Quand il s’agit du Congo, les observateurs sont souvent pessimistes. Il est vrai que depuis des décennies et malgré des richesses naturelles considérables, le pays ne parvient pas à prendre son envol. Ces derniers mois, la situation s’est encore aggravée. Le pays est désormais classé au dernier rang de l’indice de développement humain. Par ailleurs, la situation politique et militaire est on ne peut plus trouble. Pourtant, dans ce marasme, il y a des raisons de garder espoir...


C'est malheureusement un refrain connu : le Congo va mal. Politiquement d’abord, suite aux élections présidentielles et législatives chaotiques de 2011. D’un point de vue sécuritaire et militaire ensuite, vu l’insurrection des mutins du M23 à l’est (Kivu) et la résurgence d’autres groupes armés, avec en toile de fond, l’incapacité structurelle de l’armée nationale (FARDC) à leur faire face. Économiquement et socialement, enfin : la pauvreté s’aggrave alors que la corruption reste très présente. Ce contexte affecte dramatiquement les conditions de vie des populations et handicape gravement les chances de reconstruction du pays. Cet article analyse la situation étape par étape.

Imbroglio politique

Le processus électoral de 2011 était censé consolider la jeune démocratie congolaise. Une nouvelle Commission nationale indépendante (CENI) avait été mise en place sous la présidence du pasteur Ngoy Mulunda, un (très) proche du président Kabila. Mais à quelques mois de la tenue desdites élections, la majorité présidentielle engagea un tour de force. Elle modifia la Constitution à la hâte, en renforçant notamment les pouvoirs du président Kabila, et surtout en instaurant un nouveau mode de scrutin présidentiel, qui se déroulera désormais à un seul tour. Face à une certaine remontée dans l’opinion publique de l’historique opposant Étienne Tshisekedi et à de nombreuses dénonciations des dérives du régime, ces évolutions politiques semblaient juste viser à assurer le maintien au pouvoir du président Kabila et, partant, la reconduction de sa majorité. Comme on le redoutait toutefois1, et nonobstant une certaine discipline ou détermination des électeurs à réussir le scrutin de novembre 2011, le cycle électoral fut marqué par des désordres multiformes, aussi bien dans l’acheminement et le dispatching des kits électoraux que dans le traitement et la compilation des bulletins de vote. La proclamation des résultats qui s’ensuivit vint dissiper les dernières illusions de ceux qui voulaient encore croire en la consolidation de la démocratie au Congo : « disparition » de millions de bulletins de vote, annonces des résultats farfelus pour de nombreux centres de vote, etc. À l’annonce de ces résultats, les contestations vinrent de toutes parts, et le président Kabila, déclaré vainqueur, vit sa légitimité fortement écornée par la manière dont la CENI avait orchestré le processus électoral. Même dans sa propre famille politique, des recours s’amoncelèrent auprès de la Cour suprême de justice en contestation des résultats annoncés des législatives. Plusieurs « élus » furent ainsi invalidés par la Haute Cour. Ces contestations et les condamnations qui s’ensuivirent ont engendré un climat politique délétère et exposé le pays à la déstabilisation. Suite au tollé général soulevé par ces élections et à la résurgence de la violence armée à l’est, le régime a fini par lâcher l’équipe dirigeante de la CENI, remplacée depuis juin dernier par une nouvelle équipe menée par l’abbé Apollinaire Malu-Malu. Dans le même temps, le président Kabila a convoqué un dialogue national en vue de renforcer l’unité nationale. Il reste donc à espérer que la nouvelle CENI réussira à relancer le processus électoral, notamment en organisant les élections municipales et locales, et que le dialogue national servira à vider le déficit de légitimité politique causé par le scrutin de 2011. Pour y parvenir, il va d’abord falloir que les responsables politiques congolais fassent preuve de plus de responsabilité, en privilégiant l’intérêt national en lieu et place des seuls intérêts personnels ou partisans qui les ont trop souvent guidés jusqu’ici.
Les élections de 2011 ont engendré un profonddéficit de légitimité démocratique

Pas de développement sans paix

C’est dans ce climat délétère que surgit en avril 2012 un nouveau mouvement armé, le M23. Ce dernier est une dissidence de l’armée nationale et une résurgence d’un ancien mouvement rebelle (CNDP), incorporé dans l’armée trois ans plus tôt. Très vite, il occupe un vaste territoire au Nord-Kivu. Les troupes régulières dépêchées sur le terrain, infiltrées sur toutes les lignes et trop peu soutenues sur le plan logistique, vont vite être incapables de contenir l’avancée des rebelles. En novembre 2012, le M23 met l’armée congolaise en déroute et s’empare de la ville de Goma. L’épisode démontre à la fois la faiblesse de l’armée régulière, mais aussi l’impuissance des troupes onusiennes (MONUSCO), incapables d’endiguer la progression des rebelles. L’impuissance de l’armée et celle de l’appareil étatique en général constituent indéniablement les premiers et principaux problèmes du pays. Pour beaucoup d’observateurs, le chaos entretenu au Congo permet également une exploitation illicite des ressources naturelles. Des réseaux mafieux, mais aussi des multinationales bien connues, achètent et commercialisent des produits issus de cette contrebande sans s’acquitter d’un quelconque impôt à l’État congolais. Et pour des pays voisins, comme l’Ouganda, mais surtout le Rwanda, ce sont des réservoirs exploitables en toute impunité. Ce pillage permet à ces pays limitrophes d’assurer la gestion interne de leur clientèle politique et de soutenir leurs efforts de redressement économique. À cet aspect, s’ajoute évidement l’essaimage de nombreux groupes armés dans la région, un phénomène que l’État congolais n’est pas capable, à lui seul, d’endiguer. Malgré leurs dénégations, plusieurs rapports, et surtout ceux du groupe d’experts des Nations Unies, ont démontré le soutien qu’accordaient des pays voisins (l’Ouganda, mais surtout le Rwanda) aux « rebelles » du M23. Le Rwanda est d’ailleurs pointé comme le principal instigateur ou bénéficiaire de l’explosion des violences actuelles. Acculé par la déconfiture de son armée, le président Kabila s’est tourné vers les présidents rwandais (Paul Kagame) et ougandais (Yoweri Museveni) pour essayer de stopper le M23, sous l’égide de la Conférence internationale pour la région des Grands Lacs (CIRGL). Une stratégie contradictoire, mais qui a eu l’avantage de figer les lignes de front et de pousser à un appel conjoint adressé aux rebelles les enjoignant à se désengager de la ville de Goma et à revenir à leurs positions antérieures. Cela a permis en même temps de poursuivre des tractations diplomatiques sur plusieurs fronts (notamment les « négociations de Kampala », entre le gouvernement congolais et le M23). Depuis lors, on assiste à une désagrégation progressive du M23, suite à des conflits internes au mouvement. Toutefois, le Congo reste encore confronté à d’autres groupes armés, notamment au Katanga. Et cela risque de perdurer. En effet, depuis le renversement de Mobutu par un mouvement armé, et les différentes promotions ou gratifications accordées ensuite aux « seigneurs de guerre » entre 1998 et 2003, beaucoup d’acteurs politiques pensent, manifestement avec raison, qu’il est plus facile d’accéder au pouvoir par les armes que par la voie démocratique. La récente ouverture dans le Nord-Kivu d’un front de la rébellion ougandaise appuyée par des combattants islamistes a provoqué, ces dernières semaines, le nouvel exil de plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Tournant diplomatique

La « communauté internationale » a le plus souvent pris des positions incohérentes, sinon contradictoires, par rapport à la situation complexe dans l’est du Congo. On sait depuis longtemps que des armées et des entreprises étrangères y opèrent en toute illégalité et brutalité dans l’exploitation des ressources ; que le droit international y est régulièrement bafoué et que les frontières du Congo ne sont pas respectées. En outre, les ONG, les médias et d’autres acteurs locaux ou étrangers n’arrêtent pas de dénoncer les viols et autres exactions dont les populations locales sont régulièrement victimes. Mais on ne fait pas grand-chose pour aider le Congo à mettre fin à ce chaos. La MONUSCO, bien équipée et très coûteuse, y est déployée, mais sans que la population ne voie clairement à quoi sert sa présence. Dans les derniers développements qui ont conduit à la création du M23, c’est encore la « communauté internationale » qui a acculé le gouvernement congolais à devoir arrêter le général Bosco Ntaganda 2 pour le déférer devant la Cour Pénale internationale (CPI). Mais quand Ntaganda et ses partisans ont retourné leurs armes contre le gouvernement de Kinshasa, on a longtemps attendu une réaction de ceux qui avaient exigé son arrestation. Par ailleurs, un Accord-cadre a été signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba sous l’égide des Nations Unies. Il invite les pays de la région à cesser tout soutien aux groupes armés et à respecter l’intégrité territoriale de la RDC, et le gouvernement congolais à combattre les groupes armés situés sur son territoire et à améliorer sa gouvernance interne. Et surtout, une nouvelle résolution (2098) du Conseil de sécurité des Nations Unies a institué une nouvelle Brigade internationale d’intervention dotée d’un mandat plus offensif au sein de la MONUSCO pour imposer la paix et combattre les groupes armés sévissant à l’est de la RDC. L’effet combiné de ces dispositifs internationaux semble pouvoir ramener la paix à l’est du Congo, pour autant que ces efforts restent soutenus à tous les niveaux. Ces évolutions ne doivent cependant pas faire oublier que les nombreuses divergences de vues des uns et des autres face à la crise congolaise. Aujourd’hui encore, malgré les récents rapports des Nations Unies mettant en exergue le soutien accordé par le Rwanda et l’Ouganda au M23, aucun compromis ne se dégage au niveau international pour adopter de vraies sanctions à l’encontre de ces pays et pour les contraindre à jouer un rôle plus positif dans la crise congolaise. Il y a pourtant intérêt à harmoniser les pressions ou les interférences extérieures pour qu’elles aient quelque chance d’aboutir. Dans ce cadre, les positions belges, fluctuant entre des déclarations ou des attitudes souvent « bienveillantes » ou « accommodantes » de certains partis ou acteurs politiques francophones et des « réserves » parfois arrogantes de certains de leurs homologues flamands, constituent l’exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire. Forte de son « expertise » reconnue dans les affaires congolaises, la Belgique devrait pouvoir engranger, au sein des cénacles européens, une politique plus volontariste et plus ambitieuse pour la stabilisation du Congo, en exerçant des pressions fermes objectives sur les autorités congolaises autant que sur les autres pays impliqués dans la déstabilisation de ce pays.

Une embellie économique ?

Dans ce tableau « mi-figue mi-raisin », on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Mais quelques évidences s’imposent. Au plan économique notamment. Dans un contexte compliqué et tendu, le gouvernement du Premier ministre Matata Ponyo semble réussir une relance du cadre macro-économique avec une meilleure maîtrise de l’inflation et une remarquable stabilité du taux de change. De même, la bancarisation progressive du paiement des salaires des agents de l’État et de l’acquittement de certaines redevances a permis de réduire certaines formes de détournement de fonds public. Et même si beaucoup ont été longtemps réticents par rapport aux « Cinq chantiers » 3 lancés par le président Kabila sous son précédent mandat, des investissements colossaux se font de plus en plus dans la réfection ou la construction des infrastructures. Tout cela contribue à revitaliser une économie longtemps plongée dans le marasme. De la même manière, l’accroissement continu des recettes fiscales (notamment douanières) et surtout des redevances minières, sous l’effet de la dynamique katangaise menée par le gouverneur Moïse Katumbi, laisse augurer d’autres perspectives de croissance qui, si elles sont bien exploitées, peuvent donner un autre coup d’accélérateur à la relance économique à l’échelle nationale. Cela étant, tout n’est pas rose : la corruption reste massivement entretenue par la classe dirigeante qui en profite en premier lieu. Par ailleurs, la grande majorité de la population vit encore dans une extrême pauvreté, plus ou moins aggravée par le virage néolibéral du gouvernement qui engendre de plus en plus de laissés pour compte. Au vu des nombreuses crises qui affectent le pays, les défis qui attendent les mouvements sociaux et la société civile sont légion : sensibilisation politique, organisations populaires pour sortir de la pauvreté, lutte contre la corruption, interpellations des autorités politiques pour un État de droit. Certes, ce travail de terrain prendra du temps, mais il doit être nécessairement mené pour que le Congo connaisse enfin des jours meilleurs.

Co-écrit par Arnaud Gorgemans


Notes :

1. Voir GORGEMANS, Arnaud, « K.O. électoral, chaos politique », Démocratie, n° 9, 1er mai 2012
2. Rien que son surnom en dit long : « le terminator ». Ancien chef rebelle, Bosco Ntaganda est soupçonné de crimes contre l'humanité et crimes de guerre ( meurtres, viols et pillages), commis par la rébellion des Forces patriotiques pour la libération du Congo, dont il était chef d'état-major, dans l'Ituri ( Est de la RDC) en 2002 et 2003.
3. Lors des élections présidentielles de 2006, Joseph Kabila avait promis que s'il était élu, il mettrait en œuvre un ambitieux programme quinquennal de développement qui concernerait cinq secteurs : les infrastructures, la création d'emplois, l'éducation, l'eau et l'électricité, et la santé.