afin d’approcher malgré tout ce que les parents dépensent, différents « postes » ont été pris en compte : ainsi, les frais dépensés par les parents durant une année en matière de matériel scolaire, de voyages et sorties scolaires, ainsi que de garderie (extrascolaire) ont été regroupés. Il s’avère que les dépenses évoluent considérablement d’une année à l’autre 2. Une approche par « poste » permet dès lors de comparer des frais comparables. Voici le verdict de l’enquête concernant les différents domaines susmentionnés.

Le matériel scolaire
Ce poste reprend le matériel indispensable pour suivre les cours et y être actif : matériel d’écriture, de bricolage, photocopies et manuels scolaires en secondaire.
Pour un enfant en maternel ou primaire, le matériel de cours revient en moyenne à 121 €, dont 40 pour la liste remise en début d’année par l’enseignant(e), et 81 pour le matériel à acheter tout au long de l’année.
En secondaire, la facture est plus salée : 254 €, dans le cas de l’échantillon de l’étude. Cette différence est liée aux frais de manuels scolaires et de photocopies (plafonnés à 75 € en secondaire).

Les voyages, les sorties et la « vie de l’école »
En primaire, ces activités coûtent en moyenne 63 € par an et par enfant. Cette moyenne cache en réalité des disparités très importantes : certains parents expliquent ne rien payer ou presque grâce à l’intervention de l’association des parents, ou de la commune (pour le transport, par exemple). Pour d’autres, l’addition est beaucoup plus salée : jusqu’à 175 €. Autre poste budgétaire dans cette catégorie : la « vie de l’école ». Ce sont des activités facultatives, bien souvent organisées en dehors des heures de cours : les fancy-fairs, les spectacles, les soupers, la fête de l’école, les photos de classe, etc. Selon notre enquête, ce poste coûte en moyenne 40,2 € par an et par enfant.
En secondaire, les sorties sportives et culturelles sont en moyenne un peu plus chères (77 €) que dans l’enseignement fondamental, mais moins nombreuses. Concernant les voyages scolaires, ceux-ci n’ont pas lieu chaque année. Beaucoup d’écoles prévoient donc un étalement : les années sans voyage scolaire servent à « épargner » pour le voyage scolaire de l’année suivante. Concernant les prix, cela varie fortement. Nous avons relevé un voyage scolaire à 1.150 €.

L’extrascolaire
Ce sont les garderies du matin, du soir, et du midi. Au sens strict, cela ne fait pas partie de « l’école » : les enfants ne sont pas là pour « apprendre » devant un professeur. Mais dans les faits, il y a une continuité de lieu et de temps. Il s’agit donc de l’école au sens large. D’ailleurs, dans bien des cas, c’est l’école qui envoie la facture aux parents pour ces frais.
Dans notre échantillon 3, la moyenne de prix est de 0,76 € pour la garderie du matin. Si l’enfant fréquente tous les jours la garderie avant le début des cours, il en coûtera donc en moyenne 133 € par an (0,76 € x 5 jours x 35 semaines).
En ce qui concerne l’accueil après les cours, le prix est d’en moyenne 1,30 € à chaque fois. Le temps de l’accueil peut être plus long que le matin (parfois jusqu’à 3 heures), ce qui explique sans doute ce surcoût. Le prix varie d’un forfait de 0,125 € à des montants allant jusqu’à 2,5 € par heure de présence à l’accueil. Pour un enfant allant à la garderie tous les jours après les cours, il en coûtera donc en moyenne 182 € par an (1,3 € x 4 x 35 semaines).
Enfin, que les enfants prennent le repas chaud ou non, beaucoup d’écoles (pas toutes) facturent malgré tout la garderie de midi. Il s’agit dans les faits d’un « droit de s’asseoir », même si les écoles ne le justifient pas ainsi. La majorité des montants dans notre enquête se situent entre 0,5 € et 1 € par temps de midi. La moyenne de notre enquête se situe à 0,84 € par temps de midi par enfant pour ce genre de facturation. Pour un enfant restant tous les jours à midi à l’école, il faudra donc compter 117,6 € par an.

Un débat politique à mener

La gratuité de l’enseignement obligatoire est inscrite dans divers textes internationaux des droits de l’Homme : la Convention internationale relative aux droits de l’enfant ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, tous deux ratifiés par notre État. À lire ce qui précède, la Belgique, et singulièrement la Communauté française, ne respectent pas leurs engagements internationaux en la matière 4, ce qui renforce encore les inégalités de notre système scolaire, déjà champion dans ce domaine 5.
Posons une simple question:  pourquoi l’école demande-t-elle aux parents des frais pour du matériel de cours indispensable à la pédagogie ? La réponse paraît simple (même si certains refusent de l’admettre 6) : l’école manque de moyens. Hormis quelques écoles qui utilisent les frais scolaires pour exclure un public défavorisé, c’est le manque de moyens qui pousse les écoles à facturer des frais scolaires aux parents.
Une première piste pour réduire les frais de l’école consiste donc à donner davantage de moyens à l’école (et à l’extrascolaire). Ce faisant, des règles telles que l’interdiction de vendre les manuels scolaires, ou l’interdiction de vendre le journal de classe pourraient sans problème être respectées dans les faits. Cela permettrait aussi de diminuer le coût de la garderie avant et après l’école, et surtout de supprimer ces « droits de s’asseoir » (sur le temps de midi) aussi scandaleux qu’incompréhensibles.
En ces temps d’austérité, ce n’est pas le choix opéré par le gouvernement « Olivier »  qui vient récemment de décider de diminuer les subventions de fonctionnement des écoles officielles et de geler celles des écoles subventionnées. Ce sont ces subventions qui servent, entre autres, à payer le matériel de cours dont les élèves et professeurs ont besoin.
Une autre réponse réside aussi dans les disparités de financement des différents réseaux : les réseaux subventionnés (communal, provincial, libre) sont moins financés que le réseau officiel. Raison avancée : les Pouvoirs organisateurs des établissements subventionnés peuvent décider d’accorder des moyens en plus. Là aussi, une réflexion en vue d’une harmonisation serait la bienvenue, voire même, comme en rêvent certains, une fusion des réseaux 7.

Une question de moyens… mais pas uniquement

Si la question des frais scolaires pointe du doigt un manque de financement, elle pointe aussi d’autres problèmes que les pouvoirs publics pourraient résoudre, sans pour autant trop dépenser.
Tout d’abord, la liberté laissée aux écoles. Au nom de la liberté pédagogique des écoles, le gouvernement laisse des écoles organiser des « voyages scolaires » à plus de 1.000 € ou des séjours onéreux dans des parcs d’attractions parfois lointains (Paris). Pire, le gouvernement tolère que des Pouvoirs organisateurs rendent ces voyages obligatoires. Une solution serait d’imposer un plafond maximum, d’interdire certains voyages, voire d’organiser de manière plus centralisée les voyages scolaires ou classes de dépaysement. Cela éviterait aussi un autre problème que le coût : la sélection opérée par certaines écoles, sur base des moyens financiers du public scolaire.
L’article 100 du décret « missions » 8 (censé préciser les règles en matière de frais scolaires permis ou interdits) mériterait donc une refonte totale. Les règles ne sont pas claires, les recours très faibles et inefficaces (une seule école punie en vertu du décret en 15 ans), et absolument pas adaptés à la réalité du terrain. Plutôt que d’inscrire dans un décret des vœux pieux, les responsables politiques gagneraient à édicter clairement et limitativement les frais permis (le reste étant dès lors totalement interdit), d’octroyer les moyens financiers nécessaires pour permettre aux écoles de fournir un enseignement de qualité pour tous, et à punir les écoles contrevenantes.
Une autre réflexion plus qu’urgente à mener est celle concernant le rythme scolaire 9. Le temps de la journée d’école ne correspond plus à la réalité socioéconomique des parents. Le calendrier scolaire est l’héritage d’un passé, dans lequel un pourcentage important de mères ne travaillait pas et pouvait s’occuper des enfants avant et après les cours, à midi et durant les vacances. Depuis longtemps, ce schéma ne correspond plus à la réalité : la femme « au travail » a remplacé la femme « au foyer ». Par ailleurs, de plus en plus de parents doivent combiner plusieurs emplois, des horaires plus flexibles, etc. La conciliation vie professionnelle/vie familiale n’est donc pas toujours des plus aisées.
Certains enfants passent ainsi jusqu’à 10 heures par jour dans l’enceinte de l’école (de 7h30 à 17h30). Cela n’est ni bon pour l’enfant (et son développement) ni bon pour le portefeuille des parents, qui doivent débourser des sommes importantes pour l’extrascolaire. Le problème vient d’une part du manque de moyens consacrés à la politique de l’accueil, fonctionnant en enveloppe fermée : plus il y a d’opérateurs de l’accueil extrascolaire (ASBL, écoles) qui entrent dans le dispositif du décret (leur assurant par là un petit financement), plus la part attribuée à chaque acteur est réduite. D’autre part, le rythme d’une journée scolaire d’un enfant doit être remis en cause. On pourrait imaginer une autre organisation, avec les moments d’apprentissage aux heures où les enfants sont les plus réceptifs (de 9h30 à 11h30 et de 15h à 17h), des pauses de midi plus longues (avec des activités d’éveil). La journée pourrait aussi se clôturer plus tard (vers 17 h), et les devoirs pourraient être « internalisés », c’est-à-dire être réalisés au sein de l’école 10. Cela nécessiterait bien entendu des moyens (notamment humains) supplémentaires. Pas question ici de surcharger des enseignants qui le sont déjà assez.

Conclusions

La gratuité de l’enseignement obligatoire n’est pas garantie dans les faits en Belgique francophone. Les enquêtes de la Ligue des familles en attestent chaque année. Le coût de la facture peut parfois être très important, surtout quand plusieurs enfants d’une même famille sont scolarisés. De nombreuses illégalités sont aussi constatées, sans réaction des pouvoirs publics.
Comme l’écrit Mathias El Berhoumi : « l’égalité d’accès à l’instruction n’est plus dans l’air du temps. (...) Le constituant d’abord, le législateur de la Communauté française ensuite, ont brisé le lien entre instruction obligatoire et gratuité, imposant un coûteux devoir aux parents » 11.
Cette non-gratuité pose des problèmes en matière d’égalité d’accès à un service public. Elle est également un instrument inacceptable de marketing ou de positionnement d’une école sur le quasi-marché scolaire.
Pour mettre un terme à ces dérives, des moyens financiers supplémentaires sont une condition nécessaire, mais non suffisante. En effet, une réflexion sur les règles encadrant les frais que l’école peut demander à l’école et une prise en compte des évolutions socioéconomiques de la vie de parent doit également être menée. Ces réformes et réflexions sont indispensables si la Communauté française veut garantir l’application sans faille d’un droit humain fondamental : l’accès gratuit et pour tous, sans discrimination, à un enseignement de qualité.



1. Le dossier complet
est à lire sur :
www.laligue.be/ecolepourtous.
2. Ainsi, si l’enfant effectue des classes de neige durant une année, cela fait augmenter fortement le coût de l’année alors que le voyage n’aura lieu qu’une fois sur sa scolarité.
3. Ici, les chiffres concernent uniquement l’enseignement fondamental.
4. Pour davantage d’informations, le lecteur se référera à l’article publié dans la nouvelle revue du Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté  (Pauvérité) : M. El Berhoumi, « La gratuité de l’enseignement : une promesse oubliée, un principe juridique bafoué », Pauvérité, n°1, septembre 2013.
5. L’Appel pour une école démocratique (APED) estime, en se basant sur les enquêtes PISA, que l’enseignement en Belgique est le plus inégalitaire des pays de l’OCDE. Voir : www.skolo.org.
6. Certains spécialistes estiment que la Communauté française dépense proportionnellement davantage pour son système scolaire que d’autres pays européens, et que dès lors, les moyens ne sont pas insuffisants.
7. Ce qui permettrait des économies d’échelle.
8. Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, 24/07/1997.
9. Nous nous focalisons ici sur le rythme de la journée d’école, même si une réflexion sur le rythme des vacances serait également nécessaire.
10. Sans rentrer dans les détails, ce type de rythme permettrait aussi de rencontrer davantage le rythme biologique d’un enfant.
11. M. El Berhoumi, « La gratuité de l’enseignement : une promesse oubliée, un principe juridique bafoué », Pauvérité, n°1, septembre 2013.

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